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Actualités - INTERVIEWS

JUSTICE - Un juge libanais au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie - Arrivé au pénal par accident, Ralph Riachi - s’envole pour La Haye

L’ancien président yougoslave Slobodan Milosevic sera-t-il jugé par un Libanais ? Élu ainsi que 26 autres magistrats du monde entier au Tribunal pénal international qui siège à La Haye, M. Ralph Riachi ne peut pas encore répondre à la question. Il sait simplement que son élection consacre la confiance de la communauté internationale dans la justice libanaise. D’autant que c’est la première fois que le Liban devient membre d’une instance pénale internationale. Plus magistrat que lui, tu meurs. Ralph Riachi, actuel président de la chambre pénale de la Cour de cassation et membre de la cour de justice, a 27 ans de métier derrière lui dont 9 dans le domaine pénal auquel il est arrivé par accident. Il a participé à tous les grands procès qui ont secoué la scène libanaise au cours des dix dernières années, et son regard inquisiteur mais bienveillant ainsi que sa voix forte et claire sont devenus familiers à tous ceux qui fréquentent le Palais de justice. Impassible, discret, il n’a jamais voulu parler à la presse, «ni in ni off the record», s’en tenant strictement au devoir de réserve qui apparaît pourtant de plus en plus comme une disposition obsolète. Rigoureux, strict, il ne badine pas avec la loi, même s’il est conscient qu’elle n’est pas toujours parfaite. Il a été ainsi contraint de l’appliquer, condamnant le vieux Yassine – qui avait tué sa femme dans un acte passionnel – à la peine capitale, tout en exprimant à l’intention de la commission des grâces son opposition à cette condamnation. Ralph Riachi a ainsi réussi à sauver Yassine puisque le décret d’exécution de sa peine n’a pas été signé et il ne le sera probablement jamais. C’est ce juge-là que l’Assemblée générale des Nations unies a choisi à la majorité de 111 voix sur 189 dès le premier tour pour devenir membre du TPI pour l’ex-Yougoslavie. Lorsqu’on lit dans les statuts de ce tribunal que «les juges doivent être de haute moralité, impartialité et intégrité, possédant les qualifications requises, dans leurs pays respectifs pour être nommés aux plus hautes fonctions judiciaires», on guette des signes de fierté chez M. Riachi… qui se contente d’insister sur l’importance pour le Liban d’être représenté dans ce genre d’instance. Et pour lui ? «C’est une grande ouverture, l’occasion de mieux connaître le droit pénal international et de profiter des expériences des autres pays». Pour M. Riachi, l’aventure internationale a commencé lorsque le secrétaire général des Nations unies a demandé aux pays membres de l’organisation de présenter chacun la candidature de deux magistrats pour élire 27 membres du TPI. Les membres du Conseil de sécurité ont effectué une première sélection en tenant compte d’une représentation adéquate des principaux systèmes judiciaires du monde. L’Assemblée générale des Nations unies a ensuite élu les 27 magistrats, parmi lesquels il n’y a pas d’Israélien, mais deux Arabes, un Libanais et un Marocain. Pour le Liban, c’est un événement important, même s’il s’agit d’une instance provisoire, chargée de juger les crimes commis en ex-Yougoslavie, à partir du 1er janvier 1991. La justice absolue n’existe pas C’est d’ailleurs la première fois que le Liban est représenté dans une instance pénale, sa présence judiciaire internationale s’étant limitée à Fouad Ammoun, qui était membre de la Cour internationale de La Haye (instance d’arbitrage rattachée à l’Onu mais dépourvue de compétence pénale) ou à la présence de Libanais dans le tribunal de la mer et la cour internationale d’arbitrage. Le TPI a déjà émis plusieurs jugements à l’encontre d’anciens chefs militaires en Bosnie, en Croatie et en Serbie. Actuellement, le principal inculpé est l’ancien président yougoslave Slobodan Milosevic, arrivé jeudi soir à La Haye. Riachi aura-t-il à le juger ? «Je ne le sais