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Actualités - REPORTAGES

REPORTAGE- Après la rixe entre Amal et le Hezbollah, la tension est à son comble - À Ankoun, la haine ne se cache plus

L’euphorie de la libération est bien loin. Le Sud est de nouveau une poudrière et les fissures qu’on a vainement tenté de cacher depuis un an lézardent de plus en plus une apparence d’unité qui ne trompe personne. Ankoun vient d’en faire l’expérience. Dans ce village de l’Iqlim el-Touffah, la haine entre les éléments d’Amal et ceux du Hezbollah éclate au grand jour et l’incident de samedi dernier, à la suite d’une cérémonie à la mémoire d’un martyr du Hezbollah, n’a pas fini de faire des vagues, sur fond d’échéance électorale municipale… Ankoun est fier d’être un bastion d’Amal. Dès l’entrée de ce village comptant 1 320 électeurs inscrits, les sigles du mouvement présidé par Nabih Berry sautent aux yeux. Ils sont en tout cas plus nombreux que les passants. C’est comme si, après la colère des derniers jours, le village s’était refermé sur lui-même, dans l’attente de la suite des événements. La veille et l’avant-veille, les habitants étaient en effet descendus dans la rue, brûlant des pneus et protestant contre l’arrestation par les forces de l’ordre de 72 jeunes, tous membres ou sympathisants d’Amal. Pour eux, c’est clair, les forces de l’ordre sont du côté du Hezbollah, ce groupe qui vient semer le trouble chez eux et ils songent de plus en plus à prendre en charge leur propre sécurité. Une discrétion mal perçue Tout a commencé samedi dernier, lorsque des éléments du Hezbollah, originaires du village (ils seraient en tout et pour tout une centaine d’adhérents), ont demandé au responsable des wakfs islamiques (notamment de la mosquée) Jamil Korkmaz l’autorisation de tenir un meeting à la mémoire du martyr du parti, Bilal Zayour, décédé il y a trois ans. Voulant ménager les sensibilités de la population, dans sa grande majorité sympathisante d’Amal, Korkmaz a donné son accord, demandant toutefois aux organisateurs d’éviter de mettre des drapeaux et des portraits aux alentours de la mosquée, sur la place du village. À 17h30, la cérémonie a commencé sans fanfares ni trompettes mais avec la participation de nombreux jeunes, le martyr étant originaire du village. À 17h45, le secrétaire adjoint du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, arrive sur les lieux pour prononcer un discours dans le cadre de cette cérémonie. Mais il est choqué par l’absence de drapeaux et de portraits du secrétaire général du parti. À ses yeux, cette discrétion est inacceptable puisqu’elle donne l’impression que le parti est en perte de vitesse. Il semonce les responsables locaux du parti contre cet inexplicable «low profile». Cheikh Kassem prononce son discours et quitte la mosquée par la porte de derrière, pour des raisons de sécurité, à 18h30. Trois quarts d’heure plus tard, alors que le meeting est terminé, Bilal Farhat, membre du Hezbollah, entre dans la boutique de Jamil Korkmaz sur la place du village. Ce dernier y est en compagnie de Issa Abbout, un handicapé. Selon la version du moukhtar, Bilal ne laisse pas à Jamil le temps de réagir et le roue de coups alors que quatre de ses camarades attendent dehors. Issa donne l’alerte et les voisines sortent sur le balcon. Voyant Jamil ensanglanté, elles se mettent à crier. Aussitôt, des dizaines de jeunes d’Amal se précipitent sur les lieux. Priorité, transporter Jamil à l’hôpital. L’ambulance d’une organisation de jeunes proche d’Amal est aussitôt mobilisée. Mais le moukhtar, qui avait un mauvais pressentiment, préfère qu’elle soit escortée par les forces de sécurité, appelées d’urgence en renfort de la discrète gendarmerie du village. À quelques mètres de la place, l’ambulance