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Actualités - CHRONOLOGIE

BUDGET - Ouverture du débat à la Chambre Opposants et loyalistes hostiles à la nouvelle politique fiscale

Que le gouvernement de M. Sélim Hoss fasse la majorité autour de lui ne change rien au fait que ses prévisions budgétaires ont été accueillies avec beaucoup de scepticisme par les parlementaires réunis pour le débat budgétaire, qu’ils appartiennent à l’opposition ou qu’ils fassent partie du camp loyaliste. Ce débat, qui a commencé hier, place de l’Étoile, ressemblait étrangement – à quelques nuances près quand même – aux discussions qui se déroulaient sous la coupole du Parlement, du temps de l’ancien chef du gouvernement, M. Rafic Hariri. Les mêmes thèmes étaient repris par un camp loyaliste soucieux toutefois d’assurer à l’équipe de M. Hoss toutes les chances de succès et par une opposition apparemment déterminée à «malmener» le gouvernement et à démontrer que ses craintes étaient, dès le départ, fondées. Les deux camps ont vigoureusement contesté la nouvelle politique fiscale jugée, à la limite, inopportune. Il va sans dire que c’est l’opposition représentée par les membres des blocs parlementaires de MM. Rafic Hariri, présent à la Chambre, après une absence de huit mois, et Walid Joumblatt, qui a dominé les deux séances matinale et nocturne du premier jour du débat. Les critiques de l’opposition ont toutefois dépassé le cadre du débat budgétaire pour s’étendre à l’ensemble de la gestion du Cabinet Hoss, accusé par M. Mohsen Dalloul, de «court-circuiter» le rôle des institutions. MM. Dalloul, Marwan Hamadé et Nicolas Fattouche se sont tous trois arrêtés sur l’interprétation donnée dans divers milieux aux textes de la Constitution relatifs à l’immunité parlementaire et ont réclamé la convocation d’une séance parlementaire au cours de laquelle ces textes seront expliqués une fois pour toutes. La séance matinale a été consacrée essentiellement à la lecture du rapport de la commission parlementaire des Finances et du Budget et du rapport du ministère des Finances, mais les quelques interventions de parlementaires ont quand même permis de situer la position de chaque courant par rapport à la politique que le gouvernement se propose d’appliquer et de donner une idée sur les rapprochements tactiques entre députés. La présence d’un ancien pôle de l’opposition, M. Mohamed Abdel Hamid Beydoun (membre du bloc parlementaire du président de la Chambre, M. Nabih Berry) aux côtés de M. Rafic Hariri a d’ailleurs alimenté toutes sortes de présomptions. M. Hariri était incontestablement la vedette de la séance matinale. Depuis la formation du nouveau Cabinet, il n’a plus mis les pieds au Parlement, sauf pour s’entretenir de temps en temps avec M. Berry. Son arrivée à l’hémicycle, entouré des membres de son bloc parlementaire, ne manque pas de surprendre. Certains parlementaires n’hésitent pas à faire le lien entre la participation de M. Hariri au débat budgétaire et sa visite dimanche à Damas. Ils pensent que c’est sur le conseil des dirigeants syriens qu’il a pris part au débat, la Syrie s’étant employée ces derniers temps à œuvrer en vue d’un rapprochement entre les pôles de l’opposition et le nouveau régime. Dans l’hémicycle, les députés proches de M. Hariri se bousculent presque pour le saluer. Quant aux photographes, ils ne voient que lui. L’ancien président du Conseil prend place près des membres de son bloc. M. Mohamed Abdel Hamid Beydoun s’empresse de s’asseoir à ses côtés, suscitant ainsi diverses plaisanteries. Les députés sceptiques Une minute de silence est observée à la mémoire des anciens députés Chafic Wazzan et Antoine Khalil Maleh, puis M. Fayez Ghosn (Liban-Nord) donne lecture du rapport de la commission parlementaire des Finances et du Budget dont il est le rapporteur, avant de céder la place au ministre des Finances, M. Georges Corm, qui présente à son tour le rapport de son département. De 12h 30 à 15h, huit députés se succèdent à la tribune : MM. Robert Ghanem, Talal