Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Entre être et avoir

La perspective d’une interdiction des panneaux d’affichage « érotiques », a irrité de nombreux lecteurs. C’est regrettable, car on risque, une fois de plus, dans la fièvre de la polémique, de schématiser les choses et de les déformer. L’essentiel, c’est qu’entre être plus et avoir plus, il n’y a pas de confusion possible. Les poètes et les mystiques de tous les temps sont là pour le prouver. Mais tout concourt, autour de nous, à provoquer cette confusion. Et le matraquage publicitaire auquel nous sommes exposés, tous les jours, au cours de nos déplacements, fait partie de ce tout. Transformés en consommateurs, nous sommes invités, incités, conditionnés à participer à une course effrénée à l’avoir, présentée comme une poursuite désirable du bonheur. Certes, il n’est pas question de mettre en question la place de la publicité dans la chaîne économique. Ni même dans la chaîne esthétique. La publicité a été érigée par quelques grands noms au rang d’art, et c’est tant mieux. Certains halls gris d’aéroports seraient invivables si la publicité n’existait pas, et, bien conçue, celle-ci constitue une source précieuse de connaissances et d’informations. Mais comme tout ce qui tend à nous envahir, la publicité doit être réglementée et respecter des critères de vérité, sur le fond, et de liberté, dans la forme. La publicité ne doit pas envahir notre champ de conscience (et d’inconscience), au point qu’il n’y ait plus de place que pour elle, pour déterminer nos choix. Elle doit aussi répondre à des critères de vérité. La publicité doit être véridique. Elle ne doit pas tromper sur la qualité du produit. Enfin, la publicité doit respecter les valeurs dominantes de la société. Or, il saute aux yeux que ce qui se passe sur certaines de nos routes est inadmissible. La densité des panneaux d’affichage offre au regard des sollicitations si fréquentes et si intenses qu’elle en devient une tentation permanente à se détourner de l’essentiel, c’est-à-dire de l’être, vers l’avoir. Même du point de vue publicitaire, voire esthétique, certains panneaux sont contre-productifs. Sur les routes de montagne, l’indiscrétion des publicitaires est telle que les panneaux sont installés côté vallée, comme pour se substituer au paysage. Dans le Chouf, les municipalités ont tout fait pour limiter au maximum la « pollution » publicitaire. Entre Damour et Baaqline, nous ne verrez presque pas de panneaux, par exemple. Cas aggravant, dans certains domaines, la publicité frise la grivoiserie, certains diront la pornographie. C’est directement aux pulsion sexuelles masculines qu’on s’adresse, pour stimuler un choix commercial confondu avec un état de bonheur. C’est à ce type de publicité que les communautés religieuses s’en prennent parce que ce n’est pas un jeu innocent. Indépendamment des critères de moralité publique, le matraquage publicitaire peut aiguiser les clivages sociaux reposant uniquement sur l’avoir et alimenter ainsi une compétition sociale malsaine. Ce matraquage risque d’atomiser la société, à l’heure même où les besoins de solidarité sociale sont les plus forts, aussi bien sur le plan économique que politique. Du reste, l’effet de la publicité sur les routes ne doit pas être dissocié de l’impact des autres médias sur le comportement. Dans le cas des enfants, et dans certains cas bien entendu, il peut être assimilé à une incitation à la débauche ou à la violence. C’est aussi le cas des adultes. Dans une société aussi vulnérable que la société libanaise, ce type de publicité peut être ravageur et, conjugué à d’autres stimulations du même type, conduire à la délinquance et au crime. Il n’y a pas de raison, si la chose se vérifie dans des pays d’Occident, qu’il n’en soit pas de même chez nous. Voilà, rapidement présenté, de quoi plaider en faveur d’une plus stricte réglementation de ce secteur. Finalement, c’est du Liban qu’il s’agit. Du Liban, dans sa diversité, dans ses contrastes, dans ses paradoxes. Il est évident qu’une censure des panneaux publicitaires frustrera les aspirations d’une frange de la population qui rêve d’un Liban démocratique et peste contre l’archaïsme des interdits moraux. Mais il est tout aussi évident qu’il existe une autre frange pour laquelle la notion de liberté est tout autre. Et le Liban étant ce qu’il est, le Liban n’étant pas un pays de ségrégation mais de brassage des cultures, il va de soi que c’est à l’arbitrage de la loi qu’il faut s’en remettre pour concilier l’expression des aspirations contradictoires, parfois même conflictuelles, de ses couches sociales et culturelles. En définitive, nous sommes placés devant un choix de société et devant une patrie à forger. Fady NOUN
La perspective d’une interdiction des panneaux d’affichage « érotiques », a irrité de nombreux lecteurs. C’est regrettable, car on risque, une fois de plus, dans la fièvre de la polémique, de schématiser les choses et de les déformer. L’essentiel, c’est qu’entre être plus et avoir plus, il n’y a pas de confusion possible. Les poètes et les mystiques de tous les...