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Actualités - CHRONOLOGIE

CONCERT - À l’Assembly Hall (AUB) Éblouissant Armen Babakhanian(PHOTO)

Pour ceux qui avaient eu la chance de l’écouter, il y a deux ans déjà, au temple de Jupiter à Baalbeck, le souvenir ébloui reste entier. Aujourd’hui, ce pianiste hors pair revient avec un programme explosif et virtuose. Présenté par le Hamazkaïne devant une salle comble à l’Assembly Hall (AUB), Armen Babakhanian, petite queue-de-cheval au ras de la nuque malgré une calvitie galopante, costume sombre, lunettes claires et sourire aux lèvres, a littéralement tétanisé une audience religieusement recueillie et conquise d’avance. Au menu, riche et d’une très haute voltige pianistique, des pages de Mozart, Prokofiev, Komitas, Abrahamian, Andréassian, Babadjanian et Chopin. Voyage magnifique de Vienne en Ukraine, en passant par l’Arménie profonde, pour finir en terre d’exil polonaise. Partitions superbes alliant les sonorités les plus douces et les plus hardies, restituées ici avec un éclat de diamant pur. Ouverture (tel un vibrant hommage à la mère-patrie) avec les Douze variations en do majeur sur le thème populaire français « Ah! Vous dirais-je maman » du génie de Salzbourg. Exquise et charmante narration où se mêlent en toute ingénuité la fraîcheur et la tendresse d’un Mozart divinement inspiré. S’échappant avec une infinie douceur du motif initial, rêvant comme un promeneur solitaire dans des sous-bois aux rais de lumière imprévisibles, revenant à la source première comme après une tonique et délicieuse digression, le pianiste a conduit de doigts de maître ces notes luisantes comme des nacres échappées à des coquilles malicieusement entrebaillées. Changement d’atmosphère à l’arraché avec les orageux Sarcasmes op 17 de Serge Prokofiev qui a beaucoup écrit pour le piano, son instrument de prédilection. Cinq mouvements pour dire l’emportement, la dérision, l’ironie, la force de caractère, le tempérament vif, la véhémence colérique, les nuances marquées au fusain d’une expression fougueuse et incendiaire. Martelant le clavier, changeant avec presque sauvagerie de rythmes, cette œuvre, reflet d’une pensée tendue, âpre et haletante, éruptive sans manquer toutefois de tendresse, a laissé le public sous l’impression d’une déferlante de feu. Pour prendre le relais à cet ouragan, du cœur du pays aux couleurs grenat ont surgi des mélodies venues d’un autre temps. De l’Abricotier de Komitas à la Perdrix d’Andreassian pour finir avec le Prélude en sol majeur d’Abrahamian se sont succédé des images nostalgiques, des aquarelles d’un ciel teinté au bleu des chansons tristes des ermites vivant au creux des hauts plateaux, des complaintes anonymes d’un exilé invoquant l’oiseau migrateur, la prière d’un moine dans une église creusée à même le roc, des appels enflammés à la liberté et à la justice. C’est tout cela et un peu plus, la musique venue des flancs du mont Ararat. Et pour conclure la première partie de ce programme, continuation dans le sillage d’une terre où l’arche de Noé s’est posée avec les Six tableaux pour piano op 40 d’Arno Babadjanian. Sans rappeler les Tableaux d’une exposition de Moussorgsky où seul le titre peut être une liaison entre les deux partitions, cette œuvre, placée plutôt sous le signe de l’expression de Scriabine et Ravel, débordante de vitalité, au souffle puissant, aux césures brusques, aux phrases tranchantes et aux rythmes accélérés, se termine en apothéose par une Danse de Sassoune aux couleurs ignifiées. Sans aucune citation folklorique précise, cette composition somptueuse et aux harmonies audacieuses est l’essence même d’un folklore où se rattache l’art populaire d’une Arménie bouillonnante de vie, d’élans, de nostalgie et de fougue. Du songe sonore du pays de Sayat Nova à l’univers d’un romantisme ténébreux de l’exilé polonais, il n’y avait qu’un pas, franchi avec le même enthousiasme, la même verve, la même allégresse et le même zèle par Babakhanian, qui décline là une superbe palette des pages du plus poète des pianistes : Frédéric Chopin. Scherzo n1 (en si mineur op 20) ouvre le bal des notes où sensibilité exacerbée et exaltation des sentiments agités fusionnent dans un langage musical éminemment romantique. Dramatique, grave, presque vindicative est cette œuvre à l’harmonie étrange et riche qui se termine par un accord déchirant, frappé avec quelque rage, avant le trait final. Plus douces et froufroutantes sont les deux valses brillantes (en la b majeur op 34 n1 et en mi b majeur op 18) mais tout aussi empreintes d’une étourdissante virtuosité, qui jettent brusquement sur l’auditoire ce parfum des salons aux lambris rouge-or, le crissement des crinolines, les lustres en pendeloques de cristal et les volutes de ces cigares que George Sand fumait silencieusement en écoutant son amant pétrir le clavier d’un piano déchaîné comme une mer houleuse… De la « mazoure », danse populaire polonaise, nous vient ce rondo (en fa majeur op 5) oscillant entre mélodie suave et tourmente d’un cœur révolté. Schumann qualifiait cette narration de « canons sous les fleurs » car elle reflétait l’essence du nationalisme polonais dans un élan révolutionnaire. Belle narration, fine et élégante comme le long cou gracieux d’un cygne fendant les eaux… En derniers accords, cette Ballade (n 4 en fa mineur op 52), formulation libre et méditative pour des notes aux dentelures évanescentes et aux chromatismes liquescents. Poésie aux diaprures irisées avec une pointe de mélancolie et des modulations d’une grande hardiesse. Toute l’étendue du piano y est utilisée avec un sens flamboyant et jubilatoire de l’interprétation. Gerbe de fleurs et ovation debout pour un pianiste qui fit la révérence au public avec un visage en nage. Bravoure, maestria et brio semblaient si naturels dans ce bouquet d’œuvres ardues et périlleuses... Un parcours sans faille et qui laisse l’auditeur pantois, sous le choc de l’émotion. Brillantissime ! Edgar DAVIDIAN
Pour ceux qui avaient eu la chance de l’écouter, il y a deux ans déjà, au temple de Jupiter à Baalbeck, le souvenir ébloui reste entier. Aujourd’hui, ce pianiste hors pair revient avec un programme explosif et virtuose. Présenté par le Hamazkaïne devant une salle comble à l’Assembly Hall (AUB), Armen Babakhanian, petite queue-de-cheval au ras de la nuque malgré une...