Merhebi, Ali el-Khalil, Mohsen Dalloul, Ibrahim Bayan, Wajih Baarini, Gebran Tok et Jacques Tchoukhadarian. Grosso modo, ils développeront des thèmes aussi divers que le développement des provinces, la loi électorale, l’éducation, l’environnement, la situation au Liban-Sud et la célèbre diatribe anti-Hariri attribuée par l’Ani à des sources ministérielles, en marge de leurs remarques sur le projet de budget. Des observations faites à ce sujet, il est possible de tirer deux idées principales: les députés ne croient pas vraiment aux prévisions budgétaires du gouvernement et ne pensent pas que l’Exécutif sera capable d’exécuter son plan de redressement à l’ombre de l’Administration actuelle. MM. Ghanem, Khalil, Merhebi, Dalloul et Tchoukhadarian insistent particulièrement sur ce point en se fondant notamment sur les chiffres des dépenses et des recettes pour le premier semestre de l’année, publiés récemment par le ministère des Finances. Tchoukhadarian : Un déficit de plus de 50 % «Les chiffres prévus pour le déficit sont loin d’être convaincants. Si les recettes du premier semestre se sont élevées à 2 126 milliards de livres, il est peu probable qu’elles soient supérieures à 4 100 milliards à la fin de l’année (les prévisions des recettes pour 1999 sont de 4 990 milliards de livres). Quant aux dépenses, elles dépasseront sûrement les 9 000 milliards (les dépenses prévues s’élèvent à 8 395 milliards de livres)», s’exclame M. Tchoukhadarian, membre du bloc Hariri, qui s’attend à ce que le déficit budgétaire dépasse les 50 %. Le député de Beyrouth se montre particulièrement sévère à l’égard du gouvernement. Bien qu’il ne fasse pas partie de l’opposition, M. Robert Ghanem développe la même idée, soulignant que les chiffres des recettes et des dépenses du premier semestre ne portent pas à croire que le gouvernement sera capable de réaliser ses prévisions. M. Merhebi pense pour sa part que si le gouvernement n’améliore pas la perception des impôts et ne met pas en œuvre des moyens susceptibles de barrer la route devant l’évasion fiscale, il ne sera pas en mesure de porter ses recettes à 4 990 milliards de livres. Quant à M. Dalloul, il accuse littéralement le gouvernement de «jongler avec les chiffres et de se servir des crédits reportés du budget de l’an dernier à l’exercice en cours pour taire la vérité sur la réalité du déficit budgétaire». Si ces parlementaires doutent de la capacité du gouvernement à porter ses recettes à 4 990 milliards de livres, c’est, estiment-ils, en raison de la politique fiscale et économique qu’il suit et qu’il développe dans le plan de redressement économique et financier étalé sur cinq ans. MM. Ghanem, Ali el-Khalil, Tchoukhadarian et Gebran Tok insistent tous sur le fait que le relèvement des taxes douanières, au moment où le pays souffre d’un important marasme économique, réduira les importations et, par voie de conséquence les rentrées du Trésor. «Nous vivons dans un pays où il est difficile de contrôler les frontières pour empêcher la contrebande. Les taxes douanières perçues au cours des quatre premiers mois de l’année ont entraîné une hausse de 11% des recettes de l’État par rapport à la période correspondante de l’an dernier, en dépit d’une réduction du chiffre des importations. Mais depuis mai dernier, on constate une réduction des fonds collectés par rapport à la période correspondante l’an dernier», note M. Ghanem dont le point de vue est partagé par MM. Tchoukhadarian et Tok. Le député de la Békaa-Ouest exprime des réserves au sujet de la politique fiscale du gouvernement à qui il reproche de ne pas imposer les bons du Trésor. Il constate également que le service de la dette – qui atteindra cette année 4 000 milliards de LL – engloutira «la quasi-totalité» des recettes de l’État (4 900 milliards de LL). M. Ghanem formule également des remarques sur les plans de redressement économique du gouvernement, jugeant inadmissible, à l’instar de M. Tok, qu’un secteur, tel que l’agriculture, soit privé de fonds au profit