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Actualités - ANALYSES

Affaire Farès-Hariri - Quatre commentaires recueillis par « L’Orient-Le Jour » - Les tiraillements au sein de l’Exécutif s’exacerbent

Un bon nombre d’observateurs le pressentaient, d’aucuns le craignaient – et bien avant que ne soit officiellement désigné le successeur de Sélim Hoss à la tête du gouvernement. La cohabitation entre le chef de l’État Émile Lahoud et le Premier ministre Rafic Hariri n’allait pas être rose, loin de là. Et effectivement, elle ne l’est pas. Parce que même s’ils paraissent toujours déterminés à sauver les apparences, il n’en demeure pas moins que le principal souci des deux hommes, comme celui de leurs proches – ministres et députés – est d’œuvrer tour à tour, plus ou moins gentiment, ouvertement ou diplomatiquement, afin que le rapport de forces au sein de l’Exécutif évolue en faveur de l’un ou de l’autre des deux camps. Un rapport de forces qui ressemble de plus en plus à une guéguerre – encore larvée certes, puisque le poids des décideurs, notamment régionaux, reste toujours prépondérant – entre les deux pôles d’un Exécutif de plus en plus bicéphale. Au péril, même si elle n’en est pas à un soubresaut près, de la solidarité gouvernementale, condition pourtant essentielle dans la stabilité de l’échiquier politique local. «Faire contrepoids à l’omnipotence de Rafic Hariri, à la monopolisation par ce dernier de la décision politique, rabaisser un peu le caquet du “show-man” parfait qu’il est devenu...». Tel est le credo de l’entourage du chef de l’État, ainsi que le rapporte une source proche de Baabda, et qui semblerait vouloir se concrétiser, selon cette même source, par la création d’un axe formé de ministres lahoudiens – Élias Murr, Georges Frem, Jean-Louis Cardahi, entre autres – autour d’un pivot central : le vice-président du Conseil Issam Farès. Ce dernier, dont le poids financier n’a presque rien à envier à celui de Rafic Hariri, de plus, et ceci est loin d’être négligeable, Issam Farès est extrêmement proche – «trop», diront même certains – du nouveau président américain. Il est d’ailleurs en ce moment en déplacement à Washington pour assister à la cérémonie d’investiture de Georges W. Bush : il n’a donc également rien à envier au Premier ministre question envergure internationale. Enfin, last but not least, Issam Farès est un membre essentiel de la garde rapprochée du président de la République. Hassan Rifaï C’est dans ce cadre-là qu’il faudrait donc replacer la polémique, assez virulente depuis deux jours, après que Issam Farès a réclamé «la dissociation entre la direction générale de la présidence du Conseil et le secrétariat général du Conseil des ministres». Et pour expliciter un tant soit peu cette polémique surprenante entre le Premier ministre et le vice-président du Conseil, l’ancien ténor de la Chambre et constitutionnaliste de renom, Hassan Rifaï, a répondu aux questions de L’Orient-Le Jour. «Il n’y a aucun distinguo à faire entre la présidence du Conseil et le Conseil des ministres. C’est une question d’organisation que rien ne justifie en réalité parce qu’il n’y a justement aucune différence entre le président du Conseil et le Premier ministre», a indiqué l’ancien député. Cela voudrait dire, comme l’ont martelé plusieurs députés haririens, que Issam Farès «a foulé aux pieds» la Constitution ? «Absolument pas. Il n’y a pas eu violation de la Constitution, mais plutôt infraction à la conception des institutions. Le niveau du système démocratique a toujours été supérieur à celui de nos hommes politiques, sauf qu’actuellement, il stagne dans les bas-fonds. Nos hommes politiques ne lisent pas la Constitution, s’ils la lisent, ils ne la comprennent pas, et lorsqu’on la leur explique, ils disent exactement le contraire de ce qu’on leur a indiqué», a-t-il asséné. Peut-on accuser Issam Farès, à l’instar de ces mêmes députés, de vouloir «susciter des dissensions confessionnelles» ? «Non. Je n’accuse en rien le vice-président du Conseil de nourrir une quelconque intention confessionnelle. Je ne partage pas du tout la réclamation