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Actualités - REPORTAGE

SOCIÉTÉ - Programme «Retour aux sources» organisé par la Ligue maronite et la NDU Des descendants d’émigrés libanais au pays de leurs aïeux(photos)

Du Liban dont elle est originaire, Vanessa Coelho Couri, une Brésilienne de 30 ans, a gardé l’image que lui a inculquée sa grand-mère dans son enfance, celle d’un pays «moderne, cultivé, qui produit... des fruits énormes!». Zeidy Munoz-Torres, une étudiante de 24 ans qui vit à Mexico, croyant trouver, à son arrivée, un pays en ruines, avec des paysages de déserts de sable, a été enchantée par les montagnes vertes et la reconstruction. Quant à Alejandro Bojalil, un diplômé en relations internationales de 35 ans, il a beau connaître l’histoire et l’actualité de la région, un tour dans le village de ses ancêtres lui a quand même permis de retrouver ses racines. Ces trois jeunes personnes font partie d’une soixantaine d’émigrés d’origine libanaise, venus de pays d’Amérique latine, qui ont participé cet été, durant le mois de juillet, à un programme lancé par la Ligue maronite et l’Université Notre-Dame (NDU). Au programme: des cours d’arabe parlé, des conférences avec des personnalités issues de différents domaines et des tournées dans les sites touristiques. Avec, en filigrane, l’idée de raviver leur attachement au pays de leurs ancêtres, et leur permettre d’en conserver une idée dépourvue de préjugés et de contre-vérités. Ce projet est le fruit d’une initiative lancée par le président de la Ligue maronite, l’émir Harès Chéhab. Ces jeunes gens ne parlent pas l’arabe, leurs parents non plus d’ailleurs. Ce sont leurs grands-parents qui avaient décidé de quitter leur terre au courant du siècle dernier, lors des nombreuses vagues d’immigration qui ont balayé le pays durant les différentes phases de tourmente. Aujourd’hui, ils franchissent le pas et retrouvent un pays qui ne leur est connu que par ouïe-dire, et que continuent à quitter ses fils, dans une sorte de triste tradition. Ces visiteurs d’une nature particulière arrivent souvent avec des idées préconçues, parfois conformes aux clichés que conservent du Liban les émigrés de longue date, parfois reflétant une véritable coupure. Ainsi, Vanessa se souvient que sa grand-mère évoquait la «Suisse de l’Orient» quand elle avait la nostalgie de la terre qu’elle avait quittée. Elle-même, enfant, rêvait des «fruits immenses» qu’on cultivait au Liban. Elle a dû les trouver bien plus petits, en réalité. Mais Vanessa, bien que prévenue de la «modernité» du Liban par cette grand-mère disparue trop tôt, a omis d’emporter des blouses trop échancrées dans sa valise, «de peur d’offenser certains Libanais». «Or je me suis rendu compte que la mode portée par les jeunes filles était aussi actuelle que chez nous», dit-elle, un brin dépitée de ce malentendu. La rupture Zeidy (une transcription de «Saydé», un des noms de la Vierge Marie) illustre bien, quant à elle, la rupture d’une génération, celle de ses parents. Visiblement très mal renseignée sur la situation du pays et peu encouragée à faire le voyage, elle a été épatée par ce qu’elle a vu. «Ma vision du Liban en a été radicalement modifiée, dit-elle. Au lieu du désert que je m’attendais à trouver, ce sont des montagnes boisées que j’ai admirées. Au lieu des ruines de la guerre, j’ai trouvé un pays en pleine reconstruction, vibrant de vie.» D’un ton enthousiaste, elle raconte dans son espagnol natal qu’elle a pris une tonne de photos «pour montrer à mes amis et parents la beauté du Liban.» Même si Alejandro, de par ses lectures et son intérêt personnel pour la politique, s’est fait une idée beaucoup plus précise sur le Liban et sur la situation régionale, son voyage au pays de ses ancêtres s’est avéré très enrichissant, notamment «ma visite au village natal qui m’a permis de comprendre d’où je viens. » Ses échanges avec d’autres jeunes Libanais lui inspirent l’observation suivante: «Je les sens un peu perdus, se posant d’innombrables questions sur la situation financière et sur leur avenir.» Lui-même est engagé dans le PAN, le parti du président mexicain Fox. À la question de savoir s’il était prêt à intégrer le Liban dans ses activités politiques, il répond par l’affirmative «parce que mes racines libanaises me poussent à m’intéresser à cette région», tout en