d’un autre secteur. Selon lui, un plan de redressement, aussi bon soit-il, ne peut atteindre les objectifs pour lesquels il a été fixé, en l’absence d’un appareil administratif spécialisé et compétent, apte à l’exécuter. MM. Khalil, Merhébi et Tchoukhadarian reprendront plus tard la même idée, mais MM. Khalil et Mohsen Dalloul iront plus loin, en estimant que le taux de croissance ne dépassera pas les 1,5 % alors que le gouvernement espère une croissance de 2,5 %. En commentant les prévisions budgétaires, M. Khalil relève un point fondamental : l’absence de statistiques économiques précises et fiables. «Est-il possible qu’on réunisse 1 500 milliards de livres par an grâce à la privatisation ou 200 milliards de livres par an grâce au domaine maritime ? S’attend-on réellement à ce que l’amélioration des rentrées de la Régie à la suite de la surtaxe de 500 livres imposées sur chaque paquet de cigarettes entraîne des recettes supplémentaires de 300 milliards de livres par an ? Ne pense-t-on pas que cette surtaxe contribuera à réduire les dépenses en raison du développement de la contrebande ?», s’exclame-t-il. Le gouvernement a opté pour la paralysie Premier à prendre la parole lors de la séance nocturne, M. Marwan Hamadé se livre à un sévère réquisitoire contre la politique du gouvernement. «Nous sommes les victimes des expériences gouvernementales, dit-il. Entre le débat d’investiture et le débat budgétaire, les événements n’ont pas démenti nos appréhensions et nos prévisions. Notre peuple n’a jamais vécu des moments aussi durs pour son moral». M. Hamadé affirme que le bloc parlementaire de la Lutte nationale dont il fait partie «n’est pas convaincu de la philosophie sur laquelle repose le projet de budget et qui va transporter le pays de la crise vers la catastrophe. Une catastrophe qui aura des répercussions sur les opportunités d’emploi, sur les revenus des citoyens et sur leurs épargnes». Le député du Chouf évoque «le flou politique qui a torpillé les promesses de transparence, gâché les plans de redressement administratif et fait fuir les investissements». Il accuse certains membres du gouvernement d’avoir contribué à assombrir le climat en faisant courir des bruits sur la disparition du rôle social et économique du Liban dans la région. «Au lieu d’affronter les défis avec courage, dit-il, le gouvernement a opté pour la politique de l’effacement, de l’isolement et de la récession. Au lieu de se lancer dans une politique de reconstruction rationalisée, il a choisi la paralysie». Selon lui, tous les secteurs ont enregistré un net recul «en raison des options du gouvernement» : la balance des paiements est déficitaire, les investissements sont en baisse, le bâtiment est en stagnation, le mouvement des marchandises a diminué entraînant une baisse des recettes douanières. Même le mouvement des voyageurs est affecté. M. Hamadé estime que l’amélioration de la balance commerciale «constitue une preuve supplémentaire de la baisse du pouvoir d’achat des citoyens». L’ancien ministre de la Santé affirme que les choix économiques et financiers du gouvernement n’aboutiront pas à la réduction du déficit et à l’arrêt de la croissance de la dette publique. Du paradis fiscal à l’enfer fiscal Les prévisions de M. Hamadé sont pessimistes. Selon lui, le déficit budgétaire va dépasser 50 %, tandis que le gouvernement parle de 40,2 %. Les services dans le domaine du social, de la santé et de l’éducation vont enregistrer un recul, alors que la réhabilitation de l’infrastructure va s’arrêter complètement. M. Hamadé propose ensuite une refonte en profondeur de la politique fiscale du gouvernement et réclame l’abolition du projet de budget des articles 32 (la hausse des impôts sur les salaires), 33 (relèvement du taux de la fiscalité sur les salaires forfaitaires), 35 (la taxe professionnelle), 38 (les taxes sur les surfaces bâties), 42 (droit de succession). Une analyse équilibrée «Pourquoi, qui et comment a-t-on décidé de transformer le Liban de paradis fiscal en enfer