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Actualités - REPORTAGES

Des artistes de renom pour une pieuse industrie

La paganisation de la crèche en provoqua la commercialisation. Les statues de bois, ou de terre émaillée, trop coûteuses, furent remplacées par des mannequins de carton-pâte ou de cire, agréablement habillés, avec des têtes de bois. Les yeux de verre furent adoptés pour la première fois à Naples, vers la fin du XVIIe siècle, pour animer alors des têtes de cire, le bois ayant été réservé aux extrémités des membres plus exposées aux chocs, ou aux animaux de taille qui garderont pour cela un caractère de stylisation ; tandis que la terre cuite était destinée au petit bétail et aux animaux de basse-cour. Grâce à cette nouvelle industrie, les ateliers se développèrent, et l’on vit surgir des artistes de grande renommée. On cite le nom de Carlo di Borbone, doué d’un vif sentiment religieux, d’un sens d’observation qui ne perd aucun détail de la vie de famille et d’un naturel frisant l’humour ; il se trouvait justement à Naples, au milieu d’un peuple non moins exubérant, et travaillait par la prédication de Padre Rocco, fameux religieux dominicain. Patronné par la cour, un artisanat est bientôt né, où joailliers, orfèvres, instrumentistes, céramistes, modeleurs de cire et graveurs, rivalisèrent d’adresse et de réalisme, dans les monastères, dans les échoppes, privées, comme dans les fabriques royales. Ces artistes, rejetant les acrobaties et les virtuosités techniques d’inspiration étrangère où se débattait la plastique napolitaine du XVIIIe siècle, et se plaçant en face du réel, prirent la nature pour maîtresse, et pour inspiratrice, les citadins et les paysans pour modèles, qu’ils reproduisirent très fidèlement jusqu’au moindre détail du costume. Alors que cette pieuse industrie dégénérait en Italie et ne donnait que des essais isolés, jusqu’à disparaître presque complètement vers le milieu du XIXe siècle, d’habiles sculpteurs allemands essayaient de ranimer les anciennes statuettes, privées de vie. Par contre, dans la péninsule ibérique, toute une école de céramistes, aux œuvres originales et souvent de grande valeur artistique, peupla le Portugal de statuettes, dès le XVIIIe siècle, et donna probablement naissance à ces modeleurs espagnols de crèches entièrement exécutées dans la pâte argileuse. En France, la provence fut le pays de prédilection de ce que l’on appelle encore les «santons», statuettes représentant les humains, à quelque condition qu’ils appartiennent, dans la plus pure tradition napolitaine. Mais ces petits bonshommes, qui peuplent encore aujourd’hui les crèches de France, sont tellement vivants, tellement fidèles aux types provençaux, ils se fondent si parfaitement avec le paysage et le milieu ou couleur locale, que l’on est amené à se demander s’il y a eu vraiment une influence italienne, ou s’il s’agit plutôt d’un développement parallèle et d’un heureux concours de circonstances. Il ne manquait à ces figures que le geste et la parole, ce dont elles furent dotées dans le courant du XVIIIe siècle. Et voilà le «théâtre religieux» remis à l’honneur, mais avec des acteurs de stuc, dans le genre du «théâtre Guignol». C’est Aix-en-Provence qui en a la primeur. Des marionnettes de types différents, vêtues des costumes appropriés, étaient fixées sur des planchettes mobiles ; elles pouvaient avancer, reculer, se retourner, débiter leur rôle et disparaître, actionnées par un machiniste invisible, véritable magicien, qui manipulait les cordes en boyau agissant sur la planchette et les ressorts cachés dans le corps des personnages. Des interprètes dans les coulisses s’en chargeaient, tenant la conversation adéquate, chantant les vieux Noëls dans un texte naïf imprégné de vie provençale, transmis de père en fils, jouant toujours le même rôle : c’était un métier comme un autre. Ceux qui, aujourd’hui, affublent l’homme d’une personnalité animale n’ont rien inventé : mais, au lieu d’élever l’homme d’un échelon, ils l’on abaissé jusqu’à la nature de la bête. Moyennant quelques sous, on pouvait être admis à la «Crèche Parlante», et se retrouver par enchantement à Bethléem, mais une Bethléem de Provence. Et les tableaux – une vingtaine – se succédaient devant les yeux émerveillés. Après l’Annonciation de l’ange, où sont bien rangés à la file les marchandes de poules, de fleurs, de fruits secs et autres menus, discutant avec leurs clients. Dans un coin, un aubergiste réprimande sa servante, lorsque survient Joseph avec Marie, exténués de fatigue ; il les repousse ; un bon vieillard les conduit alors dans une grotte. Puis l’ange apparaît aux bergers. À la naissance de l’Enfant, tout le monde jubile et manifeste sa joie, dont le ton est donné par un tambourinaire et une joueuse de vielle. Et c’est la procession vers la crèche : les bohémiens, les chasseurs, les gendarmes, les artisans, les braves paysans, les bourgeois, les autorités… Et voici le palais d’Hérode, et la marche des mages vers la crèche, où tous se retrouvent. On y voit, entre autres scènes savoureuses, la bohémienne prendre la main de Jésus, l’examiner avec attention, et on l’entend dire, de sa voix grave de prophétesse : «Dans ta main je lis, hélas ! que tu es né sans père. Une Vierge est ta mère. Pourtant je te vois grand , égal à Dieu, venu à nous en t’abaissant. Tu endureras des tourments sur une croix, pour nous sauver». Enfin, quelques anecdotes plaisantes, et le rideau tombe, alors que tous les acteurs chantent à l’unisson : «Louange, honneur, gloire à vous de tous côtés dans tous les temps à l’Infini, l’Éternité».
La paganisation de la crèche en provoqua la commercialisation. Les statues de bois, ou de terre émaillée, trop coûteuses, furent remplacées par des mannequins de carton-pâte ou de cire, agréablement habillés, avec des têtes de bois. Les yeux de verre furent adoptés pour la première fois à Naples, vers la fin du XVIIe siècle, pour animer alors des têtes de cire, le bois...