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Actualités - REPORTAGE

Enquête express - Au lendemain de la condamnation de la chaîne de l’opposition L’élan brisé des employés de la MTV

Ils sont 453 employés, titulaires et contractuels, à avoir été sanctionnés, punis une dernière fois le 27 décembre, après trois longs mois de mise à mort, à travers le verdict de fermeture définitive de la MTV. 453 familles à avoir fait les frais d’une liberté d’expression de plus en plus atrophiée, menacée progressivement d’extinction totale. Et à avoir rejoint les rangs des damnés de la crise sociale et économique dans laquelle s’embourbe de plus en plus le pays. La quasi-totalité de ces 453 employés, qui appartiennent à différentes tranches d’âge, sont toujours au chômage. Certains ont pris le chemin de l’exil, vers Dubaï ou d’autres contrées jugées plus accueillantes. Seuls près de dix pour cent ont trouvé un autre travail, le plus souvent dans une autre chaîne de télévision. Mais, même pour ceux-là, c’est sur un profond sentiment d’injustice que s’achève l’année 2002. Et pour cause, cette année, ils auraient aimé la finir au sein de la MTV, en « famille ». Jusqu’au bout, certains ont espéré que – il est permis de rêver, surtout en période de fêtes – la chaîne reprendrait ses émissions, et que la justice triompherait. D’autres, plus cyniques ou réalistes, c’est selon, affirment qu’ « ils s’y attendaient », que « cela va dans le sens du pays ». Priés de commenter à L’Orient-Le Jour le verdict à l’encontre de la MTV, la plupart répondent, écœurés : « Il n’y a plus rien à dire », ou « ça ne sert plus à rien de parler ». Pourtant, une certaine énergie du désespoir les poussent à se confier encore une fois, notamment sur leur vie, après la MTV. Joumana Fehmi, 32 ans, était directrice de la grille de programme de MTV Satellite jusqu’à ce fameux 4 septembre 2002. « Je suis écœurée, dégoûtée de plus en plus, jour après jour », dit-elle, sans ambages, concernant la fermeture définitive de la chaîne. « Le seul constat à faire, c’est qu’il n’est plus permis d’écrire ou de s’exprimer dans ce pays », affirme-t-elle. Joumana Fehmi précise qu’elle a eu plusieurs propositions d’emploi durant ces trois derniers mois, mais elle a refusé jusqu’à présent de s’engager. « Je n’arrive pas à travailler ailleurs. La MTV, c’était avant tout une amosphère de famille », conclut-elle. Aurore el-Rouss, 29 ans, avait été giflée par les sbires d’un ministre, lors du Congrès des libertés, à l’Ordre des avocats, en septembre. Elle travaillait au département publicitaire, à la MTV. « Il n’y a plus rien à dire. Cette fermeture équivaut à nous intimer l’ordre de quitter le pays. Mieux vaut peut-être le faire, désormais », dit-elle, dépitée. « Le pire, c’est qu’il n’y a pas eu de réaction, cette fois. Désormais, ils peuvent faire ce qu’ils veulent, plus personne ne réagira, j’ai bien peur », souligne-t-elle. Aurore a du mal à dissimuler sa consternation et son attachement à la chaîne de télévision interdite. « Ils auraient pu nous donner un sursis », ajoute-t-elle, révoltée. Fort heureusement, elle a trouvé du travail il y a quelques jours. Michel Aachi, 31 ans, est réalisateur. Mais pour beaucoup, il était surtout le sourire de « Rahet Aalek », version locale de la caméra invisible. À la suite de la fermeture de la MTV, il a attendu, comme beaucoup d’autres employés, mais en vain. Il a ensuite été travailler à la chaîne satellite Orbit, puis tout nouvellement à la LBCI, qui, à l’instar de la New TV, a employé quelques réalisateurs et comédiens transfuges de la MTV. « Ce pays ne nous appartient plus. Les décisions nous sont devenues étrangères. Nous sommes désormais un bled du quart-monde », indique Aachi, profondément affecté par la fermeture de la chaîne de télévision. Il avait été tabassé par les FSI le 4 septembre 2002. Norma Younès, 38 ans, présentait tous les soirs le journal télévisé. Elle affirme, sans détours, qu’elle « s’attendait depuis quatre mois à ce dénouement ». Younès indique, sans plus de précision, qu’elle est sur le point de trouver du travail. Père de 4 enfants et au chômage Ghayyath Yazbeck, 43 ans, était, lui, rédacteur en chef du journal télévisé. Il a pris la tête du mouvement des employés à la fermeture de la chaîne. « Le verdict du tribunal des imprimés ne se base sur aucune référence juridique. Il s’agit d’une décision politique par excellence. La justice a été utilisée comme un outil de vengeance. Pire, comme un tueur à gages », précise-t-il. Yazbeck, qui est marié et père de quatre enfants, est toujours au chômage. Hyam Abou Chédid, 40 ans, animait le talk-show « Jadal », touchant à divers sujets socio-politiques polémiques. « Cette décision m’a fait mal. Il ne m’appartient pas de juger, et je ne sais pas quels en sont les dessous. L’essentiel, c’est le résultat. Et il est très dur. La fermeture de la MTV est un problème qui concerne tous les Libanais », affirme-t-elle. Elle confie par ailleurs que sa première réaction a été de vouloir quitter le pays, pour l’avenir de ses enfants. « Mais, en fin de compte, l’on se rend à l’évidence : il faut rester ici et lutter », conclut-elle. Claude Abounader