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Actualités - ANALYSES

Nettes dissonances de ton dans les travées du pouvoir

On dirait un couple de policiers expérimentés en action pour un interrogatoire serré de suspect : l’un brandit la carotte, et l’autre y va de la calotte. Ainsi, tandis que le président Hariri fait risette à l’Est, le président Berry lui fait grise mine. Le résultat, sans doute recherché par cette fine équipe de musiciens ou par l’orchestrateur, est qu’on ne sait plus sur quel pied danser. Cependant sur le plan médiatique, et du côté du profit politique immédiat, c’est le président du Conseil qui rafle la mise pour le moment. Le président de la Chambre s’attire pour sa part de bien vives critiques. Jusqu’au sein du camp loyaliste où les modérés, plutôt nombreux, lui reprochent un radicalisme que ses fonctions mêmes condamnent. On s’étonne de la sorte d’entendre le speaker du Parlement libanais soutenir qu’il est hors de question de débattre d’un problème national. En l’occurrence, on l’aura deviné, de la présence militaire syrienne sur laquelle, à l’en croire, il faut fermer les yeux tant que la paix n’aura pas été conclue pour de bon entre les Arabes et Israël. Certaines bonnes âmes veulent cependant croire que M. Berry, dans un suprême raffinement dialectique, se réfère à l’exemple de Déroulède, le poète cocorico qui, entre 1870 et 1914, lançait le slogan, au sujet de l’Alsace-Lorraine occupée : «y penser toujours, n’en parler jamais». Une allusion qui, est plutôt une illusion. Car de l’avis général, partagé à l’Ouest, le chef du Législatif entend surtout, par ses surenchères prosyriennes, gommer la triste impression qu’il avait fait, il y a cinq mois sur les décideurs. Quand, au sortir de Bkerké, il avait cru pouvoir annoncer leur prochain repli sur la Békaa. Pour se faire taper aussitôt sur les doigts par une source syrienne anonyme, et d’autant plus redoutable, qui lui avait sèchement répliqué que la question ne le regardait pas. Ayant vu ce qu’il était arrivé à M. Walid Joumblatt, exposé à la même époque à des menaces d’ordre physique, M. Berry s’était replié dans sa coquille. Pour décider en fin de compte qu’il ne devait pas se laisser déborder par d’autres, comme le Hezbollah, dans l’expression d’un indéfectible lien avec les tuteurs. En bon rhétoricien, et tant qu’à y faire, M. Berry n’y a pas été de mainmorte pour y mettre le paquet. Il s’est de la sorte écrié que le dossier des relations avec la Syrie reste «grammaticalement indéclinable», c’est-à-dire absolument tabou. Et cela au moment même où l’on en parlait plus que jamais, à la faveur de la retentissante tournée en Amérique de Mgr Sfeir et de son retour triomphal au pays. Si le sujet est inopportun aux yeux du président de la Chambre, son interdiction l’est encore plus aux yeux de tous les démocrates ou simili-démocrates que compte la nation, taëfistes ou prosyriens compris. La plupart des loyalistes rejoignent en effet l’opposition pour estimer que l’État ne devrait plus rester sur la touche, les bras croisés, et qu’il lui incombe d’initier un dialogue généralisé. Avant que la tension croissante ne fasse craquer toutes les coutures et ne provoque une irréparable césure au niveau de la rue. Ce dialogue est réclamé même par des politiciens proches de M. Berry. Et pour la première fois peut-être, on entend des loyalistes reconnaître qu’il est nécessaire d’associer au processus les forces de l’Est qui restent exclues de la Chambre et a fortiori du gouvernement. C’est-à-dire même les aounistes, fer de lance de la contestation antiprésence syrienne. Comme s’en offusque un jeune loup loyaliste du Parlement, «il est inimaginable qu’un président de la Chambre, surtout dans un pays fondé sur le dialogue, frappe d’interdit un débat national absolument nécessaire. Alors qu’il aurait dû en prendre lui-même l’initiative, du moment que le pouvoir exécutif ne fait rien dans ce sens». Ce qui est vrai, à cette nuance près, que pour sa part le président Hariri ne manque aucune occasion pour appeler à l’apaisement et souligner qu’aucune opinion ne doit être accueillie par le mépris ou l’insulte. Tout en répétant, afin que nul ici ou ailleurs n’en ignore, qu’il ne partage pas lui-même les vues du patriarche Sfeir. Les haririens ajoutent de leur côté que leur chef n’est pas hostile à l’idée d’un dialogue rationnel et démocratique, dans l’esprit du Taëf. Ce qui ne signifie pas qu’il prendrait l’initiative de l’organiser. Bien qu’il soit dangereux de laisser les choses se dégrader. En tout cas, les haririens ne cachent pas qu’ils souhaitent tout à la fois calmer le jeu et gagner du temps, beaucoup de temps. À preuve qu’ils proposent qu’on substitue à la présence syrienne, dans le dialogue à venir, la question de l’abolition du confessionnalisme politique. Un dossier dont la seule étude préliminaire prendrait plus d’années que le cabinet ne peut espérer en vivre. Toutes ces contradictions amènent un certain nombre de députés à unir leurs forces pour élaborer une sorte de projet politique général, visant à dynamiser dans le bon sens les institutions et à désamorcer au plus vite une crise politique qui se confessionnalise de plus en plus. Cependant, de l’avis de politiciens avertis, rien de sérieux ne peut se faire si le pouvoir, dans toutes ses composantes, n’y met du sien. Mais ce n’est visiblement pas demain la veille. Comme le montre le dernier Conseil des ministres, qui a courageusement éludé le problème.
On dirait un couple de policiers expérimentés en action pour un interrogatoire serré de suspect : l’un brandit la carotte, et l’autre y va de la calotte. Ainsi, tandis que le président Hariri fait risette à l’Est, le président Berry lui fait grise mine. Le résultat, sans doute recherché par cette fine équipe de musiciens ou par l’orchestrateur, est qu’on ne sait plus...