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Actualités - OPINION

La liberté d’informer une fois de plus dans le collimateur de loyalistes zélés

Plaie sempiternelle au flanc d’une région au lourd atavisme despotique, d’un Moyen-Orient régi de tout temps par une mentalité de rapports de force (brutale), les maigres libertés à la libanaise se retrouvent une fois de plus sous le feu conjugué du système suiviste et de certains intérêts polyvalents d’ordre matériel autant que politicien. Verbalement sacralisées par les autorités, elles en sont secrètement honnies. À preuve les philippiques biscornues, absconses, amphigouriques lancées contre les médias, soi-disant au titre même des principes démocratiques bien compris, par une flopée de ministres lors du dernier Conseil du même nom. Rien de nouveau sous le soleil (de Satan, dirait Bernanos) : dès les premiers jours de son indépendance, le Liban avait eu maille à partir avec nombre de congénères arabes parce qu’il avait la mauvaise habitude de laisser ses journaux s’exprimer (plus ou moins) librement. Il y eut des tensions, des crises mémorables et il est arrivé souvent que les frontières avec la Syrie soient bloquées à cause d’un méchant petit article de presse. Ou que les princes saoudiens boudent à la belle saison Sofar, Bhamdoun et autres Aley à danseuses orientales et grillons nocturnes. On serait dès lors tenté de sourire, un peu jaune peut-être, en se disant que le remue-ménage d’aujourd’hui passera vite, comme nuage d’été. Mais les cercles professionnels et certains opposants sont sérieusement inquiets. La récente mésaventure de la chaîne qatarienne al-Jazira, frappée d’interdit en Jordanie et peut-être bientôt en Arabie saoudite, peut donner comme des démangeaisons aux censeurs refoulés d’ici. Toujours est-il que, par chance et par nécessité, la presse ne compte pas que des contempteurs au sein de l’appareil dirigeant. C’est ainsi que des ministres obligeants ont confié aux salles de rédaction les détails de la séance du Conseil des ministres précitée. Consacrée en partie à la sombre affaire de la tuerie de Mazraa. Vue dans un miroir déformant. C’est-à-dire sous le seul angle de son traitement par les médias, l’audiovisuel en tête. Ces témoins rapportent d’abord ce qui est déjà du domaine public. À savoir qu’à l’unisson, le chef de l’État et le président du Conseil, bientôt imités par le ministre ès-qualités, ont souligné la primauté de la loi et la nécessité d’en respecter la lettre autant que l’esprit, pour une saine gestion de l’information. Un cadre légaliste normal, pondéré même à tout prendre, bien que l’on puisse se demander en quoi rapporter des faits ou des réactions tels quels outrage la loi et a fortiori la liberté d’opinion. Mais c’est ensuite, ajoutent ces sources, que les langues se sont déliées et que leurs collègues ont rivalisé de surenchères pour agonir les médias de noms d’oiseaux bigarrés. Ce sont surtout des ministres appartenant à des partis qui se sont montrés virulents dans leurs diatribes contre « les machinations ourdies pour nuire au système.» En n’hésitant pas à lancer le bouchon très loin, puisqu’à les en croire, c’est « l’action de démoralisation perverse » des médias qui seraient à l’origine sinon de la crise économique du moins des difficultés qu’éprouve le pays à s’en relever. Ces hérauts de la pensée civique ont affirmé que les secteur de l’information privée oublie un peu trop ses responsabilités patriotiques. Et va même dans le sens tout à fait contraire, en attisant au besoin les bas instincts du sectarisme confessionnel. Bref, en d’autres temps et en d’autres lieux, pas si lointains peut-être, des journalistes comme ceux d’ici auraient été passibles de déportation, voire du poteau d’exécution. C’est du moins le vague souhait que dégage la cacophonie des ministres partisans. Dont l’un a traité la presse, comprise dans son sens élargie, de secteur mercantile, en regrettant à haute voix que « ces entreprises dominent le pays ». Un autre a tout bonnement déclaré qu’il faut liquider l’information. En regrettant benoîtement la mansuétude manifestée jusque-là à l’égard des médias. Dont les transgressions, pour reprendre son terme, ne sont pas suffisamment châtiées, ce qui les encourage à les multiplier. C’est donc le procès des médias qui a été fait durant cette séance. Et le ministre de l’Information était lui-même sur le gril, nombre de ses confrères lui reprochant d’être trop compréhensif avec les médias. Et lui demandant de saisir l’occasion, à travers le cas de la LBCI, pour faire un exemple. Frappant. Heureusement, précisent les mêmes sources, il s’est trouvé quelques esprits de bon sens pour réagir à cette déferlante d’animosité. En s’opposant au grand coup de balai que les ultras réclamaient. Et en soulignant qu’une répression par trop brutale provoquerait des remous, des secousses dont le pays ne peut se payer le luxe. D’autant, ont précisé ces sages, qu’un tel assaut aggraverait le clivage entre l’État et la population. Qui, dans ce pays, a la fâcheuse manie de ne pas se contenter du gong monotone de l’information officielle. En préconisant qu’on frappe d’amendes lourdes les contrevenants, mais sans fermeture de leurs chaînes ou de leurs journaux. En fin de compte, le ministre de l’Information, M. Ghazi Aridi, a invité le pouvoir, c’est-à-dire le Conseil, à prendre pleinement ses responsabilités. En prenant, ou non, les décisions radicales ou de fond évoquées par ses pairs. Il a toutefois précisé immédiatement qu’à son propre avis, l’information ne doit pas être transformée à son tour en article de bazar et placée au centre des luttes d’influence politiciennes. Bien entendu, le ministre n’a reçu du Conseil aucune réponse claire et il lui a été simplement demandé de traiter les choses comme bon lui semblerait. Dans le respect des lois en vigueur. Ce qui veut à la fois tout dire et rien. En tout cas, M. Aridi, indiquent ses proches, n’a aucune envie de servir de fusible ou de bouc émissaire. Il ne compte donc déployer aucun plan d’envergure, puisque une décision de cette importance politique relève des prérogatives du Conseil des ministres et non d’un seul de ses membres. Et il pense donc agir, ou réagir, au coup par coup. Parallèlement aux mesures que le Conseil national de l’information peut être appelé à prendre de son côté. Ce qui donne en pratique une lettre... d’information au parquet, qui a donné suite par une... information contre la LBCI. Comme quoi on ne sort ni du sujet ni du cadre traditionnel. Qui prévoit des épées de Damoclès, mais sans exécution, sommaire. Philippe ABI-AKL
Plaie sempiternelle au flanc d’une région au lourd atavisme despotique, d’un Moyen-Orient régi de tout temps par une mentalité de rapports de force (brutale), les maigres libertés à la libanaise se retrouvent une fois de plus sous le feu conjugué du système suiviste et de certains intérêts polyvalents d’ordre matériel autant que politicien. Verbalement sacralisées par...