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Actualités - REPORTAGES

ASSOCIATIONS - Pour que le sort des détenus et des disparus soit fixé - Solid ou comment briser le tabou des prisonniers libanais dans les geôles syriennes

Elle a vu le jour en 1987, Solid. Et depuis, cette association pour le Soutien aux Libanais en détention et en exil a fait son chemin. Dans un pays où beaucoup de sujets sont tabous, Solid a réussi à s’imposer, à mettre sur le tapis le dossier des détenus libanais en Syrie. Il fallait, pour cela, du courage et de la ténacité. Tout a commencé quand un groupe de sept personnes, ayant des parents et des amis toujours détenus ou qui avaient été détenus dans les geôles syriennes, a décidé d’agir. Il fallait entreprendre des contacts auprès des ONG internationales, mettre en place une ligue de parents, recueillir des informations, constituer des dossiers… La tâche n’était pas aisée. Et pourtant, Solid est parvenue à se faire inviter à l’Assemblée nationale française. C’est également grâce à l’association que la commission des droits de l’homme du Parlement européen a appelé, le 12 mars 1998, la Syrie à relâcher tous les prisonniers libanais détenus dans ses geôles. Solid ne peut pas être dissociée de la personne de Ghazi Aad, 43 ans. Un battant né, mobilisé 24 heures sur 24 pour que le dossier des détenus libanais ne soit pas clos. Ce spécialiste en sciences océanographiques a appris le travail des ONG sur le tas. Il ne se vante pas du chemin – fort difficile – parcouru. Pour lui, Solid est l’œuvre de tous ; et si les parents des détenus dans les geôles syriennes et la presse s’adressent à lui, c’est parce qu’il est «plus disponible que les autres membres de l’association». Pour Ghazi, «le sujet des détenus libanais dans les prisons syriennes a toujours été tabou». Et, afin de réussir à briser, sans sortir du cadre légal, cet interdit, il fallait trouver un motif juridique permettant à l’association d’agir. Ce motif a été trouvé en 1988 quand Amnesty International a publié un rapport spécial ayant pour thème «La torture syrienne perpétrée par les forces de sécurité». «Dans les pages de ce document, on évoque les détenus libanais dans les geôles syriennes, les méthodes des arrestations, les pressions qui pèsent sur les familles des prisonniers ainsi que d’autres sujets», indique Aad. Avec ce document, l’association a trouvé le cadre juridique adéquat pour entamer son action. «On avait une association internationale, reconnaissant l’existence de Libanais dans les geôles syriennes; on pouvait donc agir en toute légalité», explique-t-il. Solid entame donc une campagne pour recueillir les témoignages des familles dont des enfants ou des proches sont détenus en Syrie. Cette année-là, l’association reçoit près de deux cents lettres révélant chacune l’histoire de chaque détenu, et notamment son nom, les conditions de son arrestation de sa détention en Syrie, les périples entrepris par la famille pour parvenir à lui rendre visite… Travailler secrètement pour recueillir des témoignages Pourtant, «le travail de recherche et la constitution de dossiers devinnent fort difficiles après le 13 octobre 1990. Les familles avaient peur et elles ont cessé de nous contacter ; tout était à refaire», précise Aad. Afin de parvenir à son but après 1990, Solid effectue secrètement ses contacts avec les familles des détenus. «Nous avons recommencé à appeler les numéros de téléphone (des familles concernées) que nous avions déjà recueillis avant la fin des événements du Liban», se souvient Ghazi. Pour contourner les conditions pénibles du travail à l’époque, Solid n’a qu’une issue : consolider ses relations avec les associations internationales de droits de l’homme. Elle se tourne donc vers Amnesty international, la Fédération internationale des ligues de droits de l’homme (FIDH, organisation européenne), et la Human Rights Watch (association américaine). L’homme pilier de Solid souligne à ce propos que «cette tâche était encore plus ardue car les ONG internationales recoupent leurs informations, pour s’assurer d’un dossier donné, avec les autorités locales, notamment la Sûreté générale, la présidence de la République, le Conseil des ministres, le ministère de la Justice». «Or à ce moment-là, précise-t-il, les autorités libanaises concernées ainsi que la Syrie niaient l’existence de détenus libanais dans les geôles syriennes», assure-t-il. L’ONG libanaise décide donc de travailler au cas par cas. C’est ainsi que des dossiers bien solides de plusieurs prisonniers ont été constitués et présentés aux