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Actualités - REPORTAGES

Enquête - Ministres en surnombre, dont certains non qualifiés, clientélisme, postes héréditaires… Déception et amertume des universitaires à l’égard du nouveau gouvernement

Si la décision leur revenait d’accorder eux-mêmes la confiance au nouveau gouvernement, ils diraient «Non». Qu’ils viennent de l’USJ, de l’AUB, de l’université Haïgazian, de l’Usek, de la faculté des lettres de l’UL de Fanar, ou de la faculté de droit de l’UL de Sanayeh, les universitaires libanais, toutes confessions confondues, se sentent floués par la formation d’un gouvernement qui ne répond pas à leur attente. Leur déception est amère et ils l’expliquent, sans fioritures, mais avec pourtant quelques appréhensions. Partout, la même rengaine, les mêmes mots : les jeunes dénoncent ce qu’ils appellent «une mascarade», «une honte», «la monarchie» ou «le féodalisme», alors qu’ils déplorent que les intérêts personnels priment encore les intérêts nationaux. Et dans les universités chrétiennes, à l’unanimité, ce refus d’un gouvernement qualifié de prosyrien par les étudiants. La nomination de Rafic Hariri au poste de Premier ministre provoque des réactions mitigées. Les avis sont partagés, mais le scepticisme règne. «Il a commis trop d’erreurs lors de son précédent mandat, il a détruit le pays et n’en fait qu’à sa tête, constate Mike, étudiant en archéologie à l’Université libanaise de Fanar. Pourquoi le ramener ? Pourra-t-il faire mieux qu’avant ?» De son côté, Bruno appréhende ce qu’il appelle «la profanation par M. Hariri de la Constitution, des lois et des droits de l’homme». Et les commentaires vont bon train, alors que les jeunes tiennent à exprimer leur colère. On parle du projet d’augmentation des investissements, qui gonflera le déficit, la dette publique et les taxes. «Car c’est le peuple qui paie les déficits et paie les conséquences du gaspillage», déplore Rabih, étudiant en gestion à l’AUB. De son côté, Nabil, étudiant en administration publique à la même université, avoue sa crainte de voir M. Hariri s’attribuer tout le gâteau, dénonçant le danger que représente pour la démocratie sa nomination à l’unanimité et le fait que les partis les plus importants du Parlement figurent au gouvernement. «La majorité des étudiants ne sont pas satisfaits de l’absence de l’opposition au Parlement, de sorte que les décisions du gouvernement ne pourront pas être contestées, à l’heure où le pays s’appauvrit et ou la classe moyenne est en disparition», confie-t-il. À l’USJ, la colère fait place au fatalisme, mais les appréhensions sont là, exprimées différemment. Les jeunes sont convaincus que le but du Premier ministre est de légaliser l’implantation palestinienne, et c’est la raison pour laquelle ils le rejettent totalement. «Mais avons-nous seulement les moyens de crier tout haut notre refus ?», demande Wissam. Au beau milieu de ces avis négatifs, quelques voix s’élèvent en faveur de M. Hariri. Et la foi en lui, la certitude que les choses vont finalement bouger, l’espoir d’un avenir meilleur remplacent la déception. Ainsi, Sahar, étudiante en gestion à l’AUB, est sûre que «lui seul peut encourager les investissements et faire renaître la confiance, car il a une crédibilité non seulement locale mais surtout internationale». Quant à la composition du gouvernement, elle est sujette à une pléthore de critiques de la part des étudiants. À l’unanimité, ces derniers dénoncent le nombre trop élevé de ministres et la nomination, inutile à leur gré, des 7 ministres d’État. «Il faudra payer 30 salaires et peut-être bientôt 32», déplore un étudiant en médecine à l’AUB, ajoutant que cela va augmenter les frais et donc les taxes. «À quoi servent ces 7 ministres d’État, demande Degaulle, étudiant en théologie à l’Usek, nous savons tous qu’ils ont été nommés pour satisfaire les pôles du pouvoir, et non pour le bien du pays». En sciences politiques, à l’USJ, on parle même d’un «compromis entre MM. Lahoud, Hariri, Berry et Joumblatt, permettant à chacun d’entre eux de placer sa clique aux postes-clés». Mais on déplore surtout, dans les universités des régions chrétiennes, que ce gouvernement soit à la solde de la Syrie. «La décision n’est ni à Baabda ni à Koreytem, mais en Syrie», dit ironiquement Élie, à l’USJ, alors qu’à l’USEK, Chafic parle carrément de «gouvernement envahi par la Syrie». À l’UL de Fanar, c’est le même refrain, «ce gouvernement est imposé par la Syrie et composé de marionnettes actionnées à partir de là-bas», accuse Fady, étudiant