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Actualités - REPORTAGE

SOCIAL - Cuir travaillé, marqueterie, tableaux… Les délinquants mineurs de Roumié exposent leur travail artistique et leur soif de liberté(photos)

Que se passe-t-il dans la tête d’un adolescent délinquant derrière les barreaux de sa prison ? Comment conçoit-il son délit, la société, sa vie après la libération ? Il est difficile de pénétrer dans l’esprit de cette catégorie de jeunes que leur entourage et la société ont tendance à juger un peu à la hâte. Une exposition annuelle de produits réalisés par les jeunes détenus de la prison de Roumié, préparée par l’organisation humanitaire internationale Terre des hommes, en collaboration avec l’association Mouvement social et l’administration de la prison, représente incontestablement une fenêtre d’où l’on peut contempler avec plus de justesse, avec plus de clémence également, le monde de ces jeunes tombés dans l’erreur on ne sait trop pourquoi. Cette exposition constitue le couronnement des activités constructives des associations et de l’administration pénitentiaire dans le domaine de la réhabilitation des délinquants, pour que leur séjour forcé ne soit pas inutile. Depuis quelques années déjà, le Mouvement social et Terre des hommes sont implantés dans la prison des mineurs, assistant sa direction dans la réhabilitation des jeunes. Le Mouvement social y possède un atelier où les adolescents apprennent certains métiers manuels. Terre des hommes s’est chargée de dispenser aux délinquants des cours d’alphabétisation et autres, et assure notamment un suivi psychologique. Les assistants sociaux et les formateurs sur le terrain font, depuis le lancement de ces initiatives, toute la différence. C’est une formatrice de Terre des hommes qui, la première, a eu l’idée de cette exposition, pour que les parents des détenus puissent mesurer les nouvelles capacités de leur progéniture. C’était il y a trois ans. L’exposition de cette année s’est déroulée du 1er au 6 juillet et comportait divers objets qui, aux dires de la coordinatrice du programme des délinquants dans Terre des hommes, Denise Murr, « ont tous été vendus aux visiteurs de l’exposition ». Les bénéfices des ventes reviennent aux jeunes, en totalité ou en partie. Pour le Mouvement social et l’administration pénitentiaire, une partie des bénéfices sert à la maintenance des ateliers, et le reste est consacré aux détenus. Terre des hommes, qui ne possède pas d’ateliers à proprement parler dans la prison, consacre les bénéfices de la vente des produits réalisés sous son égide à l’achat d’objets personnels dont les jeunes estiment avoir besoin. Économiquement, les adolescents ont tout à apprendre de ces ventes puisqu’ils sont amenés à mieux comprendre les lois du commerce. Sacs à main, jeux de trictrac et autres produits de marquetterie, bibelots artisanaux, tableaux de tous genres... La diversité et la qualité du fini de ces objets forcent l’admiration. Le travail manuel permet aussi aux jeunes d’exprimer leurs angoisses et leur vision du monde. Une des œuvres exposées attire particulièrement l’attention : il s’agit d’un tableau en relief composé d’un masque doré derrière des barreaux noirs, sur fond en jute. Plus expressive que mille mots, cette réalisation résume de manière simple et frappante le vécu des jeunes prisonniers. Elle devient d’autant plus intéressante quand on apprend la manière dont les artistes en herbe (ils étaient plusieurs) ont procédé : le masque a été moulé sur les traits de l’un d’entre eux. Philosophie et humour noir Les organisateurs de l’exposition ont introduit cette année une nouvelle forme d’expression, l’écriture. Les jeunes ont eu la possibilité d’exprimer leurs idées dans des poèmes, des mots écrits sur des tableaux décoratifs ou des affiches. « Nous sommes tous des prisonniers, mais certains d’entre nous ont accès à des fenêtres et d’autres pas. » « Nous vivons dans l’espoir que les châtiments imposés par la justice correspondent aux délits commis. » « Il y a des prisonniers qui rient et des personnes libres qui pleurent. » Ce sont quelques-unes des réflexions que l’on peut lire sur un panneau réalisé par des détenus. Certaines ne manquent pas d’humour... noir. « Aucun homme n’est libre... puisqu’il commence invariablement sa vie avec neuf mois de prison ! » Les détenus ont même adressé un message au ministre de la Justice, déposé dans un cadre photo réalisé par eux : « La liberté n’est qu’une chance de devenir meilleur... Donnez-nous cette chance. » Les textes sont travaillés dans les groupes d’études de Terre des hommes (souvent dans les cours d’alphabétisation). Les thèmes sont suggérés aux jeunes et correspondent à leur vécu, afin qu’ils se sentent plus aptes à les traiter et à s’exprimer par la même occasion. Il s’agit d’une phase préparatoire aux ateliers de travaux manuels, au cours de laquelle les adolescents apprennent la patience et le travail méticuleux, des qualités indispensables pour se préparer à la formation technique. Certes, les jeunes délinquants sont toujours fiers de montrer leurs réalisations à leurs parents. Mais ces derniers ne sont pas les seuls qui doivent modifier l’image de brebis galeuse qu’ils conservent de leurs jeunes. Selon Denise Murr, l’exposition est destinée à trois catégories de la population, dont le rôle est crucial dans la réhabilitation des délinquants. Il s’agit des familles, bien sûr, qui apprennent à valoriser le travail de leur enfant. Il y a aussi les magistrats, dont certains sont invités chaque année à participer à l’exposition. C’est durant cette visite que des échanges informels ont lieu entre les juges et les adolescents, des entretiens qui permettraient aux premiers de mieux comprendre les raisons des seconds, de rencontrer la personne derrière le cas. Les agents des Forces de sécurité intérieure (FSI) sont la troisième catégorie visée. Eux aussi ont des échanges bénéfiques avec des jeunes dont ils sont souvent les premiers à se charger après leur arrestation. Outre les magistrats, les agents de l’ordre et les parents, une trentaine de visiteurs ont assisté à l’exposition cette année. Parmi eux, de nombreux volontaires et représentants d’associations. Suzanne BAAKLINI
Que se passe-t-il dans la tête d’un adolescent délinquant derrière les barreaux de sa prison ? Comment conçoit-il son délit, la société, sa vie après la libération ? Il est difficile de pénétrer dans l’esprit de cette catégorie de jeunes que leur entourage et la société ont tendance à juger un peu à la hâte. Une exposition annuelle de produits réalisés par les...