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Actualités - CHRONOLOGIE

COLLOQUE - Formation insuffisante des enseignants, matériel pédagogique inexistant, programmes incohérents… Réforme éducative: des objectifs louables, une application défectueuse (photo)

La réforme des programmes scolaires de mai 1997 continue de faire couler beaucoup d’encre. Mise en place par le ministère de l’Éducation et le Conseil de la recherche et du développement pédagogique (CRDP) soucieux d’assurer aux élèves une formation à l’autonomie, à la citoyenneté et à l’universalité, elle est aujourd’hui montrée du doigt par bon nombre de responsables pédagogiques et d’enseignants. Tour d’horizon avec le docteur Hoda Nehmé, secrétaire académique à la faculté de philosophie et des sciences humaines de l’Usek, qui dresse un bilan des lacunes de cette réforme éducative, mises en évidence lors d’un colloque sur le thème: «Le troisième millénaire, quelle éducation pour quelle jeunesse?» Le colloque, organisé par l’Usek, en collaboration avec le ministère de l’Éducation, le CRDP et une quarantaine d’établissements scolaires, entendait apporter des réponses à la polémique qui oppose depuis plusieurs années théoriciens et praticiens, autour de la réforme scolaire. Polémique qui se résume dans cette interrogation : les nouveaux programmes habilitent-ils les élèves, en fin de cursus scolaire, à devenir des citoyens autonomes, universels, capables de se greffer sur les valeurs éducatives véhiculées par la mondialisation ? « Une connaissance approfondie des objectifs généraux de cette réforme permet de dire que les nouveaux programmes scolaires, tels qu’ils ont été conçus, sont d’une haute qualité morale, éducative, scientifique et universelle. Ils constituent ainsi un point de départ logique et cohérent à la réforme de l’éducation », constate Hoda Nehmé. « Cependant, c’est au niveau de l’application de ces objectifs que le bât blesse », remarque-t-elle, précisant que l’écart est énorme entre les objectifs fixés et la réalité. Des allègements arbitraires C’est ainsi que les problèmes rencontrés dans l’application de la réforme ont été mis en exergue lors des travaux du congrès. La formation des professeurs à l’enseignement des nouveaux programmes s’est avérée insuffisante, d’autant plus qu’elle exigeait d’eux un changement total de mentalité. Il devenait, dans ces conditions, difficile de faire disparaître le mythe du maître tout-puissant et de placer l’élève au centre de l’action éducative, comme le prônaient ces programmes. En outre, la majorité des établissements scolaires, plus spécifiquement les écoles publiques, n’étaient pas en mesure d’assurer le matériel pédagogique nécessaire à l’enseignement de nouvelles matières comme la technologie, pour ne citer que cette matière. Quant aux contenus des programmes, parfois insuffisamment travaillés, souvent trop longs, charcutés, sous prétexte d’allégement, de parties indispensables à la compréhension de l’ensemble d’une matière, ils laissaient à désirer, provoquant une baisse incontestable du niveau culturel. « Aujourd’hui, déplore Mme Nehmé, les élèves venus de l’enseignement public et désireux de poursuivre leurs études à l’étranger doivent se résoudre à suivre une ou deux années de remise à niveau avant d’être acceptés dans une université, alors qu’il n’y a pas si longtemps, leurs aînés brillaient dans ces mêmes établissements. » Et la secrétaire académique de dénoncer la suppression des cours de sexualité dans les écoles qui a découlé d’une décision politique. Quant aux méthodes d’apprentissage de certaines matières, elles dépassent parfois toute cohérence. « À titre d’exemple, précise-t-elle, la philosophie, tel qu’il est prévu de l’enseigner, empêche l’élève de penser et le confine dans l’étude de recettes toutes faites, de questions-réponses, qui empêchent sa créativité et son esprit critique de se développer. Et pourtant, seule la philosophie apprend à l’enfant à douter, à poser des questions pour aller vers la certitude. » S’il n’est pas habitué à se poser des questions mais à tout mémoriser, à tout accepter, quand se remettra-t-il en question ? Prise de conscience de l’État « Quant aux nouveaux manuels édités en fonction de la réforme, ils sont tout simplement truffés d’erreurs alors que la sélection des textes littéraires et philosophiques n’est pas justifiée », poursuit Mme Nehmé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle de nombreux enseignants refusent de s’y fier. Et de regretter le fait que la majorité des enseignants qui ont rédigé ces manuels scolaires se soient attelés à la tâche durant leurs moments libres, après avoir travaillé toute la journée dans des établissements scolaires, alors qu’une équipe de travail aurait normalement dû se consacrer, de manière exclusive, à leur élaboration. Les lacunes sont nombreuses, sans compter que cette réforme s’est heurtée à une administration éducative sclérosée qui n’a pas été en mesure de se moderniser pour accompagner ces changements. Mais il ne fait aucun doute que la prise de conscience du problème est grande, tant dans les milieux éducatifs qu’au niveau du Centre de recherche et de développement pédagogique (CRDP), dont la présidente, Leila Fayad, a qualifié d’erreur le fait que les nouveaux programmes n’aient pas été testés dans des écoles expérimentales avant d’être mis en application. « En fait, précise la secrétaire académique, l’évaluation des nouveaux programmes est une tâche difficile qui ne peut se faire qu’après deux générations.» « De toute manière, ajoute-t-elle, on ne peut aujourd’hui prétendre mener la moindre évaluation car les écoles publiques, dans leur majorité, n’ont bénéficié ni d’enseignants spécialisés dans l’application des nouveaux programmes ni d’équipements pédagogiques adéquats. » De nombreuses recommandations ont marqué ce colloque. L’ensemble des participants, notamment les enseignants, ont réalisé la nécessité d’un changement radical de mentalité, par le biais de stages de recyclage destinés au corps professoral, pour une bonne application des programmes. Ils ont aussi insisté sur la refonte de certaines parties du programme ou de matières spécifiques dans leur totalité. La solution idéale, selon Mme Nehmé, serait que l’État, le CRDP et les représentants des établissements scolaires œuvrent de pair, dans une confiance mutuelle, à la refonte de ces programmes, afin de sauver les diplômes délivrés par l’État, qui sont aujourd’hui en péril. « Sinon, observe-t-elle, aucune application actuelle ne peut prétendre conduire les élèves vers les objectifs fixés par la réforme. » « L’école au Liban va aujourd’hui à l’échec, dénonce la secrétaire académique, car la réforme n’est encore que théorique. Dénué de toute richesse éducative, l’enseignement contribue à une destruction de l’identité culturelle de l’élève, qui évolue dans un monde où tout tend à se ressembler. Il cloisonne les étudiants dans un obscurantisme où la vision future n’est pas claire. » Redonner à l’école sa gloire d’antan est, à ce stade, une gageure. Il faudrait pour cela que l’État et le CRDP soient disposés à remanier totalement les programmes ou, pour le moins, à corriger les erreurs de parcours. Certes, l’un et l’autre affichent une prise de conscience claire des lacunes de la réforme éducative, mais une action radicale ne semble pas avoir été prévue de sitôt. Anne-Marie EL-HAGE
La réforme des programmes scolaires de mai 1997 continue de faire couler beaucoup d’encre. Mise en place par le ministère de l’Éducation et le Conseil de la recherche et du développement pédagogique (CRDP) soucieux d’assurer aux élèves une formation à l’autonomie, à la citoyenneté et à l’universalité, elle est aujourd’hui montrée du doigt par bon nombre de...