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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - Le député membre du Rassemblement de Kornet Chehwane rejette les accusations portées contre lui Farès Soueid : L’État fait vivre les chrétiens dans la peur pour qu’ils aient besoin d’un protecteur(PHOTO)

Non, le Rassemblement de Kornet Chehwane n’est pas mort, malgré les tentatives de l’État de diaboliser ses membres. Il bénéficie de l’appui de l’Église maronite, qui se sent partie intégrante de la région et, par conséquent, ne souhaite pas être assimilée à l’Occident, tout comme elle refuse d’assimiler l’islam du Moyen-Orient à celui des extrémistes musulmans. Ces propos, c’est le Dr Farès Soueid qui les tient, opposant, à tous ceux qui veulent le ramener vers des considérations purement internes, sa vision globale des dangers qui pèsent sur la région. Qualifié par certains de noyau dur du rassemblement, Soueid ne se sent nullement effrayé par les menaces indirectes qui lui parviennent régulièrement. Il assume ses prises de position et sa plaidoirie en faveur de démissions massives des huit députés membres du RKC. « J’ai abandonné mon métier de médecin pour la politique. Je pourrai très bien y revenir, mais je ne modifierai pas mes convictions », dit-il. Extrémiste, Farès Soueid ? Le jeune médecin qui, depuis les législatives 2000, a fait une percée fulgurante dans les milieux populaires, sourit. Selon lui, toutes les accusations publiées ces derniers temps dans les médias, et qui le visent indirectement, font partie de la campagne de désinformation menée par l’État contre KC et ses membres. « Je n’ai pas fait de rencontres malencontreuses à Los Angeles ni à Chypre. Je ne connais pas Ghassan Touma. (ndlr : ancien chef du service de sécurité interne des FL condamné à mort par contumace dans l’affaire de l’attentat qui a coûté la vie à Rachid Karamé). Ce sont des rumeurs infondées qui visent à nous effrayer », lance-t-il avec un geste de la main, comme pour balayer les ragots. « L’État mène une véritable campagne contre l’opposition, poursuit-il. Cette campagne est due à trois facteurs, le premier interne, concerne la défaite de l’État à la partielle du Metn, très mal vécue par le pouvoir, le Premier ministre Hariri (qui avait demandé au Ramgavar de voter pour Myrna Murr) et le leader du PSP, Walid Joumblatt, qui appuyait Ghassan Moukheiber. Les deux autres facteurs sont régionaux. Le premier a trait à la position syrienne après les événements du 11 septembre. En sentant que les changements internationaux pourraient atteindre leur position au Liban, les Syriens ont voulu couper la route à toute possibilité de bénéfices pour les Libanais. Quant au second facteur régional, il consiste à modérer l’impact de l’opposition sur la diaspora libanaise et sa reconnaissance par les instances internationales, comme la rencontre de RKC avec le secrétaire d’État adjoint pour le M-O, David Satterfield, ou les communiqués américain et français contre la fermeture de la MTV et les manifestations en Australie et ailleurs. » Une tentative de diabolisation Pour toutes ces raisons, Farès Soueid considère que l’État lance une campagne de diabolisation de l’opposition chrétienne, touchant notamment ceux parmi ses membres qui sont les plus proches de l’islam libanais. C’est ainsi, dit-il, que lui, Samir Frangié et Nayla Moawad ont été qualifiés de démons, dans certaines mosquées. Pourtant, selon des cercles loyalistes, ce qu’on leur reprocherait surtout, ce serait d’avoir retourné leur veste, en s’étant fait élire au Parlement avec l’aide de ceux qu’ils critiquent aujourd’hui... Farès Soueid s’insurge contre ce sous-entendu. « Je ne voulais pas participer aux élections de 2000. Je fais partie du Congrès permamnent du dialogue libanais depuis 1992, aux côtés de Samir Frangié. Mais après le retrait israélien du Sud, en mai 2000, nous avons estimé qu’une nouvelle phase s’ouvrait dans la vie politique et qu’il fallait saisir cette chance. Je fais certes partie d’une famille politique, mais je suis médecin depuis 13 ans. Et j’ai délaissé mon hôpital pour me lancer dans la politique. Beaucoup de gens savent que le président de la République n’était pas très