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Actualités - REPORTAGE

ARCHÉOLOGIE - La prospection sous-marine au service de la reconstitution historique Des chercheurs libanais et français déchiffrent le passé prestigieux de Tyr(PHOTOS)

Quelle était l’extension de Tyr dans l’Antiquité ? Cette ville ayant dominé la Méditerranée par son commerce était-elle réellement dotée de deux ports ? À quelle époque remonte la première construction de son port ? A-t-elle gagné des terres sur la mer ? Il y a tant d’autres questions qui restent énigmatiques par manque de fouilles archéologiques sous-marines et d’études morphologiques poussées. Aujourd’hui, dans le cadre du programme Cedre, une équipe de recherche libano-française tente d’apporter des réponses à toutes ces questions et de retracer l’histoire de la ville de Tyr à partir de données scientifiques. Deux équipes pluridisciplinaires, archéologues-plongeurs et géomorphologues, ont effectué, durant le mois de juillet des carottages dans les différentes zones de la ville de Tyr et procédé à des prospections sous-marines sur toute la bande côtière. Les premières conclusions tirées modifient déjà toutes les données connues. «Des études paléoenvironnementales poussées seront effectuées sur les mille échantillons de sédiments recueillis à l’aide des vingt-trois carottages accomplis cette année dans la ville de Tyr et ses alentours», explique M. Christophe Morhange, chef de mission, géomorphologue, maître de conférences à Aix-en-Provence et membre de l’Institut universitaire de France. «Ces études visent à retracer l’histoire complète de Tyr, à établir la carte archéologique de la région et à délimiter l’extension du port antique», poursuit-il. «Les premiers résultats ont montré que, avant l’an 2006 av. J-C, la ville de Tyr n’était pas dotée d’un port fermé. La nature et la taille des sédiments prouvent que ce milieu était ouvert. Mais après cette date, les sédiments changent complètement. Ce qui prouve que le milieu a changé, des constructions portuaires ont été réalisées. Tyr est dotée d’un port qui restera fonctionnel jusqu’à la chute de l’Empire romain», affirme M. Morhange. Ce port antique se situe sous le port actuel de Tyr et s’étend même au-dessous la ville. En fait, sous la zone des souks, sont ensevelis les bassins antiques du port phénicien, ce qui prouve que dans l’Antiquité, Tyr a connu une extension sur la mer. Les habitants avaient l’habitude de remblayer la côte. Une habitude ancestrale qui continue d’être appliquée de nos jours ! Cette découverte rend plus impérative la protection de toute la médina et exige l’interdiction totale de toute forme de construction. Car il ne s’agit plus de préserver uniquement le patrimoine architectural de la ville, mais aussi l’archéologique. En dehors de la zone de la vieille ville de Tyr, l’équipe a effectué un carottage dans le secteur de Rahidié (à al-Baas). Surnommée le continent, cette région n’était pas reliée à l’île de Tyr avant la conquête d’Alexandre le Grand. Elle forme actuellement un marécage et une zone de dépression topographique. Les résultats de ce carottage ont permis à M. Morhange de supposer «l’existence d’un port lagunaire à Tyr à l’époque phénicienne». Si cette hypothèse est vérifiée, elle sera la preuve de l’utilisation de ports lagunaires par les Phéniciens sur leur terre-mère. À ce titre, il est important de rappeler que cette forme de ports a été trouvée dans toutes les colonies phéniciennes sur le pourtour de la Méditerranée mais jamais encore sur leur terre-mère. Le séisme a englouti des quartiers de la ville Les études des ports antiques de Tyr ont eu lieu dans les années vingt et trente sous la direction du père Poidebard et avec la participation de Honor Frost, spécialiste en archéologie sous-marine. Les conclusions tirées à partir des descriptions des plongeurs et des photos aériennes du père Poidebard délimitaient les deux ports nord et sud de la ville de Tyr. Selon ces conclusions, le port sud, ou port égyptien, se situe dans le prolongement du site archéologique et est constitué d’un bassin, d’un môle, d’un ensemble de constructions portuaires. Ces hypothèses ont été adoptées dans le monde scientifique et aucune vérification n’avait eu lieu depuis. Mais cette année, pour finaliser l’étude géomorphologique du littoral de Tyr, des plongées ont eu lieu afin de délimiter la faille géologique et de déterminer la fonction exacte des vestiges archéologiques engloutis depuis le VIe siècle ap. J-C. Le résultat de cette mission a modifié toutes les données avancées jusqu’à présent. Tyr n’était pas dotée de deux ports. «Le port égyptien n’existe pas. Les vestiges engloutis ne sont autre qu’un prolongement de l’agglomération qui a été engloutie au VIe siècle suite à un séisme», explique M. Mourad el-Amouri, archéologue-plongeur, membre de l’équipe d’étude géomorphologique du littoral de Tyr. «Le bassin fermé du port et le môle ne sont autres que des quartiers reliés entre eux ou séparés par des divisions architecturales. Le môle est constitué d’un assemblage de tessons mêlés à des mortiers pour une solidification rapide. Ce mur est immense, dans certaines zones, sa largeur atteint les dix mètres et il est recouvert d’objets archéologiques datant de l’époque romaine. D’ailleurs, la richesse de cette zone en matériel archéologique lui a valu son surnom de Minet el-Rassas (le port du plomb) auprès des habitants de la ville», poursuit cet archéologue membre de l’équipe de fouilles sous-marines au phare d’Alexandrie. En plus de ces quartiers résidentiels, la prospection sous-marine a permis à l’équipe de repérer des carrières de pierres