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Actualités - CHRONOLOGIE

Dialogue - Ghazi Aridi interdit, pour cause de « propagande », la diffusion d’un documentaire sur la vie des musulmans aux États-Unis L’art du possible et les ciseaux de la censure(photo)

Quoi qu’on en dise, le dialogue n’est pas facile. Il s’établit par de laborieux et patients efforts pour jeter un pont entre des réalités souvent très opposées, parfois réfractaires l’une à l’autre. Il y faut une juste vision et de la ténacité. Et des moyens humains exceptionnellement résistants. Il faut accepter de donner sans penser à recevoir immédiatement quelque chose en retour. Il faut savoir parler, s’exprimer, mais aussi écouter. C’est à peu près dans ces dispositions d’esprit qu’un groupe de musulmans américains regroupés au sein d’une association dite Council of American Muslims for Understanding (CAMU - Conseil des Américains musulmans pour l’entente) se trouve en visite au Liban dans le cadre d’une tournée effectuée en partenariat avec le département d’État, pour tenter de donner une image plus objective de leur existence aux États-Unis à leurs coreligionnaires arabes, malaisiens ou indonésiens. Nous les avons rencontrés à l’ambassade américaine, à Awkar, dans le cadre affable du domicile privé d’un diplomate américain, soucieux de se défendre de faire de la propagande, comme les en a accusés le ministre de l’Information, Ghazi Aridi, qui a décidé, en accord avec la Sûreté générale, d’interdire la diffusion d’un documentaire qu’ils voulaient faire passer sur les écrans de la télévision officielle. Pour l’occasion, nous sommes invités à visionner l’objet du « délit » : un court documentaire tourné dans cinq foyers musulmans prospères aux États-Unis, dont il ressort un peu naïvement que tout est rose pour les musulmans des États-Unis, alors que tout le monde sait que, même s’il l’était, ce rose a viré au rouge et au violet pour certains musulmans américains d’origine arabe et pour des étudiants arabes aux États-Unis, qui ont eu à souffrir de discriminations, de tracasseries administratives et policières, après les attentats du 11 septembre 2001. Et de harcèlements qui, dans des cas très rares, ont coûté la vie à quelques-uns d’entre eux. Pour l’écrivain et consultant Hachem el-Tinay, d’origine soudanaise, Abdel-Raouf Hammuda, propriétaire d’origine libyenne d’une boulangerie à Toledo, sa femme Shadia, d’origine syrienne et Assem Ghafoor, avocat, d’origine indienne, l’objectif est d’entrer en contact de peuple à peuple, de combler le fossé creusé par la propagande des deux bords, entre les musulmans américains et leur coreligionnaires d’autres nationalités. Leur mission, ils en prennent de plus en plus conscience, à mesure qu’ils l’accomplissent, n’est ni simple ni facile. Parler de leur vie aux États-Unis, aussi idéale qu’elle puisse leur paraître, soulève immédiatement des barrières. Celle érigée dans les esprits par la politique extérieure des États-Unis, si injuste, si arrogante. C’est ce qui rend leur mission difficile. Ils sont venus rendre compte d’un vécu bien réel, tout en ayant conscience des déformations dont les médias et les gouvernements se rendent coupables, en diabolisant l’autre. Mais aussi difficile que soit leur mission, celle de leurs auditeurs ne l’est pas moins. Car comment écouter sereinement ces explications, quand on vit, comme les Palestiniens et avec les Palestiniens, tous les Arabes, un enfer dont les souffrances se renouvellent tous les jours ? Et certes, le fait qu’ils sont là avec l’assentiment du département d’État, et que ce dernier y trouve son intérêt, est un point faible. Fallait-il pour autant leur interdire de s’exprimer à la télévision ? N’aurait-il pas été plus judicieux de leur permettre, au contraire, de s’exprimer, et d’obtenir ainsi le droit de réciprocité pour exposer, chez eux, notre propre point de vue ? Du reste, la propagande, les déformations et les préjugés ne sont-ils pas le lot de tout effort de dialogue entre les cultures, les religions, les civilisations, surtout s’il existe entre ces dernières un contentieux de souffrances humaines ? Fort heureusement, les membres de la délégation d’Américains musulmans a pu rencontrer des étudiants sur les campus de l’AUB et de la LAU et se prêter à un débat sur la Future TV, qui a diffusé leur documentaire, ce qui a rendu leur visite au Liban un peu moins ingrate. Ne peut-on voir, dans leur démarche, non un geste de propagande ou une ruse, mais une démarche politique, comprise comme « l’art du possible », comme n’a cessé hier de le souligner, au cours de sa rencontre avec la presse, Hachem el-Tinay ? Ne valait-il pas mieux accepter ce geste et la déclaration de bonne foi qui l’accompagne, et en faire le meilleur usage, comme ne cesse de le dire un Rafic Hariri, l’un de ceux qui ont le mieux compris, chez nous, la façon dont les groupes de pressions et la démocratie fonctionnent aux États-Unis, et qui a constamment plaidé pour qu’on en apprenne le bon usage ? Voilà, en quelques mots, le sens de la démarche de ces Américains musulmans qui s’adressent à des Arabes musulmans, pour leur dire qu’il fait bon pour un musulman vivre aux États-Unis, alors même que des armes américaines sont utilisées contre des musulmans vivant sous d’autres cieux que ceux de New York, Detroit, Chicago et autres villes, où vivent les 8 millions de musulmans des États-Unis, avec leurs 2 000 mosquées et leurs 500 écoles islamiques. En leur refusant le droit de s’exprimer pleinement, même sur le mode défensif, le Liban a donné un mauvais exemple qui, on doit l’espérer, ne sera pas suivi par les autres pays arabes ou musulmans dans lesquels ils doivent encore se rendre : le Koweït, la Jordanie, le Maroc, la Malaisie, l’Indonésie et l’Égypte. Fady NOUN
Quoi qu’on en dise, le dialogue n’est pas facile. Il s’établit par de laborieux et patients efforts pour jeter un pont entre des réalités souvent très opposées, parfois réfractaires l’une à l’autre. Il y faut une juste vision et de la ténacité. Et des moyens humains exceptionnellement résistants. Il faut accepter de donner sans penser à recevoir immédiatement...