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Actualités - REPORTAGE

INTERVIEW - Le ministre de la Culture expose les démarches suivies par son département La préservation du patrimoine libanais, cheval de bataille de Ghassan Salamé(photos)

Outré de la mauvaise qualité des restaurations, scandalisé par le vide juridique entourant ce secteur, passionné par le patrimoine et travaillant d’arrache-pied pour sa préservation, le ministre de la Culture, Ghassan Salamé, a procédé, à l’intention de « L’Orient-le Jour », à un large tour d’horizon de la situation actuelle du patrimoine. Il y a quelques jours, la menace de destruction de la maison de Takieddine Solh, rue Spears, a remis sur le tapis toute la question de la sauvegarde du patrimoine architectural libanais. La décision de la démolition ou de la préservation des anciennes demeures nécessitant la signature du ministre de la Culture, M. Salamé affirme avoir réglé ce problème en refusant, durant les dix-huit mois passés, de signer les permis de démolition. « Cela a pu porter préjudice à quelques propriétaires, mais il faut impérativement veiller à la sauvegarde du patrimoine national », affirme-t-il. Et c’est pour mieux protéger ces résidences que le ministre Salamé compte relancer le projet de loi sur les biens culturels en Conseil des ministres, car, selon lui, « la base juridique constitue l’unique moyen de protection de l’ensemble du patrimoine architectural ». Si ce projet de loi est adopté, les demandes de démolition seront étudiées, au cas par cas, par une commission formée du ministre de la Culture, des directeurs généraux des Antiquités et de l’Urbanisme, du président de la municipalité de Beyrouth, du président de l’Ordre des ingénieurs et des responsables de l’Apsad. Suite à l’étude de la valeur patrimoniale de la résidence, la demande de démolition sera refusée ou acceptée. À ce titre, M. Salamé assure vouloir demander au Conseil des ministres le classement des trois cent vingt-deux immeubles inventoriés de Beyrouth. M. Salamé déplore toutefois que les défenseurs du patrimoine ne songent à protéger que les demeures de la capitale, alors que la menace concerne l’ensemble du territoire. Il est nécessaire de faire l’inventaire du patrimoine architectural de l’ensemble du pays. « Les nouvelles tendances de sauvegarde ne se font plus à l’échelle d’une maison mais englobent des quartiers entiers et des centres historiques ayant préservé leur authenticité », indique-t-il. Pour ce qui est de la préservation de l’authenticité des monuments religieux, M. Salamé se dit « outré » par la procédure adoptée pour la restauration de certains monuments. « Je trouve que les hommes de religion, qui jouissent d’une certaine impunité, ont fait preuve d’un mauvais goût dans la restauration de certains couvents et mosquées », a t-il estimé, ajoutant : « Nous faisons de notre mieux pour limiter les dommages. Certes, je ne veux pas interdire aux hommes de religion d’utiliser les monuments mais toute restauration doit s’effectuer suivant des normes très strictes ». Mais pour faire respecter ces normes, il faut que la Direction générale des antiquités (DGA) ait des spécialistes en restauration en son sein. Pour en arriver là, il faut restructurer la DGA, et ce, en modifiant les lois. De nouvelles lois pour remplacer l’ancienne « J’étais scandalisé par le vide juridique enveloppant le ministère de la Culture et les directions générales », confesse M. Salamé. Pour remédier à cette situation, neuf projets de lois se préparent actuellement et trois d’entre eux seront bientôt soumis à la Chambre. Il s’agit des lois relatives aux biens culturels et à la restructuration du ministère de la Culture et des établissements publics dont fait partie la Direction générale des antiquités. « Si ces projets sont adoptés, la DGA sera uniquement responsable de la gestion des fouilles et des recherches dans les différents domaines de l’archéologie, explique le ministre de la Culture. La gestion des musées archéologiques relèvera, elle, d’une nouvelle administration qui sera, par le fait même, responsable de l’ensemble des musées du pays. » La DGA transférera alors ses locaux à Starco dans les mêmes bureaux que ceux du ministère de la Culture. Ses anciens bureaux seront transformés en centres spécialisés dans la recherche scientifique. Mais les changements ne s’arrêteront pas à ce stade. « Nous allons agrandir l’équipe de la DGA en doublant le nombre d’archéologues et en engageant des architectes spécialistes en restauration des monuments historiques », précise M. Salamé. Mais comment cela serait-il possible alors que le recrutement est gelé depuis quelques années dans les administrations publiques ? « Exception sera faite pour la DGA, car c’est le seul moyen pour préserver le