situées aujourd’hui à deux mètres de profondeur. Il est fort probable que cette partie de la ville a été engloutie dans une période post-romaine, et probablement suite à un séisme. Les résultats des études ultérieures, qui donneront plus de détails à ce sujet, seront publiés dans un numéro spécial de la revue BAAL (Bulletin d’archéologie et d’architecture libanaises) éditée par la Direction générale des antiquités. Plus de poissons sur le littoral de Tyr Au cours de leur prospection sur le littoral de Tyr, les archéologues-plongeurs ont été choqués par l’absence de poissons sur toute la bande côtière. Ayant travaillé pendant des années à Alexandrie, ces plongeurs sont habitués à nager dans des eaux excessivement polluées, mais où vivent encore des poissons. À Tyr, les poissons ont «disparu» à cause du dynamitage excessif. Et, selon les témoignages des plongeurs, cette forme de pêche est toujours pratiquée à Tyr : ils ont entendu, à plusieurs reprises, des explosions sous l’eau. Le paléoenvironnemental, ou l’étude de l’environnement à partir des sédiments « L’étude paléoenvironnementale cherche à définir le niveau de la mer depuis 6000 ans. Cette étude se base sur l’analyse de la flore piégée dans les sédiments “ comme archives “», explique Christophe Morhange, géomorphologue et maître de conférences à l’Université d’Aix-en-Provence, en France. « L’analyse des sédiments permet aux chercheurs d’expliquer l’histoire de l’érosion, de comprendre les dynamiques des paysages et de montrer comment les sociétés ont modifié les milieux naturels par la déforestation et l’aménagement des territoires », poursuit M. Morhange. Les études des sédiments révèlent aussi les différents types des pollutions antiques dues très souvent aux envasements et à la métallurgie. La collecte des sédiments pour les études paléoenvironnemtales se fait principalement par carottage, et occasionnellement par sondages. Le carottage consiste à enfoncer un tube de 10 cm de diamètre dans le sol pour toucher la roche-mère. Les sédiments recueillis à l’intérieur du tube sont alors numérotés, stockés et envoyés à des laboratoires spécialisés pour être analysés. Même si le carottage est relativement rapide, l’analyse des sédiments exige des années de travail, mais les résultats de ces recherches poussées modifient souvent les données scientifiques considérées auparavant comme vérités générales et expliquent l’évolution de l’homme dans un milieu donné. Le pillage massif des sites archéologiques sous-marins Au Liban, le pillage des objets archéologiques se fait dans la mer comme sur la terre. Les pilleurs plongent, fouillent les épaves, les ports et les cités engloutis, puis emportent les objets pour les vendre à des collectionneurs privés. La bande côtière de Tyr est sujette à ce pillage massif depuis des années. Un incident ayant eu lieu avec l’équipe d’archéologues plongeurs, travaillant sur le site sous-marin de la ville au cours du mois de juillet, résume cette situation dramatique. «Lors d’une plongée de prospection ordinaire, nous avons repéré l’emplacement d’une magnifique amphore datant de l’âge du bronze. Notre mission se limitant à la prospection, nous avons photographié l’amphore, située sur la carte, puis, par précaution et dans le but de la protéger, nous l’avons recouverte de sable», raconte M. Mourad el-Amouri, archéologue-plongeur travaillant à Tyr. Malheureusement, toutes ces précautions se sont révélées insuffisantes. L’amphore a disparu dans la nuit et, aujourd’hui, il n’en reste plus qu’une photo! Les membres de l’équipe de prospection sous-marine racontent aussi que dans un autre lieu, ils ont découvert, sur le môle romain, un chantier de fouille clandestine. Sur plus de deux mètres de long, le môle était brisé et la terre retournée! Si ces deux exemples ne sont pas suffisamment alarmants, voici un troisième révélant la situation désastreuse de notre patrimoine. À Tyr, se poursuit depuis l’année passée un pillage massif de quatre épaves datant des époques perse et phénicienne. Les pilleurs plongent sur les épaves, situées à quarante mètres de profondeur, emportent les objets archéologiques, les dissimulent quelque part sur la côte, puis reviennent les chercher ultérieurement pour les vendre. Les forces de l’ordre tentent de contrecarrer cette opération de pillage mais, en «bons professionnels», les voleurs ne se laissent pas prendre la main dans le sac. Il est par conséquent impératif de renforcer le contrôle sur le littoral de Tyr afin d’arrêter cette «hémorragie» d’objets antiques. Dans ce but, M. Ali Badawi, archéologue responsable du bureau de la DGA à Tyr, affirme qu’il est fort possible de «classer la bande côtière adjacente au site archéologique en réserve naturelle et y interdire par conséquent la plongée». On peut se demander si ce classement sera efficace, car il est possible d’arriver sur les lieux en nageant sans être repéré. Ne serait-il pas temps de lancer des campagnes de sensibilisation à la protection du patrimoine de Tyr auprès des habitants au lieu de se contenter de campagnes internationales visant un public averti? N’est-il pas temps de mener un travail pour leur faire connaître la valeur scientifique et historique de ces objets qui, souvent, dépasse leur valeur marchande? j.f. Joanne FARCHAKH
Quelle était l’extension de Tyr dans l’Antiquité ? Cette ville ayant dominé la Méditerranée par son commerce était-elle réellement dotée de deux ports ? À quelle époque remonte la première construction de son port ? A-t-elle gagné des terres sur la mer ? Il y a tant d’autres questions qui restent énigmatiques par manque de fouilles archéologiques sous-marines et...