Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

SOCIÉTÉ - Une profession dévalorisée, de mauvaises conditions de travail… - Les infirmières libanaises s’expatrient en France

«Clinique privée située en France, Paris ou province, recrute infirmier(e) diplômé(e) d’État français (DEF). Recrutement immédiat, etc». Une, deux, parfois trois offres d’emploi demandant des infirmières pour les hôpitaux de France, figurent le même jour, dans la page des petites annonces des quotidiens libanais et plus spécifiquement de l’Orient-Le Jour. Parallèlement, l’AFP a rapporté, il y a près de deux mois, les propos du ministre français délégué à la Santé, Bernard Kouchner, déclarant qu’il entendait combler le manque de blouses blanches dans les hôpitaux français en engageant des infirmières ou infirmiers libanais. Aussitôt dit, aussitôt fait. Les infirmières libanaises détentrices du diplôme d’État français, délivré exclusivement par les quatre branches de la faculté des sciences infirmières de l’Université Saint-Joseph, voient les propositions d’emploi affluer, de tous les coins de la France, même des régions les plus éloignées. À la faculté des sciences infirmières de l’USJ, Mmes Ruth Akatchérian et Claire Zablit, respectivement ancienne et nouvelle doyennes, lancent un cri d’alarme face aux départs en masse des infirmières et mettent l’accent sur le manque de valorisation de la profession dans le pays, dont les membres revendiquent une reconnaissance et un statut à part entière. Détenir le diplôme d’Etat français, une condition préalable «Désireuses de palier à la pénurie d’infirmières qui sévit en France, une dizaine d’institutions françaises nous contactent régulièrement pour signer des conventions de collaboration et pour se mettre en contact avec les étudiantes qui viennent de terminer leurs études et avec celles qui travaillent déjà en milieu hospitalier, explique Ruth Akatchérian. Si les directeurs des hôpitaux français se sont tournés vers les infirmières libanaises issues de l’USJ, après avoir engagé quelques centaines de blouses blanches espagnoles, c’est parce qu’elles sont francophones et qu’elles n’ont besoin d’aucune équivalence pour travailler en milieu hospitalier, le diplôme que la faculté leur délivre, parallèlement à la licence libanaise, étant un diplôme d’Etat français. Certes, la faculté refuse de servir d’intermédiaire et d’encourager ces départs en masse, car son rôle est de former des infirmières pour les hôpitaux libanais, reprend Mme Akatchérian. Mais, ajoute-t-elle, nous sommes conscientes que nos étudiantes, anciennes ou actuelles, cherchent à bénéficier de conditions de travail plus avantageuses que celles que les hôpitaux leur offrent localement, non seulement pécuniairement, mais aussi professionnellement». Des infirmières, attirées par la possibilité de vivre en France, de voir du pays, de se valoriser en se forgeant une carrière plus prometteuse que celle à laquelle elles peuvent prétendre au Liban, mais aussi de décrocher un passeport français. Car le véritable problème du métier d’infirmière au Liban réside dans le manque de valorisation de cette profession très majoritairement féminine dans l’ensemble du pays et dans les mauvaises conditions de travail qui leur sont offertes. Une profession, qui, initialement, regroupait des jeunes filles issues de milieux défavorisés, dont une grande partie apprenait la profession sur le tas ou par l’intermédiaire d’instituts techniques. Actuellement, six universités du pays délivrent annuellement une licence en sciences infirmières, à près de 300 étudiantes, (dont quelques étudiants), au bout de trois années d’études théoriques et pratiques, à partir du bac. Une licence délivrée et officiellement reconnue par l’État libanais depuis 1979. «Malheureusement, explique Claire Zablit, aucun contrôle n’a jamais été exercé par l’Etat dans les hôpitaux et nombreux sont ceux qui continuent à engager en tant qu’infirmières, voire même infirmières en chef, des aides-soignantes ou des praticiennes formées sur le tas, qui n’ont jamais fréquenté l’université, au mépris des dangers que cela peut représenter. C’est l’acte qui donne l’image de la profession et dans ces cas précis, cette image ne peut être positive», déplore-t-elle, ajoutant que cet acpect négatif est la raison pour laquelle le nombre de candidates à la profession a accusé une baisse progressive, au cours des dernières années. «Cependant, reprend Mme Zablit, l’infirmière ayant le diplôme d’État français, parallèlement à la licence libanaise, se voit aujourd’hui valorisée, non seulement par la facilité avec laquelle elle trouve un emploi dans les plus grands hôpitaux de la capitale, notamment l’Hôtel-Dieu de France, mais aussi grâce à l’offre qui lui est faite par la même». Offre qui, espère-t-elle, devrait inciter l’État libanais, mais aussi l’ensemble du secteur hospitalier, à réviser les conditions de travail et le statut de l’ensemble de la profession, pour encourager les infirmières libanaises à ne pas déserter le pays. Une mauvaise stratégie à la base de la pénurie en France Et pourtant, en France, tout n’est pas rose dans le métier, bien au contraire. Mécontentes du manque de reconnaissance sociale de leur profession et des mauvaises conditions de travail dans les centres hospitaliers privés, les blouses blanches françaises démissionnent et désertent les cliniques, depuis quelques années déjà, choisissant souvent de s’expatrier, de préférence au Canada ou en Suisse. Ces départs ont entraîné un manque d’effectifs non négligeable qui avait déjà commencé à se faire sentir depuis l’application, en 1989, par le ministère de la Santé français, de la politique des quotas. Une politique qui a limité le nombre d’élèves sélectionnés aux concours d’entrée des écoles nationales d’infirmiers et d’infirmières, par peur d’une saturation de la profession. Fixés dans un premier temps à 14 000, les effectifs ont été augmentés à 18 436, dix ans plus tard. Mais ce n’est qu’en 2000 qu’ils ont été portés à 26 000, alors qu’ils ne seront opérationnels qu’à partir de 2003, après trois ans d’études. Mais il est déjà trop tard, le manque d’infirmières se fait déjà cruellement sentir, tant dans le secteur privé que dans les hôpitaux publics, et ce manque est exacerbé par de nombreux départs à la retraite. D’autant plus que l’application de la loi des 35 heures par semaine, à partir du 1er janvier 2002, nécessitera encore plus de personnel. Résultat, la France a aujourd’hui besoin de 40 000 infirmières et entend bien les trouver quelque part, notamment au Liban. Est-il encore temps d’éviter le départ en masse des infirmières libanaises ? «Peut-être, si le gouvernement se penche sur leurs demandes», lancent en chœur les deux doyennes, «et se décide à leur accorder ce statut auquel elles aspirent, autrement dit, un Ordre des infirmières, des conditions de travail meilleures, des salaires plus étudiés, des responsabilités à la mesure de leurs capacités, mais aussi et surtout le respect auquel leur donnerait droit une valorisation de leur profession».
«Clinique privée située en France, Paris ou province, recrute infirmier(e) diplômé(e) d’État français (DEF). Recrutement immédiat, etc». Une, deux, parfois trois offres d’emploi demandant des infirmières pour les hôpitaux de France, figurent le même jour, dans la page des petites annonces des quotidiens libanais et plus spécifiquement de l’Orient-Le Jour....