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Actualités - CHRONOLOGIE

MÉDIAS - Patrick Bourrat (TF1) a accompagné et encadré les étudiants du DESS en information et communication de l’USJ Le défi d’un grand reporter : expliquer, dédramatiser, donner la parole aux faibles et aux opprimés(photos)

« Il faut 90 % de chance et 10 % de compétence. Telle est la recette pour réussir une carrière de journaliste ». Grand reporter à TF1, Patrick Bourrat a une conception plutôt réaliste de son métier. Bien qu’ayant bénéficié d’un concours de circonstances exceptionnel avant d’accéder au club des grands reporters, il reconnaît toutefois que cette chance « se prépare » grâce à un savoir-faire et à une disponibilité de tout instant. La condition humaine reste, bien entendu, au centre de ses préoccupations, ainsi que l’éthique que ne saurait oublier un bon journaliste. Invité récemment au Liban pour accompagner et encadrer les étudiants de première année du DESS en information et communication de l’Université Saint-Joseph, Patrick Bourrat nous communique sa philosophie du métier. Et sa vision d’un « monde passionnant et chaotique ». Armé d’un curriculum vitae plutôt impressionnant – il a couvert la guerre libanaise, le conflit israélo-palestinien, les guerres du Golfe, des Balkans, d’Afghanistan – le reporter nous livre quelques réflexions mûries à travers son expérience. Réflexions sur l’enseignement à tirer des conflits qui secouent le globe, d’abord. « Plus la peur de l’autre est forte, plus le risque de guerre et de destruction est grand », souligne-t-il. Réflexions sur les germes du fanatisme ensuite : « Plus un régime est corrompu, en général, plus les élites sont pourries, plus le terreau est fertile pour le fanatisme religieux. » Par conséquent, le rôle du journaliste devient d’autant plus important, surtout après le 11 septembre, qu’il « doit expliquer, dédramatiser, et donner la parole ». « C’est aux faibles, aux opprimés, aux orphelins, aux Palestiniens sans terre qu’il faut donner la parole en premier et non pas encore une fois à ceux qui l’ont institutionnellement, parce qu’ils sont présidents ou députés. Une nation n’est pas viable si les gens n’ont pas le sentiment de compter ». Donner la parole équivaut en même temps à mener la lutte contre l’injustice, un autre message qui se manifeste en filigrane dans tout bon reportage journalistique. « C’est la raison d’être de mon métier, ma passion ainsi que celle de mes confrères. C’est la leçon que je tire de mes vingt ans d’expérience journalistique », dit-il. Un homme libre Patrick Bourrat aura également appris qu’un bon journaliste est celui qui s’est défait de tous ses préjugés, des idées préconçues, pour s’ouvrir en toute liberté au monde dont il est constamment curieux. « Un homme libre. C’est ce que doit être le journaliste qui ne saurait être inféodé à qui que soit. Il ne doit attendre la reconnaissance de personne, surtout pas des responsables politiques, des fonctionnaires ou des diplomates ». Un exercice d’autant plus difficile que le journaliste est en mal de reconnaissance sociale et qu’il a besoin d’argent, d’où, dit-il, les entorses faites à la déontologie. Or la confusion entre journalisme et communication est courante, dit-il. Elle est justifiée par le fait que les lobbies et les groupes d’intérêt savent parfaitement que celui qui exerce ce métier est un bon communiquant. En bon professionnel, il a accès à l’opinion publique par le biais de son média. « Utilisé pour faire passer des messages commerciaux et politiques » le journaliste doit être conscient de la manipulation dont il peut faire l’objet, à moins d’abdiquer devant les pressions. Le métier de journaliste a-t-il changé de nature après le 11 septembre? Face à un monde devenu manichéen alors que la guerre contre le terrorisme a achevé de diviser le monde en deux, le journaliste échappe de plus en plus rarement à cette équation. Le problème est tout d’abord d’ordre technique, souligne le reporter. Car les médias se sont engagés depuis quelque temps dans la communication de masse. Par conséquent, ce sont « les