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Actualités - REPORTAGES

TRIBUNE - La francophonie à l’Université libanaise - Entre idéologies et niveaux

«... Et s’ils unifient l’UL, ils feront ceci... ils feront cela... et, finalement, ils obligeront tout le monde à tout apprendre en arabe !». Parmi tant de discussions et d’hypothèses lancées au sujet de l’unification de l’Université libanaise figure la peur de certains de voir se profiler le spectre de l’arabisation aux dépens de l’usage du français en tant que langue d’enseignement – politique inaugurée dans une grande part de l’enseignement scolaire. Cependant, entre les partisans de l’unification et ses opposants, les polémiques les plus tapageuses et les plus récurrentes sont celles qui concernent les «ceci et cela» des conséquences de l’unification, terrains favorables à la fermentation confessionnaliste qui fait des ravages ces temps-ci. La question de la francophonie vient généralement en dernier lieu se glisser furtivement dans les débats : pour les deux camps, c’est un sujet plus subtil, une lame à double tranchant. Une enquête a été menée sur le terrain en 1998 par un groupe de membres de la «Commission de la Mise à niveau linguistique des étudiants de l’UL», formé par : Dalal Barakat Abou-Assali, Hana Baalbaki, Wafa Berry Hajj, Samira Hossary Hélou et Nadia Naboulsi Iskandarani. Le compte-rendu de cette enquête intitulé «Le français à l’Université libanaise, état des lieux et perspectives» souligne la grande variation dans l’écart entre les sections 1 et 2 quant à l’usage du français. S’il y a des facultés à grand écart dans lesquelles la section 2 accorde un crédit nettement plus grand à l’enseignement du français et surtout en français (Faculté des lettres et des sciences humaines et Faculté des sciences sociales), il existe par contre des facultés sans écart comme la Faculté de droit et de sciences politiques où le taux de matières en français ne dépasse pas, pour chaque année dans les deux sections, 15 % aussi dans les Facultés des sciences médicales et de pharmacie déjà unifiées, le français demeure-t-il largement prioritaire. D’ailleurs, dans son ouvrage de 1996, Anatomie de la francophonie libanaise, P. Sélim Abou conclut, à partir des statistiques, «que le français n’est plus, s’il l’a jamais été, l’apanage d’une seule communauté» et, en l’occurrence, d’un seul camp. Mais si certains persistent à se considérer comme les chantres de la sauvegarde du français, c’est moins pour la langue elle-même que pour le statut qu’elle leur confère. Ils veulent conserver leur autonomie ; l’usage du français en est un atout et une preuve. Il est la marque distinctive et le garant d’une richesse, d’une spécificité historiquement culturelles au sein d’une région où tout tend à se fondre dans un moule unique et étroit. Paradoxalement, c’est en se fondant sur les mêmes valeurs que les partisans de l’arabisme défendent leurs théories. Ils rappellent en effet que le 8 novembre 1943, au cours d’une séance historique, le Parlement libanais avait réformé la Constitution de façon à supprimer toute référence au mandat ou toute subordination aux colons. En conséquence, ils ont institué l’arabe comme langue officielle exclusive rejetant ainsi le statut du français en tant que langue officielle seconde (c’est-à-dire pouvant être, éventuellement, langue d’enseignement). Il est vrai qu’à l’époque, tous les Libanais avaient salué cette démarche annonciatrice de l’aube de l’Indépendance et du refus du joug occidental que l’attitude arabiste avait pu éloigner. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter les slogans répandus dernièrement par les contempteurs de la francophonie : «Non à l’impérialisme !». En réalité, l’anachronisme de cet argument accuse une certaine mauvaise foi. Il n’est pas nécessaire de rappeler que le mandat a pris fin depuis déjà plus d’un demi-siècle, ni que le bilinguisme ne saurait exclure des réalités acquises de droit ou de fait : le statut officiel de la langue arabe, langue première et d’importance capitale, et la reconnaissance des intérêts communs politico-géographiques arabes. Il serait donc vain de se confiner dans un refus qui pourrait, à la longue, se révéler nocif pour le pays. La francophonie, caractérisée au Liban par son profond métissage avec l’arabe et par son encouragement du trilinguisme – l’anglais était facile à apprendre chez les francophones –, est nécessaire pour l’épanouissement de nombreux secteurs, tels que le tourisme, le commerce, les relations diplomatiques, la recherche scientifique et littéraire, etc. D’ailleurs, nous assistons actuellement à un retour en vigueur de la francophonie dans certains pays arabes tels que la Syrie, l’Égype et les pays du Maghreb hormis l’Algérie. La mauvaise foi résiderait dans le fait de dissimuler, sous le voile des idéologies sclérosées, le recours pratique à une solution de facilité. Le compte-rendu de l’enquête sur le français à l’UL le suggère dans la partie «Analyse des écarts» : «En effet, le niveau de français ayant été affecté par la guerre, les sections 1 ont jugé nécessaire de recourir à l’arabisation pour donner à tous les étudiants les mêmes chances de réussite. (...) Par contre, pour remédier à ce même problème de la faiblesse des étudiants, les sections 2 ont estimé indispensable de maintenir l’enseignement en français. Cette décision exprimait la volonté de sauvegarder le niveau académique en facilitant aux étudiants la consultation des références. Elle devait aussi, en favorisant la maîtrise d’une langue étrangère, les doter d’un atout non négligeable pour l’accès au marché du travail et leur premettre une ouverture aux cultures du monde». Plus révélatrice serait encore la remarque du P. Sélim Abou dans l’«Anatomie de la francophonie libanaise» également : «Les ténors de l’arabisation n’ont personnellement rien à craindre des conséquences de leur propre discours, car en général ils ont pris le soin d’inscrire leurs enfants dans des écoles privées où le français est langue seconde, c’est-à-dire langue d’enseignement et de formation». Feront-ils de même pour le choix de l’université ? Doit-on désavantager encore plus l’UL par rapport aux universités privées en réduisant sa part traditionnelle de francophonie ? Au cours de cette pause durant laquelle l’orage de l’unification promet de se calmer pour laisser place au déroulement des examens, il reste à souhaiter que les responsables des différents partis prennent le temps de réfléchir lucidement à la question de la francophonie à l’Université libanaise avec tous les avantages qu’elle peut présenter, pourvu qu’elle ne soit pas asservie aux intentions égoïstes et latentes des uns et des autres.
«... Et s’ils unifient l’UL, ils feront ceci... ils feront cela... et, finalement, ils obligeront tout le monde à tout apprendre en arabe !». Parmi tant de discussions et d’hypothèses lancées au sujet de l’unification de l’Université libanaise figure la peur de certains de voir se profiler le spectre de l’arabisation aux dépens de l’usage du français en tant que...