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Actualités - OPINIONS

REGARD - De mai, d’olives et de ventes - Se recentrer sur soi-même

En mai, fais ce qui te plaît : vu le temps des deux dernières semaines, ce proverbe est peut-être en voie de péremption. Le climat change, il faut s’y adapter : en Jordanie, par exemple, on est en train de passer de la culture des céréales à celle de l’olivier. L’huile extra vierge de première pression à froid est de plus en plus recherchée sur les marchés occidentaux-non pour la mélanger aux pigments, mais pour satisfaire aux exigences du fameux «régime méditerranéen». Au fait, qu’en est-il de nos oliveraies et de nos pressoirs ? Mais je ne suis pas censé rédiger une analyse de l’évolution de la sagesse populaire, ni un bulletin météo, ni une chronique agricole, écologique ou commerciale, ni une notice culinaire. Jadis, Omar Onsi et Moustapha Farroukh ont peint la cueilllette des olives dans de belles toiles, j’allais dire huiles, et aquarelles. Qui, peut-être, prendront un jour le chemin de la maison de ventes Sothebys, à Londres, où des œuvres de peintres libanais et arabes contemporains viennent, pour la première fois, d’être adjugées à des prix qui ont parfois fait sursauter les marchands d’art, à l’intérieur ou au-dessus de la fourchette d’estimation. Du sang-froid Il faut espérer que cela ne se traduise pas sur le marché local, qui souffre de mévente, par une flambée généralisée des prix des vétérans et des novices prenant ces enchères pour référence. D’autant plus que le propriétaire n’encaisse en définitive, et en retard de plusieurs mois après avoir immobilisé ses toiles plusieurs autres mois durant les préparatifs de la vente, qu’une partie du prix adjugé, étant donné les frais considérables qu’il doit supporter. Il y a un ajustement à la baisse à opérer nécessairement dans les transactions locales : en fait, en tenant compte des délais et du grignotage du prix de Londres, aucune augmentation n’est justifiée sur les prix actuels à Beyrouth. Ici, ce que l’acheteur débourse, le vendeur l’empoche ou à peu près, alors que là-bas la différence peut être énorme. Du sang-froid donc, et ne pas se monter la tête, en attendant les prochaines enchères. Plus significatif que le niveau des prix, sans doute, est le dessillement des yeux : enfin, et ce n’est pas tôt, on prend acte de l’existence et de la valeur esthétique et économique de l’art contemporain dans le monde arabe. Certes, une toile, même d’un grand maître, est loin encore d’atteindre le prix d’un carreau anonyme de céramique d’Isnik mais la voie est ouverte et tous les espoirs sont permis. Les collectionneurs arabes Ne pas se leurrer cependant : ce sont, bien entendu, comme lors de la vogue des peintres orientalistes ces vingt dernières années, les acheteurs arabes qui font bouger les choses. Les collectionneurs arabes, surtout ceux des pays du Golfe, disposent de fonds considérables et peuvent investir des sommes impressionnantes pour acquérir des œuvres rares, difficiles à trouver, tels le paysage libanais de Marie Haddad, la nature morte à la pastèque de Daoud Corm ou le camelot de Louay Kayali, ou encore des œuvres de haute qualité, telles les toiles de Abboud proposées à Sothebys. Ce ne sont que des exemples. Certains de ces collectionneurs possèdent des centaines, voire des milliers d’œuvres. Plusieurs d’entre eux songent à fonder des musées pour abriter leur patrimoine, bien que tout ne soit pas de niveau muséal, loin de là. L’un d’eux s’apprête à montrer une partie de sa collection à l’Institut du Monde Arabe à Paris. Ce phénomène est relativement nouveau. Son ampleur peut surprendre les Libanais qui ont oublié que, pendant qu’ils se querellaient à reculons, le monde autour d’eux, lui, avançait à grands pas. Des collectionneurs de poids existent au Liban également mais aucune collection, à ce qu’on sache, n’est aussi englobante, comportant des œuvres de tous les pays arabes, même si la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, que celles qui se sont montées ces dernières années dans les divers pays du Golfe qui nous devancent désormais sur beaucoup d’autres plans. Nous n’avons même pas l’espoir de voir s’ouvrir bientôt un musée national d’art contemporain échappant aux dispositions des articles 6 et 6 bis – c’est le sort inévitable de toute institution étatique, même dans ce domaine. Dans ces conditions, les collectionneurs libanais seraient peut-être avisés de coopérer ensemble sans arrière-pensées en vue de fonder un musée privé plus modeste mais plus sélectif, même si c’est la croix et la bannière pour décrocher l’autorisation officielle. N’est-ce pas ainsi que fut fondé, en son temps, le Musée national avant d’être cédé à l’État qui l’aurait laissé en ruines sans la nouvelle association des Amis du musée qui a pris en charge sa rénovation et, en partie, son fonctionnement ? Question de ferveur Des tentatives ont eu lieu à Londres pour lancer, par exemple, l’art contemporain en Grèce ou au Pakistan. Elles ont échoué par défaut de répondance des amateurs et acheteurs de ces pays. En effet, il est difficile, voire impossible, d’intéresser des étrangers à la production artistique d’un pays spécifique, à part celle de grands noms mondialement connus, et qui ne sont plus alors considérés comme étant grecs, indiens, marocains, etc… L’expérience concluante de la première vente d’art arabe peut très bien être suivie de déconvenues successives si la ferveur des acheteurs arabes retombe, surtout qu’à ces prix exorbitants ils peuvent fort bien appointer des rabatteurs et des limiers pour dénicher sur place les œuvres qu’ils convoitent. Toute la question est là : comment entretenir cette ferveur ? Ou plutôt, comment l’entretenir de telle sorte qu’au lieu de recourir à Londres ou à Paris, les ventes puissent être organisées d’une manière aussi professionnelle, peut-être avec l’aide technique des maisons européennes, dans les pays arabes eux-mêmes, puisqu’il existe désormais un marché arabe de l’art à l’état embryonnaire et qui ne demande qu’à se développer? Pourquoi aller à Londres puisque, en fin de compte, ce sont des Arabes qui vendent et des Arabes qui achètent? Et que les estimations sont faites par recoupement des avis des marchands, galeristes et autres experts du cru ? Mettre fin à l’aliénation L’intérêt de créer des maisons de vente arabes d’un niveau professionnel comparable à celui des maisons européennes et américaines est d’éviter que celles-ci ne se désistent si leurs bénéfices ne justifient pas à leurs yeux la poursuite de l’aventure. Avec l’inévitable répercussion négative sur les prix. N’est-il pas temps de mettre fin à l’éternelle aliénation de l’ancien pupille et de l’ancien colonisé et de se recentrer sur soi-même ? Paradoxalement, le marché de l’art pourraît ainsi devenir le premier marché arabe unifié. Mais je rêve. D’ailleurs je n’étais pas censé écrire un article sur le marché mais sur la marche de l’art en ce mois de mai, réputé propice aux ventes, où les artistes aiment à exhiber leurs dernières créations. Ce sera partie remise.
En mai, fais ce qui te plaît : vu le temps des deux dernières semaines, ce proverbe est peut-être en voie de péremption. Le climat change, il faut s’y adapter : en Jordanie, par exemple, on est en train de passer de la culture des céréales à celle de l’olivier. L’huile extra vierge de première pression à froid est de plus en plus recherchée sur les marchés...