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Actualités - OPINION

Naviguer... au juste

La bruyante célébration annuelle de la fête de l’Indépendance dans un pays qui en manque cruellement (pas d’occasions de festoyer, mais d’indépendance !) devrait avoir cessé – depuis le temps – de déranger les âmes chagrines, qui n’apprécient pas trop en effet l’humour noir. Les plus sages y verront, selon le cas, une occasion d’entretenir vaille que vaille l’idéal de l’émancipation ou, plus simplement, une de ces curiosités qui font la particularité du Liban, pays de contrastes comme on sait. Les diverses présidences, le Parlement, le gouvernement, les appareils sécuritaires contrôlés ? C’est désormais de la vieille histoire. Mais comme on n’arrête pas le progrès, on s’est brillamment arrangé cette année pour donner au peuple un nouveau motif de préoccupation, pour l’amener à douter de la seule forme d’indépendance qu’il croyait miraculeusement épargnée par les contraintes de la géopolitique : celle du pouvoir judiciaire, ultime rempart encore debout dans un paysage institutionnel de carton-pâte, dont la reconstruction sur des bases solides, crédibles, n’a pas bénéficié hélas de la même attention, du même sérieux que le centre-ville de Beyrouth par exemple. Pour toute société, l’indépendance des juges est littéralement affaire de vie ou de mort ; et c’est encore plus vrai s’agissant du Liban, où l’on s’ingénie à faire cohabiter de force démocratie de façade et tentation totalitaire et où, en sus des gens du pouvoir, les juges doivent compter avec les tireurs de ficelles. Faut-il croire, mais ce serait alors la fin de tout, que la justice libanaise est devenue une administration comme les autres, c’est-à-dire sujette aux injonctions ou aux cadeaux des politiciens comme l’affirmait tout récemment avec fracas le président du Conseil supérieur de la magistrature Nasri Lahoud, au moment de prendre sa retraite ? Pour une grande partie de l’opinion publique en tout cas, la cause est entendue. Des verdicts ont été rendus ces dernières semaines, allant rigoureusement dans le sens des souhaits déclarés ou supposés des responsables et qui heurtaient aussi bien les estimations des juristes que le bon sens populaire. Ainsi une station de télévision, la MTV, s’est vu infliger la sanction maximum – la fermeture pure et simple – alors que la même instance ne s’était guère émue des excès encore plus graves dont s’était rendue coupable, lors des élections législatives de 2000, la chaîne étatique Télé-Liban. Et une cour prestigieuse s’est inexplicablement donné latitude de désigner comme vainqueur d’une élection partielle controversée un candidat ayant recueilli un peu plus de deux pour cent des suffrages exprimés, au lieu d’ordonner la tenue d’un nouveau scrutin. La chasse aux sorcières visant des personnalités de l’opposition chrétienne, amorcée au lendemain du congrès de Los Angeles mais qui n’a commencé à prendre forme que dans la foulée de la campagne menée contre le Rassemblement de Kornet Chehwane, n’est pas faite, bien au contraire, pour réparer l’effet désastreux de ces jugements sur le moral de la nation. Bien sûr, la justice est tenue de poursuivre quiconque aurait engagé ou entretenu des contacts avec l’ennemi israélien ou qui œuvrerait contre la sécurité de l’État. Dans son propre intérêt et celui du pays, elle ferait bien cependant, la justice, d’éviter les sommeils prolongés comme les réveils soudains qui, tous deux, font jaser – et désespérer – le peuple. On a de la peine à croire, ainsi, que le ministère public vient tout juste d’avoir vent (par voie de presse, de surcroît ?) d’une prétendue visite de condoléances qu’aurait rendue Amine Gemayel à l’ambassade d’Israël à Paris, au lendemain de l’assassinat de Yitzhak Rabin, ce que l’ancien président a formellement démenti hier. Avec un petit effort de mémoire, n’ aurait-on pas pu recenser, en prime, quelques bonnes dizaines d’hommes politiques qui n’avaient pas craint de se compromettre dans des contacts de ce genre lors de l’invasion israélienne de 1982 mais qui, par la suite, se sont refait une virginité en retournant leur veste à temps ? Cet écueil de la sélectivité en matière de poursuites, dont l’illustration la plus célèbre est l’affaire Geagea, n’est pas le seul qui guette le radeau de la justice. Le zèle intempestif déployé par certains hauts fonctionnaires, promis dit-on à des charges plus hautes encore, risque de conduire à la longue en effet à un amalgame aussi périlleux que scandaleux entre quête légitime d’indépendance et intelligence avec l’ennemi. Car ce n’est certes pas faire le jeu d’Israël que d’aspirer, comme le commande le devoir national le plus élémentaire, à une normalisation totale des rapports avec la Syrie, impliquant nécessairement un retrait dans l’honneur, dûment programmé, des troupes de Damas stationnant sur notre sol : toutes choses explicitement prévues par cette bible politique qu’est l’accord de Taëf, que les responsables vous brandissent à tout propos à la figure... sauf quand il s’agit précisément de la présence syrienne. À l’heure où le gouvernement est tenu d’exhiber ses certificats de bonne conduite devant les grands argentiers de la planète, où bouillonne le chaudron palestinien, où la région tout entière se prépare à encaisser l’onde de choc d’une guerre américaine contre l’Irak, ce n’est pas d’une moyenâgeuse inquisition qu’a besoin le pays. Et la seule chose que l’on voudrait voir nous procurer les procureurs, c’est un regain de confiance dans les plus sacro-saintes de nos institutions. Issa GORAIEB
La bruyante célébration annuelle de la fête de l’Indépendance dans un pays qui en manque cruellement (pas d’occasions de festoyer, mais d’indépendance !) devrait avoir cessé – depuis le temps – de déranger les âmes chagrines, qui n’apprécient pas trop en effet l’humour noir. Les plus sages y verront, selon le cas, une occasion d’entretenir vaille que vaille...