précisant qu’ «en matière de politique étrangère, le premier souci du Mexique est son puissant voisin américain, suivi de près par les autres pays d’Amérique latine.» Le Moyen-Orient reste loin, donc... Vanessa, peu renseignée sur la situation politique libanaise et les règles de la coexistence, a été surprise d’apprendre que les présidents de la République et du Conseil des ministres étaient de confessions différentes. Malgré «l’ambiance paisible qui règne dans le pays», elle soulève avec étonnement, tout comme Alejandro, «la présence de militaires sur les routes». L’élément humain, un atout principal Ce qui a le plus marqué les jeunes durant leur séjour, c’est certainement l’accueil chaleureux qu’ils ont reçu de la part des Libanais, partout où ils ont été. En effet, selon les organisateurs, il y a eu une mobilisation populaire non négligeable pour soutenir le programme. À titre d’exemple, durant un week-end à Ehden (Liban Nord), les jeunes ont dormi chez les habitants. Cela s’est avéré être un facteur important d’attachement au pays. «Je me suis fait des amis avec qui je resterai certainement en contact», dit Zeidy. Même si tous les trois comptent encourager leur entourage à visiter à leur tour le pays, ils insistent sur l’image négative du Liban qui persiste à l’étranger. «Ce pays a un potentiel touristique considérable, affirme Alejandro. Mais il faut savoir promouvoir cet aspect du Liban. Dans nos pays, ce sont les nouvelles de guerre et de bombes qui demeurent dans les esprits.» L’un des objectifs de cette session a été de familiariser les jeunes avec le parler libanais, autant que faire se peut en si peu de temps. Zeidy répète les rares mots qu’elle a appris: «Choucran», «ahlan wa Sahlan», «sabah el-kheir» ainsi que le tout début de l’hymne national. Tout comme Vanessa et Alejandro, elle regrette que les générations d’émigrés ne se transmettent pas la langue de leurs pères. «Je suis la seule dans ma famille à m’être intéressée à la redécouverte du Liban», souligne Vanessa. Quant à Alejandro, il explique que «la première vague d’immigrés, celle de nos grands-parents, avait dû abandonner l’idée d’enseigner la langue à ses enfants, parce qu’il était difficile alors de s’adapter à la société tout en imposant sa propre culture.» On est loin, aujourd’hui, de ces jours difficiles. Les petits-fils d’émigrés libanais se sont totalement fondus dans leurs sociétés d’adoption. Mais ils gardent des liens avec leurs communautés, fréquentant des «clubs libanais» dans leurs villes respectives. Ils comptent même entamer tardivement le processus d’obtention de la nationalité. Et, avec un peu de chance, le souvenir de leur séjour au Liban restera assez vivace pour les maintenir attachés à leurs racines. Suzanne BAAKLINI Un prêtre latin curé d’une paroisse... maronite Étrange cas que celui du père Rubens Miraglia Zani. Bien que de confession latine, ce prêtre d’une quarantaine d’années s’occupe de la communauté maronite de la ville de Bauru, au Brésil, où résident deux familles de cette confession totalisant quelque 70 personnes. «Je me trouvais à Rome pour obtenir ma licence en droit canonique quand j’ai fait la connaissance de l’évêque maronite du Brésil, Mgr Youssef Mahfouz, raconte-t-il. C’est lui qui m’a demandé de me charger des maronites de Bauru. J’ai obtenue l’autorisation du Saint-Siège pour avoir le droit de célébrer la messe maronite.» Depuis, ce sont des émigrés d’origine libanaise de différentes confessions chrétiennes qui assistent à sa messe maronite. «Les frontières sont moins marquées qu’ailleurs», dit-il, amusé. Le père Zani a fait partie du groupe qui a visité le Liban en juillet, et il a été ravi de connaître ce «pays de culture et de vie, riche de foi». Il a été frappé par «cette population hospitalière, ces personnes qui nous traitent en amis alors qu’elles ne nous connaissent même pas.» Interrogé sur les liens que conservent les jeunes maronites de sa paroisse avec leur pays d’origine, il déclare: «Ils sont très attachés autant au Liban qu’au maronitisme. Ce pays, pour eux, représente un ensemble de valeurs, le lieu de leur mémoire, de leur foi, de leur bonheur. Même les enfants qui n’ont jamais foulé cette terre conservent intact cet amour. Ils aiment aussi se retrouver en famille, autour d’un bon verre d’arak !» Les colonies libanaises, un capital humain à