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Actualités - OPINION

Atatürk contre Atatürk

par le Dr M. Meguerditchian (*) La Turquie a posé, depuis un certain temps, sa candidature à l’entrée dans l’Union européenne. Rendue possible par la levée spectaculaire du veto grec, cette candidature n’a pourtant pas enchanté la société turque. Bien au contraire, les conditions à remplir pour l’entrée dans l’UE, dites conditions de Copenhague, ont divisé la caste politico-militaire du pays en deux camps opposés, prêts à tout pour faire prévaloir leurs points de vue. Il y a, d’une part, les nationalistes kémalistes à l’esprit de plus en plus anachronique et, d’autre part, les modernistes, partisans de la mondialisation et du marché, fervents défenseurs d’une politique d’ouverture amicale en direction de la Grèce. Le consensus apparent sur le sujet entre ces deux groupes est plus que trompeur ; l’opinion mondiale en a été déjà témoin à plusieurs reprises. La Turquie peut-elle franchir le cap de sa candidature sans déchirements internes sérieux, d’autant plus que les exigences européennes ne semblent pas être platoniques, mais ordonnent des transformations profondes, tangibles et vérifiables sur le terrain même ? La liberté culturelle des minorités est notamment l’une de ces conditions. Mais alors, l’armée turque aura-t-elle gagné sa guerre contre le mouvement de libération kurde (qualifié de «terroriste» par les autorités d’Ankara) pour lui offrir maintenant ses libertés, au nom des principes «redditionnistes» d’une Europe en quête de son élargissement géopolitique? Rien de moins évident. D’ailleurs, la liberté culturelle des minorités était déjà garantie par le traité de Lausanne, ce qui n’a pas empêché les autorités turques de serrer l’étau sur les communautés minoritaires pendant huit décennies, au point de les décimer par une émigration certes pas toujours violente, mais néanmoins efficace. Va-t-on sacrifier à Chypre, ne serait-ce que partiellement, les acquis de la politique des faits accomplis ? Où vont mener les pourparlers avec la Grèce, entamés justement dans la perspective des conditions d’entrée dans l’Europe ? Les conditions européennes sont autant de contraintes qui risquent de rouvrir d’anciennes blessures, toujours vives. Elles provoquent dans le monde politique turc des prises de position contradictoires, parfois même extravagantes. Ainsi, pour donner satisfaction à l’Europe, la peine de mort devrait être abolie d’une part, mais elle ne serait pas applicable à Öçalan. De même, on a nié longtemps toute responsabilité dans le génocide arménien en différenciant la République de Turquie de l’Empire ottoman. Aujourd’hui, l’argumentation a changé : on accepte – pourquoi pas ? – l’héritage ottoman et l’on déclare qu’il n’y a pas eu de génocide, que ce ne furent que de «tristes événements». Comble d’arrogance, c’est la victime qui est accusée de crimes. On tente de démontrer un faux théorème, en changeant méthode et procédure. Pourtant, le Parlement européen a voté une résolution dans laquelle il reconnaît le génocide arménien et recommande à la Turquie de l’admettre. Peut-on entrer dans l’Union européenne en se basant sur une histoire délibérément faussée ? La question du génocide arménien n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres. À l’instar de la défunte Union soviétique, la Turquie kémaliste a voulu transformer l’histoire pour se rendre maîtresse, au moins dans les esprits de sa population, de territoires qui n’ont été siens que par une violence millénaire et toujours entretenue. Peut-on regarder l’avenir avec assurance, en se basant sur un passé sciemment falsifié ? La classe intellectuelle turque commence à s’armer de courage, pour répondre timidement, à cette question, par la négative. Il en est même qui pensent que le processus de démocratisation dans le pays ne peut pas aboutir sans la reconnaissance claire et sans équivoque du génocide arménien ; qui pensent aussi que démocratie et droits de l’homme ne peuvent pas aller de pair avec l’esprit kémaliste, le nationalisme poussé à l’extrême, réminiscence des années trente du siècle passé. On tient là le grand paradoxe d’une logique aux données faussées : Atatürk contre Atatürk. S’étant donné la mission d’occidentaliser complètement la société turque, le kémalisme tel qu’il est défendu par les militaires devient l’entrave principale sur cette voie. Le choix est bien difficile. Comment se renier afin de redevenir soi-même ? Il faudrait, en effet, rechercher son vrai passé, avec courage et sans en avoir honte, pour pouvoir garantir un avenir plus normal. Choix difficile, mais pas impossible. Il n’y a qu’à prendre comme référence la République fédérale d’Allemagne. (*) Comité de défense de la cause arménienne (Parti Tachnag).
par le Dr M. Meguerditchian (*) La Turquie a posé, depuis un certain temps, sa candidature à l’entrée dans l’Union européenne. Rendue possible par la levée spectaculaire du veto grec, cette candidature n’a pourtant pas enchanté la société turque. Bien au contraire, les conditions à remplir pour l’entrée dans l’UE, dites conditions de Copenhague, ont divisé la caste...