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Actualités - REPORTAGES

BIBLIOPHILIE - Mona Kobrossi, l’amour de l’ancien

Dans sa boutique à Ghadir (Jounieh), Mona Kobrossi collectionne, depuis six ans, des livres anciens et rares, des cartes, des lithographies et des gravures. Bibliophile acharnée, elle ne se lasse pas d’acheter de nouvelles pièces pour enrichir sa collection. Ce qui l’intéresse par-dessus tout reste le contenu, le sujet. Vient ensuite tout le reste : la reliure, le papier, etc. Pour elle, le livre est beaucoup plus qu’un divertissement ou qu’un ensemble de références. C’est un objet de grande valeur, qui véhicule des émotions et des richesses. Les épopées de Gilgamesh, sur argile ; les peaux de bêtes ; l’Égypte ancienne et le papyrus ; le parchemin ; les Phéniciens et l’alphabet, la bibliothèque d’Alexandrie, Ptolémée ; le Moyen Âge et les manuscrits ; le codex, ancêtre du livre ; l’imprimerie de Gutenberg et la première Bible éditée entre les années 450 et 460 ; la gravure sur bois ; les lithographies et les chromolithographies ; les décorations et l’art de la reliure ; les sujets qui changent à travers les âges ; les copistes, les mécènes, les grands ateliers et maisons d’édition… Mona Kobrossi connaît son sujet par cœur et pourrait en parler pendant des heures. Elle connaît aussi tous les trucs pour bien conserver un livre. La manière de le sortir d’un rayon de bibliothèque (sans effacer la dorure) ; la nécessité de bien le dépoussiérer et de l’aérer ; comment compresser un ouvrage, bien à l’horizontale ou à la verticale, mais jamais en diagonale (comme on le fait parfois, par souci de décoration) pour ne pas abîmer les coutures internes et les reliures… Dans sa boutique isolée, personne – ou presque – ne passe. Mais cela ne la préoccupe pas vraiment. «J’ai ce local à ma disposition et j’en profite. Par ailleurs, je me déplace moi-même à l’occasion de ventes aux enchères». Elle regrette qu’«au Liban, les gens qui aiment le livre ancien n’ont, pour la plupart, pas les moyens de se le payer. Mais ils l’apprécient et le respectent énormément, ils le feuillettent délicatement, en connaisseurs». Quant aux collectionneurs, ils ne sont pas nombreux, comme en Angleterre par exemple où Monsieur-tout-le-monde est collectionneur. «Ce sont normalement des personnes qui ont vécu à l’étranger pour un certain temps, note-t-elle. Et ils préfèrent en général les petites collections, de deux ou trois volumes». Plus qu’un commerce, le livre est pour elle une passion. «Il faut bien traiter un livre, surtout s’il est ancien et qu’il a été entièrement fait à la main. C’est un travail très fin, d’artiste. Il faut vivre avec le livre, l’aimer, et non le ranger dans le fond d’un meuble ou l’oublier sur une étagère, dit-elle. Un livre, on le touche, on le porte, on le sent, on le serre sur son cœur, on l’emmène partout, jusque dans son lit pour lire avant de dormir ; on le met sous l’oreiller. Il a une dimension personnelle, une magie, une certaine poésie». L’état de conservation du livre (taches de rousseur, dégâts causés par des insectes rongeurs, feuillet manquant), sa rareté, l’édition (une première édition – ou une édition de l’auteur – a plus de valeur), la reliure, s’il porte une dédicace, s’il a appartenu à une bibliothèque privée, si l’exemplaire est numéroté (série limitée), s’il a été offert ou s’il a appartenu à une personnalité, si des modifications y ont été apportées… tous ces critères sont pris en considération par le collectionneur. Mona Kobrossi se souvient que le jour où elle a vendu un premier livre ancien, elle était plus triste que satisfaite. «C’était comme si on m’enlevait un objet cher, dit-elle. Mais lorsque j’ai réalisé que le client appréciait l’ouvrage à sa juste valeur et qu’il en prendrait bien soin, je me suis consolée». Aujourd’hui, lorsqu’elle n’est pas dans sa boutique, elle voyage pour faire de nouvelles acquisitions et assister à des ventes aux enchères (États-Unis, Londres). Elle a appris à ses dépens qu’«il ne faut jamais laisser passer une bonne occasion, on risque de le regretter amèrement». Bien entendu, dans ce métier, tout est question de budget, mais aussi d’intuition. Orientalistes et littérature La première série qu’elle achète est celle du Français Paul Lacroix, sur la peinture, la sculpture et l’art en Europe, du Moyen Âge jusqu’à la Renaissance. Une collection qui comporte de nombreuses lithographies. Parmi les pièces les plus importantes qu’on trouve actuellement dans sa boutique, un nombre important d’ouvrages d’orientalistes des XVIIe et XVIIIe siècles – comme William Bartlett, Prisse d’Avennes, G. Maspiero, David Roberts, Stanley, Livingstone – : La Comédie Humaine d’Honoré de Balzac, en 30 volumes ; les œuvres complètes d’Alfred de Musset (édition limitée) ; les trois volumes édités par Day and Sons à l’occasion de l’Exposition universelle de Londres en 1862 – catalogue de toutes les œuvres exposées à cette occasion, qui a été offert à la reine Victoria ; une bible – de famille – anglaise de Payne (1862). Et encore, Civilisation des Arabes de Gustave Le Bon (1884) ; un livre historique sur Jérusalem ayant appartenu au maréchal Allenby et portant sa signature (1924) ; des cartes anciennes datant des XVIIIe et XIXe siècles… «Il m’arrive de trouver des lettres glissées dans des livres anciens. Un jour, je suis même tombée sur un billet de concert datant des années 1880», raconte Mme Kobrossi. L’avenir du livre ancien ? Elle ne s’en inquiète nullement. «Il se transmet de génération en génération, et il y aura toujours autant de bibliophiles au Liban», affirme-t-elle avec conviction. Toutefois, elle souhaiterait qu’on lui accorde plus d’importance dans les salons du livre par exemple. «On pourrait également créer un club pour les bibliophiles», propose-t-elle. À bons entendeurs…
Dans sa boutique à Ghadir (Jounieh), Mona Kobrossi collectionne, depuis six ans, des livres anciens et rares, des cartes, des lithographies et des gravures. Bibliophile acharnée, elle ne se lasse pas d’acheter de nouvelles pièces pour enrichir sa collection. Ce qui l’intéresse par-dessus tout reste le contenu, le sujet. Vient ensuite tout le reste : la reliure, le papier, etc. Pour elle,...