Hindi, présentatrice du programme d’investigation « Tahqiq », a eu une année des plus difficiles. Pour ne pas dire ubuesque. Après l’incarcération de son mari, Toufic Hindi, il y a eu le scandale MTV. « Je n’ai pas eu le temps de chercher du travail. J’attachais de l’espoir quant à ce verdict, espérant que la justice allait nous rendre justice, à nous les 500 employés », dit-elle. « C’est une grande perte pour les employés et pour le pays. La MTV reflétait une belle image du Liban », ajoute-t-elle. Et Mme Hindi de préciser qu’elle est toujours au chômage et que son mari n’a toujours pas été réintégré à l’Université libanaise. Ziad Noujeim, 44 ans, dentiste de profession, s’attendait à une telle condamnation de la MTV. « Le contraire m’aurait étonné, vu le contexte politique dans lequel se trouve le pays. Du reste, la réouverture aurait été impossible : la MTV n’aurait pas pu redémarrer normalement. Depuis le 4 septembre, je n’ai pas arrêté d’être sidéré. Et je me demande si un jour, le citoyen libanais pourra s’identifier à l’État et si l’État libanais pourra un jour acquérir la légitimité et la légalité. Je suis enfin sidéré par l’absence du peuple libanais. Où sont les téléspectateurs et les amis de la MTV ? Les ordres professionnels, les syndicats, l’Ordre des avocats, les ONG de défense des droits de l’homme ? Où sont les esprits libres et indépendants du Liban? », lance-t-il, dans un cri, lucide, de détresse. « J’ai des plans pour une nouvelle émission début 2003. Mais lorsqu’on me demande ce que je deviens, ou ce que je vais faire, je réponds : je suis ce que j’ai toujours été : libre, libre, libre », conclut l’animateur d’« Istifta ». Un verdict sans surprise Comme les autres, Roger Matar, directeur des opérations, n’a pas vraiment été surpris du verdict de la Cour de cassation vendredi. « Nous espérions quand même que les juges créeraient la surprise », souligne-t-il. « Mais dans tous les cas, nous nous attendions au moins à ce qu’une peine soit prononcée contre la MTV si la fermeture devait être maintenue. Les juges ne se sont même pas attaqués au fond du problème. » Quant à l’espoir, il n’est plus de mise. « Les employés avaient déjà commencé à chercher du travail à l’issue du second jugement de la Cour des imprimés », raconte M. Matar. « Si quelques-uns ont eu de la chance, beaucoup restent au chômage. » Lui-même a été embauché récemment par une entreprise au Liban. Priée de commenter la fermeture définitive de la MTV, Christine Haddad, 22 ans, qui travaillait en tant que secrétaire dans la chaîne, dit tout simplement et tristement : « Nous commençons à nous habituer à l’idée. » « Mais nous avions quand même espoir que la chaîne pourrait redémarrer », poursuit-elle. « Nous sommes toujours en état de choc. » Le cas de Christine est particulièrement dramatique puisque son mari, Élie Yammine, 30 ans, était caméraman à la MTV lui aussi, et que son propre père était également employé dans la chaîne. Une famille durement touchée en somme. Christine est d’ailleurs la seule des trois à avoir trouvé un emploi. « Mon mari cherche du travail dans n’importe quel domaine, parce qu’il lui est très difficile de trouver un nouveau poste de caméraman », raconte-t-elle, avant de s’exclamer : « Nous avons des traites à payer ! » Pour Christine et sa famille comme pour Fadi Skaff, un caméraman de 28 ans père de deux filles de quatre et cinq ans, les fêtes ont été moroses. « Je n’ai pu acheter à mes filles ni jouets ni habits neufs », déplore-t-il. « Elles sont malheureuses et je n’y peux rien. Il faut dire que je n’ai même pas pu inscrire ma cadette à l’école cette année, faute de moyens. » Fadi, qui a de vieux parents à sa charge, étant leur fils unique, et qui doit payer les traites de sa maison, n’a pas encore trouvé un autre emploi. « Certaines chaînes de télévision nous avaient promis de nous engager, mais n’ont pas encore tenu leurs promesses », indique-t-il. « La plupart de mes collègues veulent s’expatrier, mais moi, je ne peux pas le faire, étant donné que je m’occupe de mes parents. » Fadi reste révolté par le dernier jugement de la Cour de cassation qui a consacré la fermeture de la MTV. « Ils veulent déformer la vérité, sinon pourquoi s’en seraient-ils tenus à la forme sans aborder le fond ? » dit-il. « La décision de fermeture est politique. » Garde-t-il un espoir quelconque ? « J’ai foi en Dieu et j’espère que le Parlement pourra rectifier le tir (en amendant l’article 68 de la Constitution, comme l’a suggéré le député Salah Honein et Me Edmond Naïm) », souligne-t-il. Au-delà de l’imbroglio juridique et de la vendetta politico-familiale, l’affaire MTV aura brisé l’élan de centaines de personnes, jeunes pour la plupart, qui croyaient faire carrière et bâtir une vie digne pour leurs familles. Suzanne BAAKLINI Michel HAJJI GEORGIOU
Ils sont 453 employés, titulaires et contractuels, à avoir été sanctionnés, punis une dernière fois le 27 décembre, après trois longs mois de mise à mort, à travers le verdict de fermeture définitive de la MTV. 453 familles à avoir fait les frais d’une liberté d’expression de plus en plus atrophiée, menacée progressivement d’extinction totale. Et à avoir rejoint...