Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIES

INSTALLATION - « 1 Acte / 2 pièces », par l’Atelier de recherche de l’Alba - Réflexion violente sur la ville et le théâtre

Dans le cadre du Festival Shams qui se déroule au Théâtre de Beyrouth jusqu’au 27 mars, l’Atelier de recherche de l’Alba présente une installation originale, intitulée 1 Acte / 2 pièces, qui ne laisse pas de glace. Il s’agit d’un simple siège de théâtre exposé dans la vitrine du TDB, qui subit un triste sort puisqu’il est scié, en direct, à raison de quelques centimètres par jour. On a beau se dire que c’est un siège en métal et tissu bordeaux, un objet inerte, le spectacle est poignant et suscite des réflexions mémorables que les organisateurs notent discrètement dans un calepin. L’Atelier de recherche de l’Académie libanaise des beaux-arts (Alba / Université de Balamand) a été fondé en 1997 par une équipe de trois enseignants : Rana Haddad, architecte ; Pierre Hage-Boutros, architecte d’intérieur et Grégory Buchakjian, historien de l’art. Ce lieu de recherche, d’expérimentation et de création est transdisciplinaire puisqu’il est ouvert aux étudiants de toutes les branches de l’Alba. «Chacun y vient avec son bagage et nous les faisons travailler sur un projet, un concept, pour lequel chacun utilise son savoir-faire, indiquent les organisateurs. Certains sont curieux de découvrir et de toucher à d’autres disciplines ; d’autres sont plus à l’aise de continuer à travailler dans leur domaine et heureux d’avoir la liberté d’expérimenter leurs idées, sans avoir à tenir compte des directives d’un professeur». Les projets de l’Atelier de recherche de l’Alba ont toujours un rapport direct à la ville, l’objectif principal étant d’encourager les étudiants à reconnaître l’intérêt de leur capitale et les attaches qui les lient à Beyrouth. «Ils ne connaissent souvent rien de Beyrouth. L’atelier les pousse à s’engager, à aller dans la rue, à entreprendre des recherches. Il les pousse à vouloir en savoir toujours davantage sur leur ville». «Lorsque nous lançons un projet, nous ne savons jamais où il va aboutir. Nous respectons ce que les étudiants ont à dire, nous les encourageons à aller loin dans leurs recherches, nous essayons de leur faire sentir qu’ils sont responsables. Et que nous sommes là pour les soutenir et assumer le projet avec eux. C’est très enrichissant de voir des personnes de différentes disciplines travailler ensemble». Depuis sa création il y a quatre ans, l’atelier s’est tourné peu à peu vers l’installation, expression artistique qui crée une interactivité entre le public et les étudiants, ainsi qu’une interactivité au niveau académique. Neuf mois de travail Pour sa participation au Festival Shams, l’Atelier de recherche de l’Alba avait l’entière liberté de choisir la forme et le thème de son intervention. «Nous avons réagi à ce qui se passe dans la ville, à l’histoire du Théâtre de Beyrouth dont on menace de fermer les portes chaque année. Nous avons voulu que les étudiants partent de là, de ce bagage, des histoires du théâtre mais aussi de toute la région, pour ne pas restreindre leur champ de travail au TDB mais à son environnement». Les recherches ont alors été lancées à deux niveaux : d’une part, le quartier de Aïn Mreïssé, son histoire et ses histoires ; de l’autre, le TDB, son histoire et ses histoires. Le projet 1 Acte / 2 pièces a nécessité neuf mois de travail, dont quatre à plein temps, par une équipe de sept étudiants. Dans un premier temps, consacré aux recherches, de nombreuses histoires et anecdotes ont été collectées. En discutant avec les uns et les autres, les étudiants font de jolies découvertes, intéressantes, inquiétantes, émouvantes... Tout cela est consigné dans des pamphlets que l’atelier publie et distribue au public de Shams tous les soirs de représentation : le développement des «hakawati» entre 