chaud pour ma candidature, préférant celle de ma mère, et les services syriens appuyaient d’autres candidats. Qu’on cesse donc de dire n’importe quoi à mon sujet. Et si on considère que j’ai bénéficié d’un état de grâce au début, cela ne justifie nullement la campagne de diabolisation menée actuellement contre moi. Personnellement, je considère que cet État n’est nullement démocratique. Au contraire, il est totalitaire et veut éliminer toute forme d’opposition, qu’elle soit chrétienne ou musulmane. » Il serait en train de réussir, puisque l’idée du Dr Soueid de démissionner du Parlement n’a pas été retenue au sein de RKC, qui a préféré se contenter d’un boycott d’un mois des réunions parlementaires... « Le RKC est la seule formation politique au Liban et en Syrie qui discute des positions politiques à adopter. C’est vrai que je voulais une décision choc. Ce thème a été longuement débattu et, finalement, la majorité a préféré que les députés boycottent les séances parlementaires pendant un mois. Je me suis incliné, mais je continue à croire que la meilleure défense est l’attaque, surtout en politique. » Une décision symbolique Cette décision paraît un peu ridicule, car le boycott intervient à une période de vacances parlementaires et tous les députés assisteront au discours du président français le 17 octobre... « C’est une décision symbolique, qui ouvre la voie à d’autres, plus fermes. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant. Mais aucune mesure ne sera rejetée avant la réouverture de la MTV. » Pourtant, certaines informations laissent entendre que Gabriel Murr se plaindrait d’avoir été lâché par ses alliés au rassemblement... « Gabriel Murr vit une période de tension, sur de nombreux plans. Mais il a publié un communiqué dans lequel il a précisé qu’il adhère à toutes les décisions du RKC. Ce qui est certain, c’est que celui qui souffre n’est pas comme celui qui est solidaire avec lui.» Qu’en est-il des informations de presse sur les divisions au sein du RKC et son éclatement quasi certain ? « C’est de la désinformation distillée par l’État. Elle se manifeste à différents niveaux, car il s’agit de couper court à toute tentative de dialogue réel islamo-chrétien. C’est ainsi que j’explique le retournement de Walid Joumblatt. » Ce n’est pas du tout ce qu’il dit lui-même... « Peut-être, mais moi, c’est comme cela que je vois les choses. Chaque fois que les Libanais cherchent une plate-forme commune, l’État scinde la population en deux et veut montrer que les Libanais sont incapables de gérer seuls leurs affaires... Après la réconiliation de la montagne, il y a eu le 7 août. J’avais alors déclaré à votre journal que, pour moi, “Hariri et Lahoud sont les deux faces d’une même monnaie”. Je le répète aujourd’hui. Il y a eu ensuite la partielle du Metn et ce fut la fermeture de la MTV et la rencontre de Los Angeles suivie de la campagne contre les membres du RKC. Pour nous, la seule attitude possible est de nous opposer à la théorie qui veut que les Libanais sont incapables de gérer leurs affaires car ils ne peuvent s’entendre. » Comment ? « Il faudrait aboutir à un compromis historique qui mettrait un terme à 50 ans de tensions entre le Liban et la Syrie. » Un branle-bas de combat islamo-chrétien Farès Soueid considère que la situation actuelle est très grave. « Aujourd’hui, le monde entier entre dans une phase de confrontation islamo-chrétienne, entre l’Occident riche et chrétien et l’Orient, arabe et en majorité musulman et pauvre. Face à la vague d’extrémisme islamique d’un côté et chrétien de l’autre, le Liban risque de plonger dans un éclatement intérieur. Les musulmans, sous couvert d’antiaméricanisme, risquent d’assimiler les chrétiens d’Orient à l’Occident et les extrémistes chrétiens, sous couvert d’appui à l’Occident, risquent d’excuser les manœuvres militaires dans la région et de se retrouver face à l’islam libanais. Cette situation me paraît autrement plus grave que les luttes internes et nécessite un compromis historique entre les dirigeants éclairés du Liban et de la Syrie. » Tout cela est bien beau en théorie, mais les enjeux actuels paraissent bien plus petits... « Je crois qu’ils seront vite balayés par l’ampleur