pas encore. Les juges sont répartis sur deux chambres de première instance de trois magistrats chacune et sur une chambre d’appel formée de 5 membres. Il y aussi un procureur. Le nombre est en surplus pour leur permettre d’établir un système de permanences, afin qu’ils ne soient pas obligés de quitter leurs fonctions dans leurs pays respectifs». C’est le secrétaire général des Nations unies qui distribue les fonctions et Riachi attend donc la décision de M. Annan pour savoir dans quelle chambre il devra siéger. A-t-il le trac ? «Non, je suis simplement curieux de voir le fonctionnement de cette instance internationale. J’aime l’idée d’une justice pénale internationale. Elle me paraît nécessaire à l’époque de la mondialisation». N’a-t-il toutefois pas le sentiment que les dés sont jetés d’avance et qu’il n’est que l’instrument de «la justice du vainqueur» ? «À ma connaissance, toutes les règles d’un procès équitable sont assurées, les avocats, les témoins et un minimum d’objectivité. J’ai eu l’occasion de lire certains jugements du TPI et ils m’ont paru très équilibrés». Ne s’agit-il pourtant pas de procès politiques ? «Les personnes déférées devant le TPI sont accusées de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Aux yeux de la justice, il y a des faits, des preuves et des droits. Je ne crois pas que sur ce plan, le TPI sera différent des autres instances». Ralph Riachi aspire à la création de la cour pénale internationale, prévue dans la Convention de Rome, mais pour l’instant restée virtuelle, en raison du nombre réduit de pays ayant adhéré à cette convention. Pour lui, il est très important de sortir du principe de la territorialité de la loi pénale, devenu plus ou moins désuet avec le développement des moyens de communication. «S’il y a une police internationale (Interpol) et l’acceptation du principe d’extradition, pourquoi n’y aurait-il pas une justice internationale ? D’autant que certains crimes ont un impact sur l’ensemble de la communauté, notamment l’esclavage, le trafic de drogue, le blanchiment d’argent…». Riachi espère qu’un jour le monde adoptera les mêmes critères pour lutter contre la criminalité et qu’une véritable solidarité universelle verra le jour dans ce domaine. «C’est vrai, reconnaît cet homme qui consacre sa vie à la justice, la loi est loin d’être parfaite. C’est une réalité juridique, différente de la réalité matérielle, car elle dépend des preuves. Mais elle a le mérite de permettre d’aboutir à une paix sociale. D’ailleurs, le principe de la prescription est l’expression même de ce souci de la paix sociale, puisqu’à partir d’un certain temps, la société décide de ne plus rouvrir certaines plaies. La justice dans son sens absolu n’existe pas. Les magistrats cherchent simplement à s’en rapprocher». Ralph Riachi sent qu’il en a trop dit. Lui qui d’habitude ne s’exprime qu’à travers ses jugements qu’il continue à rédiger de sa propre main, a hâte de retourner à ses dossiers. Un dernier mot pour rassurer ceux qui craignent de le voir prendre goût au droit international au point de ne plus s’intéresser aux cas libanais : «Je suis Libanais et la fibre nationaliste est très présente chez moi. Je crois d’ailleurs que j’emporterai mon expérience libanaise au TPI et, dans toute mes démarches, je serai influencé par ce que je vis ici. Seulement mon nationalisme, je le conçois comme une ouverture, une participation à l’évolution du monde…». En attendant la décision du secrétaire général des Nations unies pour savoir dans quelle chambre il siégera, Ralph Riachi compulse les dossiers du procès des inculpés de Denniyé. Quand on est juge, c’est pour la vie.
L’ancien président yougoslave Slobodan Milosevic sera-t-il jugé par un Libanais ? Élu ainsi que 26 autres magistrats du monde entier au Tribunal pénal international qui siège à La Haye, M. Ralph Riachi ne peut pas encore répondre à la question. Il sait simplement que son élection consacre la confiance de la communauté internationale dans la justice libanaise. D’autant que...