1975 et 1991 ; l’histoire de la pièce Majdaloun qu’avait montée Roger Assaf en 1969, les circonstances rocambolesques qui avaient entraîné son interdiction et les échos de cette aventure dans la presse locale ; la légende qui est à l’origine du nom de Aïn Mreïssé, etc. Ces textes peuvent aussi être consultés sur le site www.alba.edu/ar/ Mais pourquoi l’atelier a-t-il choisi de s’exprimer dans la vitrine du TDB ? «Parce que la vitrine relie le quartier au théâtre – où la plupart des habitants n’ont jamais mis les pieds – et parce que nous nous devions d’être accessibles au quartier, vu toutes les recherches que nous y avions faites. Notre travail devait être destiné à la fois aux gens qui venaient au théâtre et à ceux qui passent dans la rue. Nous l’avons intitulé “Le TDB se met en scène dans sa propre vitrine”». La vitrine est aussi une coupure, une limite transparente. Elle appartient au théâtre puisqu’on n’y accède que par l’intérieur mais, visuellement, elle appartient à l’extérieur. Parallèlement, dans la salle, les sièges représentent l’espace réservé au public, et la scène, celui auquel appartiennent les acteurs. Le siège joue donc le rôle de la vitrine, il est aussi la limite qui sépare le théâtre du public. D’où l’idée de le transporter en vitrine. Mort en direct Mais ce siège se fait assassiner sous nos yeux. Des yeux perplexes, dégoûtés, amusés, révoltés, qui s’habituent ou pas à ce spectacle qui évolue de jour en jour. Le siège est d’abord arrivé en vitrine. Il a ensuite été démonté, puis remonté. C’est alors que la scie s’est mise en marche. Elle a commencé par frôler le dossier, puis par s’y enfoncer. Les passants s’expriment, et Grégory Buchakjian est là, qui note discrètement ce qui se dit. Chacun, enfant, jeune ou adulte, a son interprétation, sa lecture. «Nous essayons toujours de faire en sorte que nos installations ne soient pas limitées à une seule lecture. La richesse est dans la multi-lecture. Il faut que cela concerne tous les bords». Les gens du théâtre, pour la plupart, établissent un parallèle entre le siège et le TDB, ou le théâtre en général. «C’est comme si on avait installé là un homme nu, avec le mot théâtre marqué sur son torse, et qu’un autre le tuait... C’est une partie de notre histoire, pourquoi voulez-vous la faire disparaître ?». Ils voient l’aspect pathétique de la chose «parce qu’ils se sentent directement touchés et concernés», remarquent les organisateurs. Quant à ceux qui sont totalement étrangers au théâtre, ils comparent le siège au pays et à sa situation politique et économique : «C’est le pays que l’on tue»... «Quand j’ai vu cette machine, j’ai senti mon cœur se serrer comme ça» (geste de la paume qui se ferme)... «Tu sais qu’ils vont détruire le théâtre ? Oui, que peut-on y faire ?»...«Le siège est le Liban, la construction en fer qui l’encadre est le gouvernement et la scie est la Syrie»... De nuit, avec l’éclairage, l’effet n’en est que plus saisissant. Le sadisme et la violence qui résultent de la lenteur de la scie semblent décupler. Qu’arrivera-t-il lorsque la lame aura été jusqu’au bout de la torture ? On le verra bien... «Nous voulons être positifs, déclencher des réactions et réflexions constructives. Pour nous, l’humour est très important. Et il ne nous empêche pas de transmettre des messages lourds et sérieux». 1 Acte / 2 pièces est une installation complète dont le plus grand mérite est qu’elle fait réagir. Chose qui devient de moins en moins facile en ces temps de morosité et de désenchantement.
Dans le cadre du Festival Shams qui se déroule au Théâtre de Beyrouth jusqu’au 27 mars, l’Atelier de recherche de l’Alba présente une installation originale, intitulée 1 Acte / 2 pièces, qui ne laisse pas de glace. Il s’agit d’un simple siège de théâtre exposé dans la vitrine du TDB, qui subit un triste sort puisqu’il est scié, en direct, à raison de quelques...