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Actualités - ANALYSE

TROUS DE MÉMOMOIRE

En publiant dans la presse un plaidoyer-fleuve traduit en trois langues, Rafic Hariri s’est livré à un de ces étalages de force qu’il affectionne. Il a montré à ceux qui en doutaient encore que même en dehors du pouvoir, son ambition reste dévorante, son influence considérable et sa capacité à faire des vagues appréciable. Il y a certainement du bon et du vrai dans la valse hallucinante de chiffres et dans les idées généreusement étalées par M. Hariri sur les colonnes des journaux. Mais il y a sûrement du mauvais et du faux. Se taire serait cautionner une version de l’Histoire écrite par une personne impliquée, engagée, donc partiale, qui a tendance à omettre des faits et à occulter des informations. C’est le besoin de compléter une version de l’Histoire amputée d’une partie de ses réalités qui motive ses lignes, et non pas le désir de s’enliser dans une polémique aussi stérile que celle du sexe des anges. M. Hariri ne croit pas si bien dire lorsqu’il affirme qu’«il est impossible de dissocier les problèmes politiques de la réalité économique». Cela aurait été toutefois plus habile si ceux qui l’ont aidé à coucher ses idées sur papier n’avaient pas trop insisté sur les réalisations politiques de son mandat ; sur sa profonde conviction que le redressement économique passe impérativement par l’existence «de la démocratie, des libertés, de l’État de droit et de l’indépendance de la justice» ; sur sa certitude inébranlable que la prospérité est tributaire du «respect absolu des libertés individuelles-la liberté de croyance, d’opinion et d’expression». Car s’il fallait prendre comme preuve de sa réussite économique, l’état de la politique au Liban pendant son mandat, le bilan serait infiniment plus désastreux et bien plus lourd l’héritage que celui invoqué aujourd’hui pour expliquer les raisons de la crise. «La force et la raison d’être du Liban résident dans son respect des libertés publiques et individuelles, sous leurs aspects politiques, sociaux et médiatiques», écrit M. Hariri. Épousait-il vraiment ces principes lorsqu’il était au pouvoir ? Il est permis d’en douter. Comment sinon expliquer ses relations heurtées avec la presse pendant des années; son allergie au mouvement syndical; ses agissements autoritaires envers ses détracteurs ? Est-il besoin de rappeler que la presse libanaise n’a jamais subi autant de pressions que lorsque M. Hariri était au pouvoir ? On se souvient de la suspension pour une semaine du Nidaa el-Watan et du Safir en avril et mai 1993; de la fermeture pendant neuf mois de la télévision ICN pendant la même période; des poursuites engagées contre de nombreuses publications : la justice a par exemple été mise à contribution 77 fois en cinq ans contre le Diyar ; de l’arrestation arbitraire de journalistes … La liste est longue. Évidemment, l’ancien chef du gouvernement peut se défendre du comportement un peu trop zélé du ministère public en invoquant la séparation des pouvoirs. Mais il faut rappeler que les procureurs (qui pouvaient procéder à la suspension administrative des journaux) et le parquet relèvent hiérarchiquement du ministre de la Justice, à l’époque un proche collaborateur de M. Hariri. D’ailleurs, le Safir et la ICN ont été acquittés à l’issue de leur procès par les magistrats du siège. L’audiovisuel aussi n’a pas connu de beaux jours ces six dernières années. On se souvient du décret qu’un ancien ministre de l’Information – un autre proche collaborateur de M. Hariri – avait tenté de faire passer en Conseil des ministres, en 1995, pour accorder à la FTV le monopole des émissions par satellite; de la suspension pendant 127 jours, en 1994, des bulletins et des programmes politiques des télévisions privées dans la foulée de la dissolution du parti des Forces libanaises ; de la censure préalable sur les émissions politiques diffusées par satellite, une décision maintenue en dépit d’un arrêt contraire du Conseil d’État; de la fermeture des TV hostiles à l’ancien chef du gouvernement, sous prétexte de dossiers incomplets (…). Ne remuons pas le couteau dans la plaie. Les communiqués alarmistes des corps professionnels et des diverses associations locales et internationales, et même les déclarations d’hommes politiques alliés à M. Hariri, attestent du climat malsain qui régnait à l’époque. Et s’il est vrai que le décret-loi 104 a été amendé en 1994 dans un esprit positif, avec l’abolition de l’arrestation préventive des journalistes et la suspension administrative des publications, c’est surtout grâce aux pressions des Ordres de la presse et des rédacteurs. Pour ceux qui ont la mémoire courte, rappelons que les relations entre M. Hariri et tout ce qui a trait aux libertés publiques et politiques étaient loin d’être idylliques. Le décret du 13 septembre 1993 interdisant les manifestations, aboli lors de la première réunion du cabinet Hoss, était en contradiction totale avec l’article 13 de la Constitution. L’ancien chef du gouvernement était intraitable sur ce point. Son intransigeance l’a poussé, à deux reprises en 1996, à confier la sécurité à l’armée pour empêcher la CGTL de manifester. Et au lieu de discuter de ses options économiques avec la centrale syndicale, qui reste malgré tout un partenaire social essentiel, M. Hariri a encouragé la scission du mouvement syndical qui s’est retrouvé, en avril 1997, avec deux têtes ennemies. Et cette entente nationale dont M. Hariri se fait le chantre dans son plaidoyer…Le moins que l’on puisse en dire, c’est que la loi électorale de 1996 n’était pas plus juste, pour une partie des électeurs, que celle qui avait été adoptée, en 1992, par le gouvernement de son prédécesseur Rachid Solh. Et les gouvernements successifs qu’il a dirigés ne comptaient pas dans leurs rangs des représentants des «partis chrétiens», alors que des ministres appartenant à d’autres formations, comme le mouvement Amal, le PSNS, le parti Baas, le PSP, y siégaient. Qu’il soit dit en passant que la présence de ministres Kataëb, PNL ou Bloc national n’aurait pas nécessairement changé grand-chose à la réalité politique. Et le confessionnalisme, ce fléau que M. Hariri veut combattre, est en fait sorti renforcé ces dernières années. Il s’est infiltré dans les moindres détails de notre vie : dans les contrats de la reconstruction, dans les écoles, les discussions de salon… Dans ce tableau sombre, il y a malgré tout une lueur d’espoir : M. Hariri croit fermement à la liberté absolue de vendre et d’acheter. Même s’il préfère se trouver le plus souvent dans la position de l’acheteur.
En publiant dans la presse un plaidoyer-fleuve traduit en trois langues, Rafic Hariri s’est livré à un de ces étalages de force qu’il affectionne. Il a montré à ceux qui en doutaient encore que même en dehors du pouvoir, son ambition reste dévorante, son influence considérable et sa capacité à faire des vagues appréciable. Il y a certainement du bon et du vrai dans la...