des bouleversements à venir. Les Libanais vont devoir répondre à deux questions : le Liban est-il viable sans la présence permanente syrienne et un Liban indépendant et souverain est-il nécessaire à la communauté internationale, ou bien servira-t-il de récompense à la Syrie, pour services rendus aux Américains ? » N’exagère-t-on pas les bouleversements à venir pour justifier des prises de position extrêmes ? « Nous vivons un branle-bas de combat islamo-chrétien. Ce que Samuel Huntington appelle le choc des civilisations. Je crois que ce sont des bouleversements importants. Le RKC et d’autres groupes devraient étudier la situation et faire valoir la nécessité d’un Liban, modèle de tolérance, et lancer un dialogue de fond avec la Syrie pour parvenir à un compromis historique. » Sur fond d’appui discret au « Syria Accountability Act » ? « Je ne vois aucun intérêt pour les chrétiens d’Orient à s’assimiler à l’Occident ni au Syria Accountability Act, qui est un règlement de comptes entre une partie de la classe politique américaine et la Syrie. Les Libanais n’ont aucun intérêt à y intervenir. Par contre, je serais le pouvoir libanais, je me demanderais pourquoi après 12 ans de paix officielle, les personnalités les plus populaires du pays sont un détenu politique emprisonné depuis 1994 et un exilé politique depuis 1991. » L’Église maronite continue-t-elle d’appuyer le RKC ? « L’Église maronite a une position ferme sur la convivialité islamo-chrétienne et l’indépendance du Liban. Elle se considère comme partie intégrante du monde arabe et réagit avec lui contre les menaces de l’Occident. Mais aujourd’hui, elle se pose une question différente : demande-t-on aux chrétiens d’Orient de se contenter d’accueillir les reliques de sainte Thérèse sans avoir droit à autre chose, comme s’ils étaient à peine tolérés ? Le RKC représente une des formations politiques qui visent à habiliter la communauté chrétienne à s’intégrer au monde arabe, à assurer la présence des chrétiens du Liban dans tous les secteurs de la vie et à collaborer avec l’islam pour donner l’image d’un monde arabe moderne et convivial. » Ce n’est pas du tout ce qui ressort des réunions du RKC... « C’est l’État qui est en train de réduire la vie politique à un schéma et le schéma à la violence et la violence à la déstabilisation, qui se répercute sur la vie morale et économique du pays. Je ne connais pas d’autre formation qui opère de manière avant-gardiste pour lancer une réflexion de fond. Alors que l’État, lui, reste villageois dans son comportement politique. Pour lui, la société est divisée avec ou contre la Syrie. La guerre s’est estompée dans la vie civile, mais elle reste présente dans la conception de l’État. La société réclame une image de convivialité et l’État répond par une diabolisation de certaines personnalités. Chaque fois que la société fait un pas vers la convivialité, l’État opère un retour vers la désintégration. Sans oublier l’effet terrorissant pour la communauté chrétienne de certains assassinats. Comme si le but était de réduire les chrétiens à la situation des Indiens d’Amérique. Comme s’il s’agisait de les faire vivre dans la peur pour qu’ils réclament en permanence une protection afin de survivre. Au RKC et au sein de l’Église maronite, nous refusons vigoureusement cette approche. Nous nous considérons comme membres à part entière de cette région, mais c’est l’État qui crée les schémas réducteurs, qui impose une société politique rétrograde et qui veut faire croire aux Libanais qu’ils sont pauvres, bien que les dépôts dans les banques libanaises s’élèvent à plus de 40 milliards de dollars. » Comment finira cette lutte entre le RKC et l’État ? « C’est une longue bataille de décolonisation des mentalités, des attitudes et des intérets de la classe politique. Il ne faut surtout pas s’essouffler. » Scarlett HADDAD
Non, le Rassemblement de Kornet Chehwane n’est pas mort, malgré les tentatives de l’État de diaboliser ses membres. Il bénéficie de l’appui de l’Église maronite, qui se sent partie intégrante de la région et, par conséquent, ne souhaite pas être assimilée à l’Occident, tout comme elle refuse d’assimiler l’islam du Moyen-Orient à celui des extrémistes...