mobiliser, selon les organisateurs Ce n’est pas pour rien que le programme, destiné par la Ligue maronite et la NDU aux émigrés libanais de troisième génération, a été intitulé «Retour aux sources». Comme l’explique Élie Mikhaël, parlant au nom de la Ligue, «le programme vise à renforcer le sentiment d’appartenance de ces jeunes au pays de leurs origines, qui fait partie intégrante de leur identité». Les objectifs d’une telle initiative, selon lui, ne sont pas moins que nationaux. «Notre pays possède un capital humain très important à l’étranger qu’il serait utile de mobiliser au service de notre cause, au lieu de le laisser subir l’influence de sources d’informations qui nous sont étrangères, parfois hostiles», dit-il. Selon Georges Eid, responsable à la NDU, «les idées que nous essayons de répandre parmi les jeunes sont destinées à contrecarrer les préjugés qu’ils conservent du pays avant de s’y rendre.» Des idées politiquement correctes : la réalité de la coexistence pacifique entre les différentes communautés, le droit du Liban à la résistance, la situation régionale délicate, avec l’armée israélienne qui constitue une menace aux frontières, les rouages de la cause arabe, notamment palestinienne, etc. Les jeunes qui se présentent au programme sont issus de différentes communautés religieuses, comme l’assurent en écho MM. Mikhaël et Eid. Les objectifs tout comme les idées partagées avec les jeunes sont «de dimension nationale», disent-ils. Ce qui éloigne d’emblée de cette affaire «toute connotation purement maronite qu’on pourrait lui attribuer», assure M. Mikhaël. «D’ailleurs, poursuit-il, la Ligue maronite a su dépasser toutes ces contingences. Nous aspirons à transmettre l’image d’une communauté maronite bien ancrée dans son milieu arabe, ouverte aux autres et au dialogue.» Les jeunes proviennent principalement d’Amérique latine, où les communautés libanaises sont anciennes. La plupart sont âgés entre 20 et 35 ans, rarement plus jeunes ou plus vieux. C’est par ses contacts dans le monde que la Ligue maronite répand les informations sur le programme. Les jeunes remplissent des formulaires et se joignent au groupe. La première session, durant l’été 2001, a été un succès. «Malgré les événements de septembre 2001 aux États-Unis, qui auraient pu décourager plus d’un, le nombre de participants a augmenté cette année», souligne M. Eid. Les visiteurs dorment dans un monastère et suivent des cours d’arabe et des conférences avec diverses personnalités libanaises à l’université. Des visites aux différents sites historiques et à divers lieux touristiques sont organisées, pour le plus grand bonheur de ces touristes pas comme les autres. Le voyage est principalement financé par la Ligue maronite, «avec l’aide de nos amis», précise M. Mikhaël. Pourquoi le cercle des émigrés invités à découvrir le pays n’est-il pas élargi ? «Nous n’avons pas encore toutes les facilités pour les accueillir, répond M. Eid. Nous espérons qu’au cours des années prochaines, une collaboration avec le ministère du Tourisme ou tout autre organisme de l’État pourra se concrétiser, parce que les retombées d’une telle initiative sont positives pour tout le pays.» Quant à M. Mikhaël, il considère qu’il faut institutionnaliser ce qui a commencé comme une simple initiative. «L’objectif, à long terme, est de fonder une Maison de l’émigré au Liban où nous pourrons accueillir un plus grand nombre de personnes», dit-il. Comment garder pratiquement les liens avec ces jeunes émigrés ? «La Ligue possède déjà un réseau de contacts avec des institutions maronites à travers le monde, souligne M. Mikhaël. Pour ce qui est des participants au programme, ils sont davantage portés, après leur séjour, à s’intéresser aux affaires libanaises.» Et d’un point de vue politique ? «Nous n’entrons pas dans les détails de leurs engagements, poursuit-il. Nous tenons à ce qu’ils restent de bons citoyens dans leur pays tout en gardant une affection particulière au Liban.»
Du Liban dont elle est originaire, Vanessa Coelho Couri, une Brésilienne de 30 ans, a gardé l’image que lui a inculquée sa grand-mère dans son enfance, celle d’un pays «moderne, cultivé, qui produit... des fruits énormes!». Zeidy Munoz-Torres, une étudiante de 24 ans qui vit à Mexico, croyant trouver, à son arrivée, un pays en ruines, avec des paysages de déserts de...