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Actualités - OPINIONS

Déjà vu

Pour l’avoir pratiqué durant près d’un demi-siècle, les Arabes sont parfaitement en droit de s’alarmer de l’irruption sur l’avant-scène d’Ariel Sharon. Les Israéliens eux-mêmes cependant risquent de déchanter très vite, eux qui viennent de porter triomphalement au faîte du pouvoir un criminel de guerre notoire, par un de ces mouvements de balancier dont est devenue coutumière leur société, malade de la paix. C’est qu’ils ont la mémoire bien courte, les Israéliens, dans leur quête obsessionnelle d’une sécurité dont ils n’ont pas encore bien compris qu’elle demeurera introuvable hors d’une juste paix avec leurs voisins : et singulièrement avec les plus proches de ceux-ci, les Palestiniens. C’est au nom de cette sacro-sainte sécurité, régulièrement battue en brèche par les attentats du Hamas, qu’en 1996 déjà ils couronnaient Benjamin Netanyahu, aux dépens du successeur de Rabin, Shimon Peres. Et c’est le même sort, commandé par le même principe, que vient de connaître de manière plus humiliante encore Ehud Barak, détenteur d’une peu enviable brochette de records. Chef du gouvernement le plus éphémère de l’histoire d’Israël, le premier ministre sortant aura traîné très loin en effet derrière son rival et vainqueur de l’élection de mardi. Celle-ci a connu de surcroît une participation exceptionnellement faible selon les normes israéliennes, phénomène dû en bonne partie au boycottage décrété par les Arabes d’Israël mais qui illustre cependant le choix peu motivant offert à l’électorat. Combien de crises et de tragédies avant le prochain virage électoral ? Dès hier, le «Roi Arik» s’est attelé à la formation d’un Cabinet d’union, formule qui l’obligerait sans doute à édulcorer quelques-unes de ses options les plus outrancières, mais qui lui garantirait en revanche une certaine longévité politique : Netanyahu est là tout derrière en effet, guettant l’opportunité d’un scrutin législatif anticipé pour supplanter son aîné et opérer son propre come-back. À ces préoccupations politiciennes va s’ajouter très vite cependant une brûlante priorité, celle du traitement de la question de l’intifada. Toute reprise des négociations de paix semble exclue dans un avenir prévisible, le premier ministre élu s’y refusant obstinément avant le retour au calme et n’ayant rien à proposer d’ailleurs aux Palestiniens. Le risque est grand, dès lors, de voir Sharon appliquer sans trop de délai son programme antiémeutes, lequel prévoit, entre autres, des interventions plus musclées de l’armée israélienne et un bouclage total des territoires : ce qui revient – il a l’habitude, allez, depuis l’inhumain siège de Beyrouth-Ouest en 1982 – à affamer la population palestinienne. En avertissant que toute remise en cause des accords passés se solderait par une sanglante confrontation, en exigeant que le dialogue reprenne au point où il s’était arrêté le mois dernier à Taba, l’Autorité autonome de Yasser Arafat s’est montrée résolue à relever le gant. Elle y est tenue, sous peine de perdre sa raison d’être; car en ce moment, Ariel Sharon ne lui offre rien d’autre qu’un accord intérimaire à long terme, c’est-à-dire la perpétuation du statu quo sans nouveaux transferts de territoire, sans la moindre modification du statut de Jérusalem, sans démantèlement d’une seule colonie. Mieux encore, le David palestinien n’est pas aussi démuni de moyens que ne le pensent les boutefeux israéliens : authentique mouvement populaire de libération nationale, l’intifada se nourrit de son propre sang, les coups qui lui sont portés ne font jamais que l’amplifier. Par-dessus tout, elle accule l’occupant à assumer à visage découvert le sale rôle qui est, par essence, le sien. L’intifada a déjà causé la perte d’un premier ministre israélien; et elle est tout à fait capable de récidiver, tant il reste vrai qu’Israël – Sharon ou pas Sharon – ne peut avoir tout à la fois, et les territoires, et la sécurité. Tout bulldozer qu’il soit, que peut y faire finalement le nouveau maître d’Israël qui s’apprête à envoyer à Washington et dans d’autres grandes capitales des émissaires chargés d’y colmater autant que possible sa sulfureuse réputation, de rassurer des gouvernements qui ont bien du mal à cacher leur inquiétude ? Les Arabes ne regretteront pas trop Ehud Barak dont les rares coups d’audace (notamment l’éventualité d’un partage de souveraineté à Jerusalem) n’ont pas survécu à ses inhibitions et velléités, à ses sournoises manœuvres visant à préserver les points de peuplement juifs en Cisjordanie. Sharon, lui, annonce carrément la couleur et avec lui du moins, on sait à quoi s’en tenir. L’exercice du pouvoir suprême et le jeu des nations peuvent évidemment imposer au premier ministre élu un recours aux demi-teintes et même, qui sait, des révisions déchirantes. Après tout, ce sont souvent les durs qui font la paix sans crainte des surenchères : c’est un Menahem Begin qui a restitué l’intégralité de ses terres à l’Égypte, c’est Sharon lui-même qui a délogé manu militari les colons du Sinaï. Tout comme Sharon peut rester Sharon, et en fait de couleur, on devrait alors se cantonner dans le rouge. Sang, comme de bien entendu.
Pour l’avoir pratiqué durant près d’un demi-siècle, les Arabes sont parfaitement en droit de s’alarmer de l’irruption sur l’avant-scène d’Ariel Sharon. Les Israéliens eux-mêmes cependant risquent de déchanter très vite, eux qui viennent de porter triomphalement au faîte du pouvoir un criminel de guerre notoire, par un de ces mouvements de balancier dont est devenue...