Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIES

Yasmine Khlat, l’art de l’ellipse

Près de 12 ans consacrés à une écriture silencieuse et obstinée et qui aboutissent aux 87 pages – rédigées avec une densité et une retenue exemplaires parce que réconciliées – du premier roman de la Libanaise Yasmine Khlat, Le désespoir est un péché. Celui-ci a pour héroïne Nada, une jeune femme devenue servante à l’âge de sept ans chez les Nassour. Elle est aussi belle que bossue, ce qui est la moindre de ses contradictions. Elle parle peu, travaille beaucoup, elle est la risée des enfants du quartier et se fait quotidiennement humilier par le fils aîné de la famille, Ichhane. Jusqu’au jour où celui-ci la viole. Elle venait d’apprendre par le voisinage que la famille Nassour était accablée d’un secret tragique. «J’ai rencontré une femme qui m’a inspiré le personnage de Nada, explique laconiquement l’auteur. Celui-ci est une alchimie du réel et de mon imaginaire». Yasmine Khlat préfère évoquer la construction de son roman, «élaborée avec une petite série d’éléments qui se répondent, une mélodie aux résonances très construites.» Il semblerait, comme l’a constaté une lectrice proche de l’écrivain, qu’«aucune phrase ne soit à retirer, l’essentiel est là, sans apprêt». «C’est un travail réfléchi», répond l’intéressée. Alors dans ces paragraphes ramassés, l’auteur découvre une famille traditionnelle libanaise dont les membres quittent peu à peu la maison mère, celle qui, immuable, constitue le squelette du roman. Après la souffrance, l’amour, parfois L’épouse, décédée, brille par son absence qui scelle le destin. Nasri Nassour, l’époux veuf, le père impuissant voit s’envoler ses enfants : Nour et Omar se marient, Narimane se réfugie chez des cousins pour fuir le vide laissé par le départ de sa sœur et Moha va apprendre la musique à Beyrouth. Ne reste que son fils aîné, Ichhane, son espoir, sa descendance, le violeur de servantes. Nada voudra en mourir, de ce viol, alors Ichhane en mourra de honte, surpris par le voisinage alors qu’il la maltraitait sur une plage. Il s’enfuira sans laisser de trace et son père l’attendra jusqu’au bout : «Le désespoir est un péché», une phrase magnifique qu’il prononce dans sa souffrance qui sert de titre au premier roman de Yasmine Khlat. Cette conviction, Nada la servante la fait sienne. Car au bout du tunnel de la souffrance, il y a parfois l’amour. Elle le connaît dans les bras de Taymour, le neveu de Nasri, le fils d’un père meurtrier. Voilà le secret de la famille Nassour : il est teinté de sang. Ce n’est pas celui de Nada qui, après la mort du maître qu’elle idolâtrait, vit seule dans la grande maison. Taymour vient l’y rejoindre jusqu’au jour où il ne la trouve pas. Nada est morte mais Yasmine Khlat ne le dit pas. Nada et Taymour, issus de «castes» différentes, ne se seraient jamais aimés au grand jour, mais là aussi, la romancière fait une grande ellipse. Pourtant, comme celle-ci le dit elle-même, «tout est là, évident». Son roman laisse assurément une empreinte prégnante dans les émotions du lecteur – le sujet est connu, voire sensible pour tout Libanais – et dans ses appréciations purement littéraires. Douze ans de recherches, de doutes, bref, de tout ce qui constitue la recherche d’une écriture forgent une authentique personnalité d’auteur. Coup de maître ? Oui, sans l’ombre d’un doute, parce que Yasmine Khlat n’a jamais désespéré de mettre au monde un texte qui l’habite depuis longtemps : «On se débarrasse de certaines images», ajoute-t-elle sans en dire davantage. Le Liban a une nouvelle plume, une grande. * Yasmine Khlat accordera à TV5 une interview diffusée aujourd’hui à 18h15 (heure de Beyrouth).
Près de 12 ans consacrés à une écriture silencieuse et obstinée et qui aboutissent aux 87 pages – rédigées avec une densité et une retenue exemplaires parce que réconciliées – du premier roman de la Libanaise Yasmine Khlat, Le désespoir est un péché. Celui-ci a pour héroïne Nada, une jeune femme devenue servante à l’âge de sept ans chez les Nassour. Elle est aussi belle que...