associations européennes et américaines. Solid a gagné en crédibilité auprès des ONG internationales en constituant un dossier, entre 1992 et 1995, présentant dix cas de prisonniers libanais détenus dans les geôles syriennes. Les contacts entrepris par l’association ont véritablement abouti en 1995. Cette année, la FIDH envoie un émissaire au Liban, Violette Dagher (une Française d’origine libanaise), afin qu’un bureau de l’ONG soit créé à Beyrouth, et qui enquêterait sur la disparition et la détention de tous les Libanais, que ce soit au Liban ou dans des pays étrangers. «Cette année-là, le ministre de la Justice de l’époque, Bahige Tabbarah, a interdit à la déléguée de la FIDH d’ouvrir ce bureau au Liban», relève Aad en soulignant qu’à ce moment, «Mme Dagher, qui a été mal accueillie par le gouvernement libanais, s’est adressée à la presse locale en présentant son projet relatif à l’enquête qui devait être menée par son association ; l’envoyée de la FIDH communique également son adresse et son numéro de fax en France afin que toutes les personnes possédant des informations sur les détenus libanais dans les geôles syriennes la contactent». Pourtant, rares sont les personnes qui l’ont appelée. «Il ne faut surtout pas négliger le facteur de la peur dans ce genre d’action», relève Aad. Formation de la Ligue des parents Plus tard, notamment de 1995 à 1997, ce sont Amnesty International et Human Rights Watch qui publient des rapports relevant encore une fois l’existence de détenus libanais dans les geôles syriennes. «À partir de 1997, les arguments des ONG internationales qui traitent des droits de l’homme deviennent de plus en plus importants et permettent à l’association de faire pression sur le gouvernement libanais», relève Aad. C’est ainsi que le dossier des détenus libanais en Syrie a commencé à prendre forme petit à petit. Comme en 1988, Solid se basera encore une fois en 1997 sur des rapports d’ONG étrangères pour poursuivre vigoureusement son action. «Au mois de mai de cette année, Human Rights Watch publie un rapport spécial intitulé : “l’alliance hors la loi entre les forces de sécurité libanaises et syriennes”», relève Aad. En octobre de la même année, Amnesty International rend public, à partir du siège de l’Ordre de la presse à Beyrouth, un rapport spécial sur les prisonniers libanais dans les geôles syriennes. Avant la tenue de cette conférence, l’ONG mondiale avait proposé la formation d’une ligue de parents de détenus libanais dans les geôles syriennes. «Comme Solid avait déjà des contacts avec les familles concernées par le problème, nous avons réussi à les inciter, malgré leur peur, à participer à la conférence d’Amnesty», déclare Aad. Au début, cette ligue était formée de six personnes, la crainte ayant empêché beaucoup de parents de répondre à l’appel de Solid. À partir du 9 octobre 1997, les activités de la Ligue des parents, présidée jusqu’à aujourd’hui par Sonia Eid, dont le fils Jihad est toujours détenu en Syrie depuis le 13 octobre 1990, ont commencé. Les familles, soutenues par l’association, commencent à rencontrer des personnalités libanaises, notamment le patriarche maronite Nasrallah Sfeir, le métropolite de Beyrouth Élias Audeh. Solid réussit également à exposer le problème des détenus libanais dans les geôles syriennes auprès des ambassades présentes au Liban, notamment celles de France, des États-Unis et de Grande-Bretagne. Soutien des parlementaires européens En janvier 1998, la semaine de solidarité avec les détenus libanais dans les geôles syriennes est organisée en France. Solid se rend à Paris avec des familles de prisonniers qui exposent leur cas à la presse. Grâce au soutien de la FIDH européenne, qui adopte le rapport de Solid sur les prisonniers libanais détenus dans les geôles syriennes, l’ONG libanaise et les parents des détenus présents pour une semaine à Paris sont reçus au Parlement français et rencontrent des députés et des sénateurs. La délégation libanaise met à profit son sejour en France pour se rendre à Bruxelles, siège de la Commission européenne. C’est dans la capitale belge que Aad et ses compagnons rencontrent des parlementaires européens. «James Moorhouse, un député d’origine britannique faisant partie de la commission des Droits de l’homme au sein du Parlement de Strasbourg, s’intéresse de près au sujet», raconte Ghazi. «Le 12 mars 1998, la commission des Droits de l’homme du Parlement européen appelle la Syrie à relâcher tous les Libanais détenus dans ses prisons. Elle invite en outre les pays membres de l’Europe à inclure le dossier