en philosophie. Rien ne peut les persuader du contraire, et c’est toute leur rancœur qui ressort de ces quelques phrases, qu’ils répètent, comme une litanie. Ils sont convaincus que ce gouvernement ne les représente pas, et qu’il ne représente pas la rue chrétienne, car tous les partis chrétiens en sont absents, les Forces libanaises, le mouvement aouniste, le PNL… «Ce n’est certainement pas ainsi qu’on fera un gouvernement d’entente nationale», conclut Marc, étudiant en gestion à l’USJ. Aucune démocratie dans le choix des ministres La distribution des portefeuilles, elle, a donné lieu à des commentaires ironiques, accompagnés d’interrogations. Car les étudiants veulent comprendre pourquoi les sièges ministériels ont été distribués de la sorte, pourquoi ce manque de démocratie dans le choix des ministres, pourquoi ce sont les mêmes têtes qui reviennent, inlassablement. «Le nouveau gouvernement ? Quel gouvernement ? Vous appelez cela un gouvernement ?», lance Houssam, étudiant en médecine à l’AUB. Et ces jeunes de s’insurger contre l’omniprésence du féodalisme, contre la transmission d’un ministère de père en fils, notamment au niveau du ministère de l’Intérieur, contre le choix du médecin Karam Karam au poste de ministre du Tourisme, la nomination de M. Frangié au ministère de la Santé, et celle de M. Hraoui au ministère de la Défense, contre ce principe propre au Liban de ne pas mettre «la personne adéquate à la bonne place». «Nous espérions un changement, renchérit Sally, étudiante en sciences politiques à l’AUB, qualifiant le nouveau gouvernement de pathétique. Au lieu de cela, ils ont parachuté les mêmes ministres, leur donnant des portefeuilles pour lesquels ils ne sont pas qualifiés. C’est désespérant», ajoute-t-elle. Mais c’est le retour de Fouad Siniora au ministère des Finances alors qu’il fait toujours l’objet d’une enquête judiciaire qui a littéralement outré l’ensemble des étudiants. Et cette nomination, ils l’interprètent comme une provocation, comme une atteinte à l’indépendance du pouvoir juridique, comme une atteinte à la volonté du peuple. «M. Hariri savait pertinemment bien que le peuple opposerait son veto à la nomination de M. Siniora. Il l’a quand même choisi, par pure provocation», lance Ali, étudiant en droit à l’UL de Sanayeh. Sympathisante du gouvernement de M. Hariri, Manal qualifie d’insensé le retour de l’ancien ministre des Finances. «Il peut être innocent, explique-t-elle, mais il n’a pas sa place dans ce gouvernement, tant qu’il n’a pas été blanchi par la justice». Quelques bonnes nominations Par contre, quelques étudiants jugent bonne la composition de ce gouvernement. À part la nomination du ministre de l’Intérieur qu’il qualifie d’héréditaire, Sevag, étudiant en sciences politiques à l’université Haïgazian, trouve excellente la désignation de nouveaux ministres hautement diplômés, qui bénéficient d’une expérience positive dans la fonction publique. De même, d’autres saluent la venue de Georges Frem au ministère de l’Industrie. «C’est un industriel, il connaît mieux que quiconque les problèmes du secteur et représente un espoir pour nous autres étudiants, et pour le développement de l’emploi dans ce secteur», dit Rachel, étudiante en lettres françaises à l’UL de Fanar. Évidemment, les étudiants de l’université Haïgazian regrettent la nomination d’un seul ministre arménien, alors que selon les accords de Taëf, un ministère élargi devrait en comporter deux, vu que la communauté arménienne constitue l’une des sept grandes communautés du pays. Mais ils sont conscients du nombre déjà trop important de ministres. Antranik, étudiant en gestion, trouve qu’un second ministre serait utile à la communauté arménienne, «Mais serait-il utile au pays ? se demande-t-il, ajoutant que 30 ministres, c’est déjà trop pour le Liban». Si le pessimisme règne généralement, et que le terme «d’émigration» est sur toutes les langues, les universitaires déclarent tous être dans l’expectative, et ne peuvent s’empêcher de garder espoir. «Finalement, indique Hassan, le ministère de Hariri n’a pas le choix : il réussit ou alors il devra s’en aller. Et cette fois, c’est sa crédibilité qui est en jeu». Anne-Marie EL-HAGE
Si la décision leur revenait d’accorder eux-mêmes la confiance au nouveau gouvernement, ils diraient «Non». Qu’ils viennent de l’USJ, de l’AUB, de l’université Haïgazian, de l’Usek, de la faculté des lettres de l’UL de Fanar, ou de la faculté de droit de l’UL de Sanayeh, les universitaires libanais, toutes confessions confondues, se sentent floués par la...