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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

CONGRES - Inauguration, hier, du colloque de l’USJ et de l’Instituto Cervantès - Auteur-traducteur : un couple en crise

La guitare et le oud, deux instruments à cordes, l’un occidental, l’autre oriental, ont inauguré, fort à propos, le congrès de traduction «Du pareil au même, l’auteur face à son traducteur» organisé par l’École de traducteurs et d’interprètes de Beyrouth (Etib) de l’Université Saint-Joseph et l’institut Cervantès. Une ouverture très symbolique à l’amphithéâtre Pierre Y. Abou Khater du campus des sciences humaines de l’USJ. En présence de la députée et présidente de la commission parlementaire de l’Éducation nationale, Mme Bahia Hariri, des ambassadeurs d’Espagne et de France, MM. Miguel A. Carriedo et Philippe Lecourtier, du père Sélim Abou, recteur de l’USJ, de M. Henri Awaiss, directeur de l’Etib, et de M. Michel Eddé. Ce dernier, dans son intervention, a comparé la relation auteur-traducteur à celle d’un couple marié. Pour M. Awaiss, il s’agit là d’une relation ambiguë qui n’est pas sans crises. «Comme celle du refus de passer chez l’autre, ou de l’impossibilité de le faire passer chez soi, il s’agit là de l’intraduisible, premier axe de ce colloque. Ou celle de manquer le ton du texte, et son éclairage, de décolorer l’auteur, de le ternir, d’enlever au texte son impact. Voilà, l’impact constitue le deuxième axe du colloque». Awaiss pose des questions sur la fidélité au sein de ce couple. Ce thème constitue le troisième axe du colloque. «Comment rester fidèle si la compréhension, le respect et l’égalité sont absents de la vie du couple ?», s’est interrogé le directeur de l’Etib. En parallèle à ces trois axes, trois auteurs rencontrent leurs traducteurs autour de trois problématiques. La première : à qui revient la traduction d’un roman. La deuxième : peut-on parler de renversement de rôles dans le cas d’un roman en arabe sur Granada traduit en espagnol ? La troisième : et si le poète est à la fois auteur et traducteur de sa propre poésie ! Pour ébaucher un début de solution à ce problème de couple, M. Awaiss a cité Maurice Pergnier qui dit : «Le traducteur est un peseur de mots» et :«L’essentiel est la balance où il pèse ces mots, car tout le travail de la traduction est une pesée de mots». L’ambassadeur d’Espagne au Liban n’a pas manqué, pour sa part, de rappeler dans son mot que la relation entre le traducteur et l’auteur n’est pas loin de celle de l’Espagne avec le monde arabe. Sélim Abou a évoqué les implications culturelles de l’opération traductionnelle et, plus spécialement, la notion d’acculturation, une notion qu’il a étudiée dans le cas des fils et filles d’immigrés qui, dès leur plus jeunes âge, doivent intérioriser deux codes culturels différents. «Dans cette confrontation et le processus d’acculturation qui s’ensuit, l’individu a le sentiment de devenir autre tout en restant lui-même». Pour le père Abou, cette continuité de l’identité dans le changement s’explique par le phénomène de la réinterprétation : le sujet réinterprète les traits de sa culture d’origine en fonction de la culture du pays d’accueil. «Le traducteur n’est-il pas semblable au fils ou à la fille d’immigrés, lorsqu’il se plonge dans le texte qu’il est appelé à traduire ?». Faut-il être parfaitement bilingue pour traduire un texte ? Faut-il être poète pour traduire un poème ? Le père Abou croit profondément qu’un traducteur doit séjourner dans la culture de l’autre, s’en pénétrer profondément «pour comprendre la forme ou la structure du texte à traduire, le sens de ses métaphores, la portée de ses connotations». Pour conclure, il a tenu à exprimer sa satisfaction de voir l’intérêt croissant que l’institut de langues et de traduction porte à la langue espagnole. En effet, «la diversité linguistique et culturelle est le seul rempart contre l’hégémonie d’une langue unique et d’une pensée unique que semble promouvoir la mondialisation». La députée Bahia Hariri a remarqué dans son allocution que, dans le passé, il était quasiment impossible de réunir l’auteur et son traducteur comme c’est le cas