tombe dans une embuscade. Jamil Korkmaz est tiré de son brancard pour être de nouveau roué de coups. Des coups de feu sont même tirés pour effrayer le chauffeur. « Pire que les Israéliens » Comme la légendaire cavalerie des bandes dessinées, les forces de l’ordre n’interviennent qu’une fois la rixe terminée. La quinzaine de membres du Hezbollah impliqués dans le coup ont eu le temps de fuir, mais les forces de l’ordre embarquent quelque 70 jeunes d’Amal, dont le malheureux Jamil Korkmaz. La population est en émoi et les jeunes d’Amal menacent les membres du Hezbollah de vengeance s’ils s’avisent de revenir au village. Leurs familles, elles, s’y trouvent encore, sans être inquiétées mais en se faisant très discrètes. Comme pour jeter de l’huile sur le feu, des informations répandues par le Hezbollah font état d’une tentative d’assassinat contre cheikh Naïm Kassem à Ankoun, et pour confirmer cette rumeur, des photos montrant la voiture du cheikh, une vitre cassée, commencent à circuler. À Ankoun, les habitants sont outrés. «Nous ne l’aimons pas d’accord, mais nous avons le sens de l’hospitalité. Jamais nous n’aurions pu faire une telle chose. C’est sans doute eux qui ont cassé la vitre pour justifier leur agression. En fait, ce qu’ils voulaient c’est saboter le meeting du président Nabih Berry au Sud, le lendemain dimanche». En tout cas, il faudra attendre le mardi soir pour qu’un communiqué officiel du Hezbollah démente les rumeurs d’une tentative d’assassinat de cheikh Kassem à Ankoun. Entre-temps, le mal est déjà fait et les haines exacerbées. Les habitants du village multiplient les manifestations de protestation contre les arrestations frappant leurs jeunes, alors que les 15 membres du Hezbollah sont toujours en fuite. Pour eux, c’est clair, les forces de l’ordre sont partiales. Ils ne comprennent pas non plus le silence des médias qui ont à peine mentionné l’affaire, comme s’il s’agissait d’un vague fait divers. Aujourd’hui, les six dernières personnes arrêtées ont été relâchées sous caution d’élection de domicile, mais tous les jours des habitants sont convoqués pour interrogatoire. Ce qui ne fait qu’augmenter la vindicte des jeunes d’Ankoun. «Ils sont pires que les Israéliens, disent-ils en chœur, en parlant des membres du Hezbollah. Ils ne reculent devant rien pour s’implanter dans les villages, même au prix d’une attaque contre une ambulance. Nous ne les laisserons plus jamais entrer chez nous». Au fil de la conversation, les insultes se multiplient. Les jeunes en ont visiblement gros sur le cœur et personne ne parvient plus à arrêter le flot de paroles. Si le secrétaire général du Hezbollah est épargné, son adjoint est traîné dans la boue et accusé d’avoir déjà suscité des troubles dans la région, en provoquant dans les années 86 et 87, des combats entre les deux formations. «Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas. Tous les villages de l’Iqlim el-Touffah vivent le même dilemme», disent les jeunes d’Ankoun. À la veille des élections municipales dans les villages de l’ex-zone occupée, la tension est à son apogée et il suffit d’une étincelle pour mettre le feu aux poudres. Si les responsables des deux formations affichent une certaine entente, la base, elle, ne suit pas. Et si l’on n’y prend pas garde – surtout si le parrain syrien n’intervient pas –, tous les dérapages sont possibles. Le Sud n’en a pas fini avec les malheurs.
L’euphorie de la libération est bien loin. Le Sud est de nouveau une poudrière et les fissures qu’on a vainement tenté de cacher depuis un an lézardent de plus en plus une apparence d’unité qui ne trompe personne. Ankoun vient d’en faire l’expérience. Dans ce village de l’Iqlim el-Touffah, la haine entre les éléments d’Amal et ceux du Hezbollah éclate au grand...