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Actualités - OPINION

La grogne fait rage, même parmi les ministres

Étrange cour où personne n’est content, ni les petits ni les grands. Le mécontentement qui court les rues souffle ses aigres relents dans les allées même du pouvoir. Un paradoxe qui paraîtrait cocasse s’il ne faisait grincer des dents tant de gens, pour ne pas dire tout le monde. Il faut d’ailleurs prendre bien du recul pour relever combien il est bizarre que les décisions déplaisent même à ceux qui les prennent. Ou, plutôt, qui les contresignent, contraints et forcés. Comme ce fut le cas naguère pour la loi électorale que son propre auteur, le cabinet Hoss, puis son dépositaire, la Chambre antérieure, avaient été les premiers à décrier. On murmure donc beaucoup, ces temps-ci, sur les bancs de l’école gouvernementale. Et ce ne sont pas nécessairement les éléments réputés turbulents ou frondeurs qui poussent le plus les hauts cris. Dans leurs assises privées, ces messieurs se déchaînent à qui mieux en diatribes acerbes contre l’un ou l’autre des dirigeants. Pour s’inquiéter ensuite, une fois le mouvement de courroux passé, d’un avenir qui leur semble bouché. À en croire certains d’entre eux, les assurances haririennes concernant Paris II ne sont que de la poudre aux yeux. Tandis que d’autres soulignent que les contempteurs du chef du gouvernement n’ont pas grand-chose de positif à proposer. D’ailleurs, autre inconséquence, les deux groupes qui se tirent dans les pattes ne manquent pas de se rejoindre pour convenir que le mal, presque tout le mal, est imputable à la guerre des chefs. Que leur mutuelle animosité porte à se quereller sur tout et sur rien, sur les privatisations, sur le cellulaire, sur le mazout ou sur le pont virtuel d’Avignon-Ouzaï. Une lutte d’autant plus acharnée qu’elle se déroule uniquement en coulisses. On sait en effet qu’au cours d’une de ces innombrables rencontres de franches explications, le président Hariri a affirmé au président Lahoud qu’il souhaite éviter toute dispute. Et qu’il est disposé à coopérer, à harmoniser les relations, quel que soit le dossier sous étude. M. Hariri s’est cependant hâté de préciser alors, indiquent les sources fiables qui rapportent cet entretien, que les contentieux en suspens devraient faire l’objet de pourparlers en vue de compromis raisonnables. En promettant que dorénavant, on ne soulèverait plus de thèmes ou de projets susceptibles de provoquer des dissensions au sein du pouvoir. Il a conclu en rappelant que les désaccords entre dirigeants aggravent les difficultés du pays et risquent d’entraîner de fâcheuses conséquences. Sous-entendu monétaires, financières, sociales et économiques. Cette ouverture, cette main tendue, n’ont pas suffi à arranger les choses. Si tant est, du reste, qu’elles ne procédaient pas d’une simple tactique politicienne. On ne prête qu’aux riches : M. Hariri a tant de fois fait front au régime que les professionnels doutent qu’il ait voulu signer sinon une capitulation du moins un véritable armistice. Ainsi, même des opposants de l’Est, peu suspects de sympathie outrancière à l’égard de Baabda, affirment que les défaillances sont principalement à mettre au compte du chef du gouvernement. À leur avis, en effet, c’est bien lui qui conduit effectivement la barque, le président de la République n’ayant qu’un contre-pouvoir d’objections verbales. Pour ces contestataires, le trou béant du budget, l’accroissement constant de la dette publique montrent que les mesures prises jusque-là ne sont que de simples palliatifs. Qu’aucun redressement véritable n’a été amorcé. Et que les démarches pressantes que M. Hariri effectue à l’étranger ne sont qu’autant de fuites en avant. Pour tout dire, ces politiciens doutent que les promesses françaises portent leurs fruits. Pour la simple raison qu’en réalité ce n’est pas Paris, mais le FMI, entendre Washington, qui a la capacité de surseoir aux lourdes échéances libanaises. Or, actuellement, les Américains ne sont pas très bien disposés à l’égard du Liban officiel, allié trop fidèle d’une Syrie qui leur donne du fil à retordre. Sur le plan (c’est le mot) purement technique, on n’est pas loin de penser à l’Est que le camp postchéhabiste, l’école Hoss-Corm n’a pas tort de réclamer, via les hérauts de Baabda, un programme à long terme, quinquennal ou au moins triennal. Il faut, disent ces opposants, mettre les idées en ordre de marche, avec un schéma global d’orientation. Les haririens soutiennent pour leur part, comme on sait, que ces procédures sont révolues, qu’elles font partie de l’héritage mort du progressisme, et que la mondialisation interdit en fait tout autre cadre que le libéralisme. Cette controverse n’est cependant que l’arbre qui cache la forêt. Car, pour se sortir d’une ornière, il faut pouvoir bouger. Or, actuellement, les pressions extérieures, contraires et multiples, sont telles que le Liban s’en trouve presque paralysé. Nul n’ignore ainsi que les USA se montrent de plus en plus pressants. Ils dépêchent à Beyrouth, comme à Damas, des émissaires de toutes sortes. L’un des plus remarqués aura été le sénateur Robert Graham, président d’une commission du Congrès au titre (redoutable) qui en dit long : les affaires de sécurité. Il vient expliquer aux Libanais ce qu’il a déjà dit aux Syriens. À savoir qu’il ne faut pas faire joujou avec les questions relatives au terrorisme, rubrique où le nom du Hezbollah est mentionné en rouge. Le sénateur ajoute qu’el-Qaëda redouble de menaces, comme il en a été fait état en ce qui concerne Las Vegas pour ce même 4 juillet. Une allusion aux accusations israéliennes selon lesquelles l’organisation de Ben Laden se serait implantée dans les camps palestiniens du Liban. Et aurait même partie liée avec le Hezbollah. Bref, redisons-le, les Américains mettent la pression. Au-delà de la réaction instinctive de rejet que leur approche suscite dans les pays arabes en général, en Syrie et au Liban en particulier, il est difficile d’ignorer leur message. C’est ce que souligne une source loyaliste, en ajoutant que dans les conditions actuelles, Damas ne cesse de conseiller aux Libanais de mettre leurs querelles de côté. De tout traiter dans le calme et par le dialogue. Selon cette source, l’éruption pseudo-populaire du pont d’Ouzaï constitue aux yeux des décideurs une erreur que l’on aurait dû éviter. D’autant qu’il est inadmissible, injustifiable qu’un responsable soit houspillé et même battu, sous les encouragements de ministres et de députés appartenant au bloc du Hezbollah. Ce parti se justifie en contre-attaquant. C’est-à-dire en accusant carrément le président du Conseil d’exécuter un plan de provocation ourdi par les USA. On voit donc qu’aucune tension, extérieure ou intérieure, n’est épargnée au gouvernement en place. Ou au pays. Philippe ABI-AKL
Étrange cour où personne n’est content, ni les petits ni les grands. Le mécontentement qui court les rues souffle ses aigres relents dans les allées même du pouvoir. Un paradoxe qui paraîtrait cocasse s’il ne faisait grincer des dents tant de gens, pour ne pas dire tout le monde. Il faut d’ailleurs prendre bien du recul pour relever combien il est bizarre que les décisions...