Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Droits de l’homme - Le journaliste relâché hier compte se consacrer à la cause des prisonniers Habib Younès retrouve la liberté et sa famille(photos)

La prison peut briser bien des volontés. Apparemment pas celle de Habib Younès qui en est sorti avec 1 258 poèmes, « autant de maximes découlant de ma douloureuse expérience », une foi grandissante et la détermination de faire sienne la cause de l’amélioration des conditions de vie dans les centres de détention. Hier, les portes de la prison de Roumié se sont ouvertes un peu avant 9h30 permettant ainsi au journaliste du quotidien al Hayat de respirer à nouveau l’air de la liberté et de retrouver sa famille bien aimée. Arrêté en août 2001 à la suite de rafles dans les rangs des partis de l’opposition chrétienne et condamné à trois ans de prison (une sentence qui a été réduite à quinze mois) pour « contacts avec l’ennemi », une accusation qu’il a toujours niée, Habib Younès a tout simplement déclaré à sa sortie : « J’ai été incarcéré injustement et j’aime mon pays. » Un grand nombre de parents et d’amis (dont les membres de l’équipe du quotidien al-Hayat), des étudiants du Courant patriotique libre et des journalistes attendent la sortie de Habib Younès devant la porte extérieure de la prison. Certains de ses collègues, à l’instar des membres de sa famille, lui ont fréquemment rendu visite durant son incarcération, et trépignent d’impatience à l’idée de le revoir libre. Une fidélité que ne manquera pas de souligner plus tard le journaliste. Sa femme Mireille, sa fille de six ans Line, son frère Farid et son avocat Riad Matar sont les seuls à pénétrer dans l’enceinte de la prison. Quand la voiture passe enfin la porte de sortie, ramenant avec elle le journaliste libéré et sa famille, les applaudissements de la petite foule retentissent. Dans la cour du petit bâtiment servant de centre à l’Agem, une association œuvrant pour le bien-être des prisonniers, qui se trouve juste devant la prison, Habib Younès est porté à bout de bras par ses amis malgré ses protestations. Sa première accolade à sa mère est un moment de très forte émotion. Outre la séparation et les souffrances qui ont duré plusieurs mois, un autre chagrin a frappé la famille : la mort du père durant la période d’incarcération de M. Younès qui n’a pas été autorisé à participer aux obsèques. C’est pour se recueillir devant la tombe paternelle qu’il a d’ailleurs fait le trajet jusqu’à son village natal de Tannourine, juste après sa libération. Les yeux cernés mais sans aucune trace d’amertume, las mais heureux, Habib Younès, entouré de sa femme et de sa fille à qui il lance souvent des regards complices, la voix cheuvotante quand il s’adresse aux journalistes. « Permettez-moi de pleurer, les larmes ne sont pas toujours un signe de faiblesse, dit-il. Je ne sais pas ce qu’il convient de dire quand on vous accuse de trahir votre pays que vous aimez. » Commentant le jugement qui a été prononcé dans son cas, il déclare : « Il est de mon droit de dire que j’ai été victime d’une injustice. Cependant, j’ai appris d’un grand homme de loi que le jugement est une vérité officielle, mais qu’elle ne correspond pas nécessairement à la vérité tout court. » M. Younès assure qu’il va reprendre dès que possible son travail de journaliste « dans ce quotidien qui a été une seconde famille pour moi et que je ne sais comment remercier ». Plus tard, à une question portant sur ses positions politiques et s’il allait les modifier, il répond : « Je ne faisais pas de politique à l’origine, ce qui augmente mon incompréhension face aux poursuites dont j’ai fait l’objet. Mais ma plume libre, je n’y renoncerai jamais. Une plume qui n’est pas libre n’est qu’un bout de bois mort. » Considère-t-il son emprisonnement comme un message ? « J’espère que tout journaliste libre comprendra que ce message s’adresse à lui autant qu’à moi », souligne-t-il. « Il y a beaucoup d’innocents en prison » Le journaliste-poète est intarissable dès qu’il s’agit de son expérience carcérale. « Je peux vous dire que je suis très heureux de me retrouver libre, mais j’ai gardé une partie de moi dans ces cellules », raconte-t-il. « Il y a beaucoup d’innocents là-dedans, croyez-moi. » Il profite pour enchaîner : « Notre dossier n’est pas encore clos. Un collègue à nous, Antoine Bassil, est toujours incarcéré. Je souhaite à ses proches de le retrouver bientôt parmi eux. » Antoine Bassil, un autre journaliste, a été arrêté peu avant Habib Younès et est condamné à 30 mois de prison. Toufic Hindi, conseiller politique des Forces libanaises (FL) qui faisait lui aussi partie des 200 personnes arrêtées en ce mois d’août 2001, a été relâché il y a dix jours. M. Younès est par ailleurs déterminé à faire tout son possible pour alléger les souffrances de ceux qui furent ses codétenus, assurant que cette expérience a totalement modifié l’image qu’il pouvait avoir de la prison. Ainsi, il compte publier au plus vite les 1 258 poèmes qui ont cristallisé sa douloureuse expérience carcérale pour en consacrer les bénéfices à une action en faveur des prisonniers. Ses proches racontent d’ailleurs que du temps de son emprisonnement, il leur commandait régulièrement des affaires pour les plus démunis d’entre eux. Habib Younès reste confiant dans l’avenir, « je n’ai pas l’habitude de perdre espoir ». Il précise qu’il visitera certainement, dès son retour de Rome, le patriarche maronite, Nasrallah Sfeir, qu’il a rencontré lors de sa visite à Roumié à l’occasion du passage des reliques de sainte Thérèse. « Aujourd’hui, je sens que c’est la fin d’un Golgotha qui a duré un an, trois mois et un jour », déclare pour sa part Mireille Younès. « Heureusement que Habib nous est revenu avec sa profonde expérience humaine qui va résulter, j’en suis sûre, en la publication de plusieurs ouvrages. » Son frère Farid raconte : « C’est un homme qui n’a jamais accepté de quitter son pays, même en temps de guerre. Il me disait qu’il ne s’en irait que s’il pouvait emporter les cèdres avec lui. C’est cet homme qu’on a mis en prison. » L’accueil chaleureux que Habib Younès a reçu à sa sortie de Roumié s’est renouvelé à son domicile de Mastita, Jbeil. Dès 13h, heure de son arrivée, la maison située dans une rue paisible grouille de visiteurs et d’amis. Les yeux se remplissent de larmes, les accolades se multiplient. La maison résonne du rire cristallin et du regard pétillant de la petite Line. Son père, entre-temps, n’a presque pas cessé de répondre au téléphone. Habib Younès pourra dorénavant reprendre ses activités favorites, comme il le dit lui-même, écouter de la musique, en faire, rencontrer des amis, écrire… Et, surtout, se réinvestir au sein de sa famille qui a partagé ses toutes souffrances. Suzanne BAAKLINI
La prison peut briser bien des volontés. Apparemment pas celle de Habib Younès qui en est sorti avec 1 258 poèmes, « autant de maximes découlant de ma douloureuse expérience », une foi grandissante et la détermination de faire sienne la cause de l’amélioration des conditions de vie dans les centres de détention. Hier, les portes de la prison de Roumié se sont ouvertes un...