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Actualités - OPINION

Vie politique - C’est le tour de la diplomatie et de la magistrature Sourdes luttes de palais autour des nominations

«Et j’entends siffler le train », beuglait jadis Richard Anthony, sans doute par (sourde) affinité avec la gent bovine, friande comme on sait de tortillards. Ici, quand passe le train des nominations, ce sont les oreilles des politiciens qui sifflent. Joyeusement, combativement ou douloureusement, selon que leurs poulains sont favoris, bien placés ou scratchés d’avance. La lune de miel interprésidentielle a permis de faire passer sans accroc les hors-d’œuvre. Mais maintenant, c’est une tout autre affaire, car on en vient au plat de résistance. À savoir les mutations, promotions ou désignations au sein du cadre diplomatique comme dans la magistrature. Deux domaines qui comptent en termes d’influence. Et les appétits s’annoncent aussi féroces que nombreux. Tant parmi les fonctionnaires concernés (dont certains restent cependant, hâtons-nous de le souligner, au-dessus de tout soupçon) qu’au niveau de leurs protecteurs. Ou, pour être poli, de leurs connaissances politiques, dépositaires de leur reconnaissance et de leur dévouement anticipés. Le bazar est si serré, les petits calculs si pointus, les négociations si ardues que de l’avis unanime, il n’est pas question de procéder en une seule (et bonne) fois. Il faudra des étapes, des tranches, des phases multiples. On commencera, bien entendu, par les cas de figure qui ne posent pas problème, qui sont entendus ou sous-entendus d’avance. Puis on procédera par paliers de difficulté. Ce terme couvrant, on l’imagine, des rivalités denses autour de postes-clés importants. Les professionnels confirment donc en chœur que les bonnes dispositions réciproques des dirigeants ne suffisent pas pour épurer l’air complètement. Chacun d’eux a des positions à défendre. Si ce n’est pour son propre capital électoral ou autre, c’est pour son camp, sa communauté et ses amitiés diverses. De plus, ils ne sont évidemment pas seuls en lice. Tous les leaders ou presque, et bien d’autres pôles en vue parfois très éloignés de la politique, ont des intérêts à préserver ou à promouvoir. Un exemple entre mille : il est facilement compréhensible qu’un groupe de notables émigrés veuille avoir son mot à dire sur la personnalité, et parfois sur la confession, de l’ambassadeur du Liban dans le pays d’accueil. C’est donc la foire d’empoigne, mais à fleurets mouchetés, en sourdine (ce qui permet d’ailleurs des coups bas particulièrement tordus). Parce que le mot d’ordre du tuteur, on le sait, est : ne faites pas, ne faites plus, de vagues. C’est ainsi que de fébriles tractations se déroulent en coulisses. Pour préparer le prochain tableau d’affichage, prévu pour le 29 du mois en cours. On apprend cependant, sous le manteau, que le président du Conseil n’a pas hésité, malgré son nouveau souci de ne pas déplaire en haut lieu, à poser carrément son veto au sujet d’une promotion déterminée, et maximale, au sein du corps de la magistrature. Cette attitude intransigeante, expliquent diverses sources, relève d’une promesse que M. Rafic Hariri s’était fait à lui-même lors de sa traversée du désert, de 1998 à 2000. En effet, à l’époque, il avait été en butte à des tracasseries émanant notamment de fonctionnaires zélés, aujourd’hui candidats à des postes majeurs. Et il souhaite leur rendre un peu la monnaie de leur pièce. Les mêmes sources indiquent que les hautes autorités se montrent compréhensives à l’égard de la réaction ulcérée du Premier ministre. Mais que leur entourage craint qu’il ne veuille aller plus loin, si on lui donne facilement gain de cause. L’état d’esprit reste donc d’ordre subtilement tactique, ce qui montre que si la brouille, et le brouillard, sont dissipés, on n’en est pas encore à la fusion des cœurs, tant s’en faut. Pour couronner le tout, les loyalistes haut