patrimoine «, assure le ministre Salamé. Les projets établis pour la modernisation de la DGA ne se limitent pas à ces modifications. En effet, la direction sera dotée de laboratoires de formation. Les chercheurs, les archéologues et les spécialistes de restauration y seront ainsi entraînés. Quant au financement du projet, M. Salamé est optimiste et assure en souriant que des « accords de coopération seront signés entre le Liban et des instituts européens ». « Des mécènes se chargeront des financements », certifie-t-il. Mais si, aujourd’hui, les donations affluent, qui peut garantir leur continuité demain, d’autant plus qu’aucune augmentation du budget de la DGA n’est prévue ? « Un nouveau poste sera créé au ministère de la Culture », répond M. Salamé. « Ses responsables seront chargés de la constitution des dossiers et de la collecte des fonds à l’échelle internationale pour les projets des différentes directions rattachées au ministère. Ces financements peuvent alors assurer la continuité des projets scientifiques au sein de la DGA. D’ailleurs, la restauration du Hammam Ezzeddine à Tripoli et la réhabilitation du site de Jbeil ont été entièrement financées par des institutions étrangères. Ces expériences peuvent se renouveler pour d’autres régions et études », poursuit-il. Certes, ce nouveau projet de loi assure à la DGA un meilleur avenir mais en étant étroitement rattachée au ministère de la Culture, elle devient plus apparentée à un centre de recherches qu’à une véritable administration autonome. De plus, quel serait son avenir si jamais le successeur de M. Salamé n’est pas un passionné du patrimoine ? Un sourire aux lèvres, le ministre de la Culture assure que « tous les projets scientifiques et les accords que le Liban signe actuellement avec les instituts étrangers sont à long terme ». « Cela a pour but de lier mon successeur (car je ne compte pas m’éterniser dans le domaine public) à des projets touchant au patrimoine », poursuit-il. Vente des antiquités et campagne de sensibilisation dans les écoles Les nouveaux projets de lois prévus touchent les différents secteurs de l’archéologie, même celui de l’épineux problème de la vente des antiquités. Dans un contexte régional de plus en plus défavorable à ce commerce – l’Irak condamnant les trafiquants à la peine de mort, et la Syrie à vingt-cinq ans de prison –, quelle serait la position du Liban ? « Cela constitue notre septième ou huitième projet de loi, certifie-t-il. Nous tardons dans cette étude, car nous suivons une approche comparative entre les lois de différents pays afin d’apprendre de leur expérience. Aucune décision n’est encore acquise, mais la vente serait de nouveau autorisée, évidemment selon des codes très stricts. » Ne craint-on pas toutefois que cette légalisation augmente le pillage des sites archéologiques et le trafic illicite des pays arabes vers le Liban ? Tranquille sur ce point, M. Salamé affirme que « ce n’est pas la vente des antiquités au Liban qui va intensifier le pillage ». Toutes ces démarches positives et modernes garantissent, d’une part la sauvegarde du patrimoine libanais et, d’autre part, son étude. Et afin de les compléter, elles sont suivies par des campagnes de sensibilisation aux échelles internationale et nationale. Désormais, l’archéologie et le patrimoine constitueront la moitié des programmes des activités prévues pour les semaines libanaises à l’étranger. « La décision a été prise au Conseil des ministres, affirme M. Salamé. En effet, des documentaires sur les sites archéologiques et les traditions libanaises seront projetés lors de ces activités. » Par ailleurs, et pour faire connaître le Liban aux jeunes Libanais, une approche pédagogique sera proposée dans les écoles. Ainsi, l’année prochaine, des architectes et des archéologues essaieront différentes approches avec les élèves afin de finaliser le projet qui vise à introduire le patrimoine dans les programmes scolaires. Ce qui, à long terme, changera la vision de l’histoire et du passé. Si, malgré toutes les difficultés de la situation actuelle, ces projets voient le jour, le Liban pourra alors espérer en un meilleur lendemain pour l’ensemble de son héritage. Ainsi, M. Salamé, qui se considère comme « un ignorant qui s’est pris de passion pour le patrimoine », aura communiqué son enthousiasme à l’ensemble de ses compatriotes et assuré la préservation de vestiges centenaires. Joanne FARCHAKH
Outré de la mauvaise qualité des restaurations, scandalisé par le vide juridique entourant ce secteur, passionné par le patrimoine et travaillant d’arrache-pied pour sa préservation, le ministre de la Culture, Ghassan Salamé, a procédé, à l’intention de « L’Orient-le Jour », à un large tour d’horizon de la situation actuelle du patrimoine. Il y a quelques jours, la...