des détenus libanais dans les geôles syriennes dans les négociations avec le Liban et la Syrie, et ce, dans le cadre du partenariat euro-méditerranéeen», ajoute-t-il. Il a fallu onze ans à Solid pour organiser un événement médiatique à Beyrouth, quand l’ONG en question ainsi que d’autres associations pour la protection des droits de l’homme ont présenté à la presse en avril 1998 des témoignages de familles de détenus dans les geôles syriennes. «C’était un mois après notre visite à Paris et à Bruxelles», indique Ghazi qui se souvient, non sans amertume, que deux quotidiens libanais seulement, dont L’Orient-Le Jour, avaient couvert l’événement. Malgré toutes les pressions exercées au Liban sur les membres de Solid et les familles des détenus qui avaient décidé de militer, les contacts avec l’Europe et les diverses ambassades à Beyrouth ne se sont pas arrêtés. À l’occasion du cinquantième anniversaire des droits de l’homme, le 10 décembre 1999, Solid et la Ligue des parents des détenus dans les geôles syriennes décident d’effectuer un petit sit-in devant le palais présidentiel. Bien avant d’entamer leur marche vers Baadba, les manifestants sont empêchés de mener leur action jusqu’au bout : ils sont encerclés par les forces de l’ordre, non loin du quartier de Brasilia. Croire en une cause avant tout Le soir même, Solid rapporte les faits à l’ambassade de France, qui organisait une réception. Quelques jours plus tard, les membres de l’association et la Ligue des parents rendent visite au nonce apostolique Antonio Maria Veglio. Ce dernier leur annonce que le président de la République est prêt à les recevoir. De fait, la présidente de la Ligue des familles des prisonniers libanais dans les geôles syriennes, Sonia Eid, est accueillie – seule – au palais de Baabda, le 4 janvier 2000. Le 12 février 2000, Solid et la Ligue des familles des détenus dans les prisons syriennes se rendent en France pour participer à une conférence euro-méditerranéenne ayant pour thème «la disparition forcée». Après Paris, la délégation libanaise se rend au siège des organismes des Nations unies à Genève pour présenter le dossier. En août de la même année, quand une commission du gouvernement libanais décide de clore le sujet des disparus, l’ONG se mobilise encore une fois au Liban pour créer des événements médiatiques, notamment une visite chez le patriarche Sfeir rapportée par tous les médias libanais, et une conférence de presse à l’hôtel Alexandre, organisée conjointement par Solid et Solida (Soutien aux libanais détenus arbitrairement, ONG libano-française). En parlant de Solida, Ghazi Aad n’oublie pas de préciser que l’action de son ONG a été soutenue par certaines organisations locales des droits de l’homme, notamment la Fondation des droits humains et humanitaires (Waël Kheir). Si Ghazi Aad ne s’est jamais découragé, c’est qu’il est certain que tôt ou tard, Solid parviendra à ses fins : obtenir que les autorités libanaises et syriennes reconnaissent l’existence de détenus libanais dans les geôles syriennes. L’association ne mettra un terme à ses activités qu’au moment où le sort de tous les détenus sera fixé. «Nous sommes sûrs qu’il y a toujours des Libanais dans les prisons syriennes. S’ils sont vivants, qu’ils les libèrent ou qu’ils reconnaissent au moins leur existence. Sils sont morts, que les autorités concernées présentent des preuves convaincantes de leurs décès», indique M. Aad. «Les familles ont le droit de savoir», souligne-t-il. Et si jamais Solid, pour des raisons quelconques, ne parvient pas à pour suivre son travail ? «Je suis sûr qu’il y aura toujours quelqu’un pour poursuivre notre action, au moins nous aurions balisé le parcours à suivre», indique-t-il. Pour lui, «toute action nécessite du courage, et dans toute entreprise, il y a un risque à prendre». Ghazi Aad, qui croit a l’action qu’il a entamée à la fin des années quatre-vingts, est conscient du risque qu’il a pris. «Et quand tu prends un risque, tu assumes toutes les conséquences qui s’en suivent», souligne-t-il. Aad est cloué sur une chaise roulante depuis 1983. Il parle de son action comme d’une vocation : «Quand on croit en une cause, on a toujours la force d’aller jusqu’au bout».
Elle a vu le jour en 1987, Solid. Et depuis, cette association pour le Soutien aux Libanais en détention et en exil a fait son chemin. Dans un pays où beaucoup de sujets sont tabous, Solid a réussi à s’imposer, à mettre sur le tapis le dossier des détenus libanais en Syrie. Il fallait, pour cela, du courage et de la ténacité. Tout a commencé quand un groupe de sept...