de gamme laissent entendre que les nominations sont pour M. Hariri une occasion en or pour prouver son abnégation, sa magnanimité et son sens de l’État. Toutes vertus qu’il devrait exercer à leur avis, et à leur profit ! Ils promettent en contrepartie un scénario habile pour qu’aucune nomination n’ait l’air d’être dirigée contre le Premier ministre et de le froisser. Cela étant, certains loyalistes affirment, sans doute sans trop y croire, qu’on ne répétera pas cette fois les erreurs de l’an passé. Et que les mécanismes de sélections seront transparents, basés sur le respect du parcours administratif accompli, c’est-à-dire du tableau d’avancement au sein de chaque service. Sans recourir à de fausses compétences extérieures. Mais cette clarté annoncée est déjà contredite par les obscures tractations en cours. De plus, il ne reste plus assez de temps pour élaborer un plan d’orientation cohérent. On sait en effet que lors du dernier Conseil des ministres, le chef de l’État a dû prier le ministre d’État Bahige Tabbarah, chargé de préparer ce dossier des mécanismes, d’accélérer le rythme de son étude. Ce qui n’est pas facile, techniquement, car le ministre doit prendre en compte de nombreuses objections émises par le Conseil constitutionnel qui a renvoyé, comme on sait, sa copie au gouvernement. C’est-à-dire qui a gommé le projet de loi de circuit désignatif adressé par l’Exécutif à la Chambre. De ce fait même, les nominations ne sont plus obligatoirement publiables en un seul panel. Et l’on n’a pas cru devoir prévenir d’avance l’ensemble des ministres des candidatures prévues, comme cela était décidé. Comme quoi c’est pratiquement un contre-effet que le verdict du Conseil constitutionnel a produit. Cette haute instance a voulu corriger des mesures nouvelles imprécises, on en a profité pour garder les anciennes. Qui sont autant de mauvaises habitudes. Il n’est pas étonnant dès lors d’entendre des ministres grommeler qu’ils resteront comme des maris trompés, toujours les derniers à savoir. Alors que les nominations dans leurs départements respectifs les concernent au premier chef (de service). Quoi qu’il en soit, le ministre des Affaires étrangères, M. Mahmoud Hammoud, a remis son propre brouillon au chef du gouvernement. Qui compte en discuter avec le chef de l’État. Le dossier est ardu car, comme nul ne l’ignore, les rotations dans le cadre diplomatique obéissent à des critères confessionnels ou politico-régionaux autant que professionnels. Et que ce secteur a été, comme presque tout le reste, frappé par les déséquilibres issus de l’application tronquée, discriminatoire, de Taëf. Ce qui a provoqué une forte grogne, notamment dans les pays de représentation où l’on s’est vite aperçu que les délégués libanais n’étaient pas toujours à la hauteur. Comment y pallier ? En recourant à des nominations hors cadre, proposent les haririens. Ce qui montre que les engagements précités de respecter le staff de base ne sont que de la poudre aux yeux. Du moins du côté du Sérail, car le régime pour sa part s’en tient à cette règle. Deux autres petits problèmes à signaler : le mandat du Conseil national de l’information a expiré sans qu’on en renouvelle le directoire, moitié par élection et moitié par désignation, comme le veulent ses statuts. Enfin, les députés qui ne sont pas ministres se plaignent haut et fort de la pléthore de conseillers personnels appointés par les ministres. Et qui souvent agissent sans contrôle, en passant au besoin par-dessus la tête, ou dans le dos, des directeurs généraux. Philippe ABI-AKL
«Et j’entends siffler le train », beuglait jadis Richard Anthony, sans doute par (sourde) affinité avec la gent bovine, friande comme on sait de tortillards. Ici, quand passe le train des nominations, ce sont les oreilles des politiciens qui sifflent. Joyeusement, combativement ou douloureusement, selon que leurs poulains sont favoris, bien placés ou scratchés d’avance. La...