de Issam Farès, et si on lui demandait de l’expliquer, je suis persuadé qu’il en serait incapable. Dans tous les cas, l’idée n’est pas de lui, le premier à avoir demandé cette séparation, après Taëf, a été Hussein Husseini. C’est sans doute quelque chose qu’on a dû dire à Issam Farès et qu’il a répété. Quant aux autres, qu’ils m’expliquent un peu ce qu’est la Constitution», a ironisé Hassan Rifaï. Tabbarah, Fattouche et Khalil Dans un entretien téléphonique avec L’Orient-Le Jour, le ministre d’État Bahige Tabbarah a estimé que la proposition de Issam Farès n’avait aucun lieu d’être. «On ne va pas demander à Rafic Hariri d’être tantôt le Premier ministre, tantôt le président du Conseil, en changeant à chaque fois de casquette. L’article 64 de la Constitution stipule que ces deux charges incombent à une seule et même personne. En y réfléchissant de plus près, cette proposition frôle le ridicule. Il n’empêche, je suis d’accord avec lui lorsqu’il s’est étonné à la suite de l’affaire du budget, que j’incombe à un manque de coordination entre le ministère des Finances et le secrétariat général du Premier ministre. Le vice-président Farès n’avait sans doute aucune intention confessionnelle, on a mal interprété ses propos», a-t-il indiqué. «Tout le monde sait que je n’ai pas voté la confiance au gouvernement Hariri. Je dirais simplement qu’il n’y a aucun texte constitutionnel concernant le poste de vice-président du Conseil. En tant que ministre, il avait tous les droits d’être surpris par ce qui s’est passé avec le projet de budget. Pas en tant que chef de gouvernement ou de vice-président du Conseil. Il n’avait pas le droit de demander cette dissociation», a estimé Nicolas Fattouche, toujours dans un entretien téléphonique avec L’Orient-Le Jour. Peut-on l’accuser de dissensions confessionnelles ? «Non, pas du tout. Mais je ne comprends pas sa démarche. Qu’il élabore plutôt un projet de loi, avec des motifs clairs et nets. Quant aux nombreuses critiques qui ont suivi sa proposition, je ne les approuve pas et la seule question que je pose, dont la réponse est primordiale quant à la bonne marche du pays, est la suivante : Y a-t-il ou non une solidarité gouvernementale ?», s’est demandé le député de Zahlé. «La proposition de Issam Farès ? Un débat fondamental et responsable qui doit être discuté au sein du Conseil des ministres», a répondu à L’Orient-Le Jour le député Ali Hassan Khalil. «Je ne prends pas position, simplement je suis pour que ce débat ait lieu. Mais il n’empêche, je ne considère pas cette proposition comme étant une violation de la Constitution. Quant aux députés haririens, ils ont tous les droits de donner leur avis politique, il n’engage qu’eux», a ajouté le député du Liban-Sud, particulièrement proche du président de la Chambre, Nabih Berry. Rappelons que ce dernier s’est toujours élevé, lors des précédents Cabinets Hariri, contre l’absence d’un règlement intérieur du Conseil des ministres et contre les «décisions intempestives» de Rafic Hariri à l’époque. Il n’empêche, cette polémique, par son intensité, par la détermination des différents protagonistes, pourrait constituer, si elle continue à s’autoalimenter (ou à être alimentée ?), une véritable mini-crise au sein de l’Exécutif. Ou alors finir comme beaucoup de celles qui l’ont précédée : comme un pétard mouillé. Sauf que ces polémiques-là se suivent à un rythme assez régulier. Donc dangereux. Une cohabitation peut certes durer, mais pas à n’importe quel prix, les phénomènes d’usure sont parfois fatals. Dans tous les cas, il serait tout à fait légitime de se demander dans quelle mesure un rapport de forces équilibré au sein de l’Exécutif ne serait pas le garant d’une démocratie plus saine. Plus harmonieuse et plus sereine.
Un bon nombre d’observateurs le pressentaient, d’aucuns le craignaient – et bien avant que ne soit officiellement désigné le successeur de Sélim Hoss à la tête du gouvernement. La cohabitation entre le chef de l’État Émile Lahoud et le Premier ministre Rafic Hariri n’allait pas être rose, loin de là. Et effectivement, elle ne l’est pas. Parce que même s’ils...