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Actualités - CHRONOLOGIES

Présentation du dernier livre d’Alexandre Najjar : « Le procureur de l’Empire » - Portrait du tortionnaire de Flaubert et de Baudelaire

Alexandre Najjar a présenté, au cours du week-end passé, au salon Lire en français et en musique, son dernier livre Le procureur de l’Empire, paru il y quelques mois aux éditions Balland. Auteur de romans historiques, Alexandre Najjar dépeint en général des personnages héroïques et valeureux. Cette fois, il s’est attaqué à une piètre figure, à un personnage haïssable, non pour le réhabiliter, mais pour l’ériger en «contre-exemple». Ce triste sire se nomme Ernest Pinard, et s’il est entré dans l’histoire – par la petite porte ! – c’est essentiellement pour avoir poursuivi en justice avec acharnement deux des plus grands écrivains français du XIXe siècle : Gustave Flaubert et Charles Baudelaire. En fait, c’est lors d’un «incident juridique local» qu’Alexandre Najjar s’est souvenu de ce procureur sous Napoléon III, dont le nom revenait dans les jugements rendus contre le fameux Mme Bovary de Flaubert et le non moins célèbre recueil des Fleurs du mal de Baudelaire. «En 1999», raconte l’auteur, «le chanteur et compositeur Marcel Khalifé est poursuivi en justice pour avoir chanté un poème de Mahmoud Darwich comportant un verset du Coran. Les intellectuels du pays se mobilisent, montent au créneau, pour dénoncer l’obscurantisme des autorités judiciaires. Le 15 décembre 1999, le verdict est rendu et, grâce à la clairvoyance d’un magistrat, Marcel Khalifé est finalement acquitté. En tant qu’avocat, j’ai été choqué, dans cette affaire, par l’ingérence de la justice dans l’art, et l’intolérance de ceux qui avaient forcé la main à la justice pour engager des poursuites contre l’artiste. C’est à ce moment-là que le souvenir de mes lectures scolaires m’est revenu». Voulant «dénoncer la censure et les dérapages de la justice», Me Najjar s’est alors attelé à la biographie de ce M. Pinard, qui fut en son temps «le symbole même de la bêtise et de l’obscurantisme», dit-il. Il a commencé par dresser un «portrait scénique» du personnage, sous la forme d’une pièce de théâtre Le Crapaud (parue aux Éditions FMA, et jouée en mars 2001 au Théâtre Monnot). Puis, estimant sans doute que la postérité de cet homme catalogué «méchant» et à la personnalité finalement plus complexe, méritait un ouvrage plus développé, il lui consacra une biographie. Peinture d’une époque Ce qui est intéressant dans Le procureur de l’Empire, c’est que, par le biais du destin de Pinard, c’est toute une époque, une société, une mentalité qui sont abordées. À travers les «démêlés» de Pinard avec Flaubert, Baudelaire, mais aussi Eugène Sue, Émile Zola (à la fin de sa vie), ou encore le fameux pamphlétaire Henri Rochefort…l’auteur relate certains événements qui mèneront le Second Empire vers le déclin et instaureront la Troisième République. Alexandre Najjar, qui a procédé à des recherches pour «essayer de deviner les raisons qui ont conduit Ernest Pinard à devenir ce redoutable persécuteur», va le suivre dans sa vie et sa carrière, sans tomber dans la bienveillance à son égard, mais sans non plus le juger avec sévérité. C’est avec la plus grande neutralité qu’il dépeint «ce fils de famille bourgeoise, imprégné des valeurs catholiques, originaire d’Autun, la ville de l’évêque Gabriel de Roquette, qui inspira à Molière son fameux Tartuffe». «Petit de taille, pas vraiment avantagé par la nature, ses détracteurs le surnomment «le petit Pinard» et Henri Rochefort écrira à son propos : “À sa taille qui n’était pas haute, il joignait une intelligence qui ne l’était pas non plus». Ce que l’auteur réfute en affirmant que l’homme avait une réelle intelligence juridique, mal exploitée cependant pour cause d’étroitesse d’esprit. Celle-ci était sans doute due en grande partie «à l’influence néfaste de Mgr. Dupanloup, un pédagogue avec des idées d’un autre âge, qui dénonçait Voltaire, tirait à boulets rouges sur Renan, et menait croisade contre l’enseignement des jeunes filles». S’il n’a pas pu faire condamner Flaubert, qui bénéficiait d’appuis très haut placés, le procureur Pinard a réussi néanmoins à faire supprimer six poèmes des Fleurs du mal de Baudelaire (qui ne seront réintroduits dans le recueil que près d’un siècle plus tard en 1949 à la requête de la «Société des gens de Lettres de France»). Remarqué pour son zèle intempestif par l’empereur, Pinard sera nommé au Conseil d’État. Puis occupera, successivement mais sans grande envergure, le poste de ministre de l’Intérieur et un siège de député. Napoléon III fera appel à lui pour travailler sur la loi des sociétés ainsi que sur un projet de loi sur la liberté de la presse. Une situation paradoxale pour Pinard continuellement en prise avec les journaux. «Les pamphlétaires et caricaturistes s’acharnent contre lui, et en contrepartie il multiplie les communiqués pour démentir les propos qu’il juge diffamatoires. Ses communiqués sont tellement fréquents que les journalistes finissent par les appeler les “Ernest”, en référence au prénom du procureur», souligne Alexandre Najjar . La fidélité est cependant une qualité à mettre au crédit de Pinard. «En septembre 1871. C’est Sedan et la débâcle de la France contre l’Allemagne. L’empereur est fait prisonnier. À Paris, les manifestants dans les rues réclament le rétablissement de la République. À l’Assemblée nationale, où siège alors Ernest Pinard, c’est le désarroi total, et il est le seul à prendre position pour l’empereur». Après la proclamation de la République par Gambetta, il se retire dans son village natal. Où ses ennemis le poursuivront et le feront incarcérer sur base d’une histoire sans fondement, pour se venger. Il sera libéré au bout de quelques jours, après avoir goûté à ce qu’il avait fait subir à des centaines de prévenus. En 1877, Flaubert découvre que ce magistrat austère, père de famille, conservateur et clérical, est l’auteur de poèmes obscènes qu’il envoyait à des femmes mariées. Une rumeur difficile à vérifier mais qui conforte le côté Tartuffe, que lui reprochent ses détracteurs. Antipathique et contesté «ce tortionnaire de la littérature française» est un personnage à ne pas oublier. «Pour dénoncer à travers lui les nouveaux inquisiteurs», affirme Me Najjar. «Pour mesurer la nécessité d’une justice à visage humain et l’ampleur des dégâts que peut occasionner cette tare qu’on appelle l’intolérance».
Alexandre Najjar a présenté, au cours du week-end passé, au salon Lire en français et en musique, son dernier livre Le procureur de l’Empire, paru il y quelques mois aux éditions Balland. Auteur de romans historiques, Alexandre Najjar dépeint en général des personnages héroïques et valeureux. Cette fois, il s’est attaqué à une piètre figure, à un personnage...