aujourd’hui, dans ce colloque. «Pendant des années, nous nous sommes contentés de traduire les œuvres d’auteurs décédés depuis des siècles ou depuis des années…». Mme Hariri a souligné que «la traduction est une opération “civilisationnelle” importante car elle a contribué à réduire les distances intellectuelles et culturelles entre les peuples et les langues». D’où l’importance cruciale que revêt la tenue de ce colloque à un moment où le monde arabe a besoin qu’on traduise et qu’on connaisse sa civilisation et ses œuvres. Chose qui, espère Mme Hariri, conduira à plus de créativité et à une renaissance culturelle de notre part. Qu’est-ce que l’intraduisible «L’intraduisible» constituait le thème de la première séance présidée par Jean François Botrel. Malika Embarek, traductrice vivant à Madrid, a soulevé le cas du traducteur qui appartient à la culture source et non cible. Dans ce cas, estime-t-elle, la relation traditionnelle auteur/ traducteur/lecteur, qui rend le texte équidistant par rapport à ces trois, se brise et le lecteur se voit marginalisé, capable de comprendre uniquement ce que le traducteur lui permet de comprendre. Françoise de Dax a exploré les textes juridiques espagnols de droit privé et de procédure en se demandant s’ils étaient traduisibles. En effet, le traducteur de ces textes se heurte à trois obstacles : le premier est d’ordre psychologique car les mentalités ne sont pas les mêmes, ni l’appréciation des droits et des devoirs de chacun. Le deuxième relève des conditions de vie de chaque communauté. Et le troisième de l’organisation pyramidale du système judiciaire. Ibrahim el-Khatib, de l’Université Mohammad V de Rabat, a défini l’intraduisible comme étant un texte qui refuse l’étrangeté et, par conséquent, refuse d’abandonner sa «nation linguistique» pour émigrer vers une autre que la sienne. Patricia el-Fata Rached, de l’Etib, a épinglé l’intraduisible, style les clins d’œil chez Maroun Abboud. Homme de lettres et journaliste pertinent, Abboud critique dans ses œuvres des aspects culturels que nul ne peut saisir sinon le Libanais «pur» qui a connu ce mode de vie, ces coutumes et, à la limite, s’en est plaint. Le discours de Mohamad Doggi, de l’Université de Marouba, Tunisie, s’est centré sur les principaux éléments qui rendent un poème intraduisible. Ainsi, l’infidélité ne serait pas, selon lui, la non-correspondance entre les deux textes, mais plutôt les failles commises par le traducteur à cause de son manque d’expérience ou son incompétence linguistique. Julia Escobar, écrivain, traductrice, a mis l’accent sur le paradoxe de la traduction poétique, consistant à la considérer impossible alors qu’en réalité elle est faisable, car nécessaire. L’impossibilité de la traduction poétique est en fait une difficulté. Très souvent, le texte traduit laisse un impact plus important que celui du texte original. Les séances de l’après-midi ont mis en confrontation les auteurs et les traducteurs. Gina Abou Fadel a joué le rôle de la modératrice entre Olivier Rolin, Maria Teresa Gallego, Iskandar Habash et Chérif Majdalani. Rolin a évoqué sa double expérience de traducteur (de l’espagnol) et d’auteur traduit. Il a envisagé (en ne s’interdisant pas la fantaisie) différents types de rapports qui peuvent unir, ou opposer, auteur et traducteur. Pour Gallego, la traduction est en même temps un jeu (avec la langue, les mots) et un défi stimulant. «Les livres n’ont qu’un auteur et les traducteurs ne sont pas des seconds auteurs du livre. Mais il n’est pas moins vrai que le traducteur réécrit le livre d’une certaine façon». Chérif Majdalani a posé une question pertinente : «Un roman multilingue est-il traduisible dans une seule langue ?». À méditer. Les travaux du colloque se poursuivront aujourd’hui et demain, au campus des sciences humaines, USJ, rue de Damas.
La guitare et le oud, deux instruments à cordes, l’un occidental, l’autre oriental, ont inauguré, fort à propos, le congrès de traduction «Du pareil au même, l’auteur face à son traducteur» organisé par l’École de traducteurs et d’interprètes de Beyrouth (Etib) de l’Université Saint-Joseph et l’institut Cervantès. Une ouverture très symbolique à...