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Actualités - INTERVIEWS

CONFÉRENCE - Un islamologue et historien dresse un parallèle entre l’UE et le Proche-Orient Dominique Chevallier : Dans le cadre de la Ligue arabe, chaque État a pu consolider sa position

«L’amitié franco-arabe » a été le thème d’une conférence donnée vendredi dernier au Cermoc par l’islamologue et grand historien du Proche-Orient contemporain, Dominique Chevallier. Délaissant les plans stéréotypés propres à ce genre de conférences, l’auteur de La société du Mont-Liban à l’époque de la révolution industrielle en Europe a mis en parallèle la Ligue arabe et la Communauté européenne. Une réflexion sur ce qui a été et sur ce qui est, dans l’évolution géopolitique et géostratégique du XXe siècle. Expliquant, tout d’abord, le choix de son titre « L’Amitié franco-arabe », un terme qui, parfois, chiffonne, Dominique Chevallier a rappelé que le Liban est un des membres fondateurs de la Ligue arabe, au début de 1945, et qu’il est donc « indispensable » d’intégrer l’amitié franco-libanaise dans l’ensemble du monde arabe. Évoquant une conversation qu’il a eue à ce sujet, en mars 1982, avec le président Élias Sarkis qui jugeait inquiétante les « bonnes relations » des autorités françaises avec les « États de l’Orient arabe », parce que ça leur faisait peut-être oublier le sort du Liban, M. Chevallier confie : « J’ai dit au président Sarkis que l’amitié franco-arabe incluait nécessairement le Liban. Que la politique française, en direction des États arabes, ne pouvait pas se cantonner à un seul État, le Liban. Qu’on ne pourrait pas trouver une solution à la question libanaise en dehors de bons rapports avec l’ensemble de ces pays ». Faisant ensuite un parallèle entre la création de la Ligue arabe et l’Union européenne, M. Chevallier signale que la Ligue des États arabes a été fondée, en 1945, pour affirmer la solidarité des États arabes indépendants et faire entendre leur voix à l’organisation des Nations unies. Or, l’évolution dans le cadre de cette « solidarité arabe affirmée » a permis à chacun de ces pays de consolider sa propre position ; d’affirmer son existence parfois au nom d’une nation arabe, ou au nom d’une solidarité islamique, ou encore d’une oumma islamique qui transcende les cadres géographiques de cet État. « Il y a donc une ambiguïté vécue par les Arabes, qui est souvent mal comprise du côté européen », a dit l’historien. Parallèlement, du côté européen, M. Chevallier signale un autre type d’évolution. La communauté économique européenne qui a été créée par le traité de Rome, en mars 1957, c’est-à-dire quelques mois après la guerre de Suez, s’est penchée sur « la reformulation d’une orientation », ou d’un « recentrage » européen. « À l’opposé des États arabes qui se sont affirmés, les pays européens se sont de plus en plus intégrés dans le cadre de la Communauté », souligne M. Chevallier. Il devait ajouter que « les structures économiques, politiques et judiciaires européennes ont restreint progressivement la compétence des États ». La notion même de nation a évolué. Par conséquent, « l’intégration ne peut pas ignorer la politique extérieure », annonce le conférencier, mettant ainsi l’accent sur le rapprochement et la consolidation de nouveaux rapports entre la France et l’Allemagne qui s’étaient si cruellement combattues. « Tous descendants de l’Empire romain » Par ailleurs, le conférencier fait remarquer que si les empires disparaissent politiquement, ils laissent des traces culturelles indélébiles. « Nous sommes tous ici des descendants de l’Empire romain », a -t-il déclaré, avant de rappeler que cette question a été soulevée dans le monde arabe et plus particulièrement par le grand écrivain égyptien Taha Hussein qui a souligné l’importance du patrimoine commun et insisté sur la solidarité des cultures du bord de la Méditerranée, qu’elles soient chrétiennes ou musulmanes, orientales ou occidentales. « La France ne peut jouer pleinement son rôle, dans le cadre de l’UE, qu’en maintenant des relations constructives avec les États arabes du sud et de l’est de la Méditerranée », affirme le conférencier. Il fait également remarquer que les Allemands ont affirmé leur présence, depuis la chute du mur de Berlin, en s’ouvrant plus largement du côté de la Russie et de l’Europe balkanique, « avec parfois certaines bavures comme dans l’ex-Yougoslavie ; mais ceci fait partie des legs que nous réinventons », a-t-il dit. Abordant les problèmes de la région, M. Chevallier estime que l’échec des gouvernements israéliens est d’avoir pensé leur État comme un ghetto. Et dans ce cadre, il souligne que le problème de l’État palestinien est non seulement aigu, mais « fondamental dans le présent et le destin des Arabes ». Face à des espaces géopolitiques qui contrôlent le monde, pourra se dessiner alors la vision d’une confédération qui rassemblera les pays de l’islam. Aussi, Dominique Chevallier appelle à vivre l’universalisme dans le pluralisme. À réfléchir à la diversité, à la complémentarité qui permettra de créer des politiques triomphantes. Signalons qu’au début de sa conférence, Dominique Chevallier a tenu à rendre hommage à son « disciple » et « ami », le professeur Antoine Abdel-Nour, tué il y a bientôt 20 ans par une rafale israélienne. Il a évoqué également Kamal Joumblatt, cheikh Sobhi Saleh, le président Rachid Karamé et, du côté français, l’ambassadeur Louis Delamare, le père Michel Allard et Michel Seurat. Des personnes « pour lesquelles j’avais beaucoup d’estime » et qui ont disparu : « En Orient, il arrive qu’on oublie les morts quand on n’a pas à les venger ou à tirer une gloire familiale. Je pense qu’aujourd’hui, il faut honorer les disparus qui sont morts pour tous, et à qui nous devons un sens de la vie, un sens de la création commune », a dit M. Chevallier. May MAKAREM
«L’amitié franco-arabe » a été le thème d’une conférence donnée vendredi dernier au Cermoc par l’islamologue et grand historien du Proche-Orient contemporain, Dominique Chevallier. Délaissant les plans stéréotypés propres à ce genre de conférences, l’auteur de La société du Mont-Liban à l’époque de la révolution industrielle en Europe a mis en parallèle la...