simplismes » qui fonctionnent le mieux, dit-il. C’est aussi un problème de fond. Face aux Américains, « qui ont besoin de trouver un bouc émissaire à leur malheur – il s’appelle musulman et par amalgame l’Arabe tout court » –, les journalistes ne font que relayer cette simplification. « Aujourd’hui, il est difficile de parler d’une voix claire ou de porter un discours contrasté pour dire des choses qui ne sont pas simples ». À l’instar de nombre de ses confrères qui ont été littéralement indisposés par le récent ouvrage d’Oriana Fallaci – un livre manifestement antiarabe qui s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires dans sa traduction française – Patrick Bourrat relève l’esprit du maccarthysme qui se répand aux États-Unis en dénonçant l’amalgame entre terrorisme, islam et monde arabe. Pourtant, dit-il, « la presse française fait un gros effort et d’explication et d’objectivité aussi bien sur le conflit palestinien que sur le problème de l’islam radical ». Cet effort n’est pas toutefois soutenu par l’Islam de France, et les journalistes « tolérants », se trouvent confrontés de plus en plus à un islam radical. Le cas particulier du Liban À ce titre, le Liban a un message à communiquer au monde, affirme le reporter, celui d’une proximité entre deux religions différentes. Un modèle que Patrick Bourrat souhaite voir communiqué au monde, dans le cadre d’un débat qu’il espère organiser avec la participation d’intellectuels libanais et français. « Comment parler après le 11 septembre et dépassionner cette relation entre l’islam et le monde chrétien? » une réflexion à laquelle le Liban seul pourrait apporter une réponse à la lumière de son expérience pluraliste. Modèle de tolérance de coexistence mais aussi de libéralisme dans un monde arabe érodé par ses régimes autoritaires, le Liban reste, aux yeux du journaliste, la terre des miracles. « C’est la conclusion que j’ai tirée à la fin de mon ouvrage sur ce pays », souligne M. Bourrat, en citant au passage son livre sur le Liban dans la collection Que sais-je. C’est un Liban détruit par la guerre et les destructions, occupé par des forces armées, qu’avait laissé le journaliste lors de sa dernière mission. Il a retrouvé récemment un Liban « qui se reconstruit à tous les niveaux ». « À nouveau, Beyrouth clame sa singularité, sans complexe », dit-il. Une renaissance qui ne se fait pas sans difficulté, admet Patrick Bourrat. Il ne manque pas toutefois de relever l’impact de la présence syrienne. « Les Libanais ont une croix à porter, si j’ose dire, la croix de la tutelle syrienne qui n’est autre que la conséquence d’une tutelle américain. » Patrick Bourrat reste tout de même conscient des enjeux régionaux qui influent sur le pays. « La singularité libanaise doit être maintenue dans un cadre le plus strict et le plus restreint possible. Il ne faut surtout pas donner le mauvais exemple aux autres régimes autoritaires et aux autres peuples qui auraient envie de plus de liberté et de démocratie. » Car c’est bel et bien cette matière que risque d’exporter le Liban vers les pays arabes environnants. Or, dit-il, face à une société civile pleine de vitalité, et en présence de groupes d’intérêts économiques et financiers puissants qui font du libéralisme leur cheval de bataille, les solutions autoritaires ne sauraient prévaloir. La seule critique, qu’il a d’ailleurs du mal à formuler, sur l’attitude des Libanais est l’aspect velléitaire pusillanime d’un peuple qui se plaint et critique constamment, sans jamais rien faire. « Mais un bon Libanais qui ne se plaint pas n’est pas un vrai Libanais. Être Libanais n’est pas seulement une nationalité, c’est presque une maladie », conclut Patrick Bourrat sur un ton plein d’humour. Jeanine JALKH
« Il faut 90 % de chance et 10 % de compétence. Telle est la recette pour réussir une carrière de journaliste ». Grand reporter à TF1, Patrick Bourrat a une conception plutôt réaliste de son métier. Bien qu’ayant bénéficié d’un concours de circonstances exceptionnel avant d’accéder au club des grands reporters, il reconnaît toutefois que cette chance « se prépare...