fiscal ? D’arrêter des choix économiques majeurs sans en référer aux instances concernées?, s’interroge par ailleurs M. Hamadé. Comment se fait-il que des services de sécurité, chargés depuis Taëf de s’occuper seulement de questions militaires, soient aujourd’hui impliqués dans la vie administrative, culturelle, bancaire et économique et mènent des investigations auprès des journaux, des maisons d’édition et des sociétés de distribution de publications ?». M. Nassib Lahoud se veut équilibré dans son intervention. Tout en reconnaissant des points positifs à l’actif du gouvernement, il se livre à une critique méthodique des options politiques, financières et économiques de l’équipe ministérielle. Selon lui, le projet de budget ouvre la voie à une réforme fiscale globale «qui est une nécessité absolue». «Renforcer le rôle des impôts directs, notamment l’impôt sur le revenu et sur les tranches supérieures des salaires, et la décision de remplacer les taxes douanières par la TVA constituent deux pas importants sur la bonne voie», dit-il. «Cependant, ces mesures ont été accompagnées par une hausse immédiate des taxes douanières qui se répercute sur les classes populaires», souligne M. Lahoud. Autre point positif, «la tentative du gouvernement de traiter le projet de budget à travers une vision globale visant à analyser les raisons de la crise financière et de l’accroissement de la dette et à proposer des idées pour sortir du tunnel conformément à un calendrier s’étalant sur cinq ans». M. Lahoud relève cependant plusieurs points négatifs. L’adoption, par exemple, de mesures fiscales difficiles à appliquer et qui auraient des répercussions négatives sur le domaine social. Parmi ces mesures, figure la taxe professionnelle qui touche les PME, les artisans et les professions libérales. Le député du Metn souligne en outre que le projet de budget revoit à la baisse les recettes des infractions sur les biens publics, mais gonfle les recettes des privatisations estimées à 5 milliards de dollars. La dette extérieure M. Lahoud qualifie de «politique fiscale extrémiste» la proposition d’imposer des taxes sur les profits réalisés à l’étranger. «Aucune politique extrémiste ne peut réussir au Liban, dit-il. Nous refusons cette décision irrationnelle, de même que nous refusons l’extrémisme allant dans le sens contraire et voulant faire du Liban un paradis fiscal». Selon lui, la décision de convertir une partie de la dette interne en dette externe constitue un des points les plus dangereux de la politique de redressement financier du gouvernement. «La première année, la dette externe doit passer de 4 milliards de dollars (soit 22 % du total de la dette) à 8 milliards (35 % de la dette), précise-t-il. À la cinquième et dernière année, la dette externe sera passée à 10 milliards de dollars (42 % de la dette). L’argument selon lequel les intérêts sur les devises étrangères sont inférieurs aux intérêts sur la livre est peut-être vrai. Mais comme nous l’avions dit aux gouvernements précédents, une bonne gestion de la dette publique passe par le fait d’investir les fonds empruntés dans les projets de réhabilitation de l’infrastructure et dans les secteurs productifs et non pas dans les dépenses courantes. Une bonne gestion de la dette oblige aussi une politique d’emprunt à long terme dépassant les sept années, et non pas à court terme comme le projette de le faire le gouvernement». Pour ramener la dette publique à 96 % du PIB dans cinq ans comme le souhaite le gouvernement, il faut donc réaliser une bonne croissance économique. Une augmentation des investissements est susceptible de le faire. Mais M. Lahoud pense que les facteurs, politiques, sociaux et économiques, nécessaires pour encourager les investissements, ne sont pas réunis. Il évoque notamment la nécessité de concrétiser l’indépendance de la justice, de renforcer et de préserver les libertés publiques, de préserver le pluralisme de la presse et d’élaborer une loi électorale juste et équitable. M. Sami el-Khatib se veut plus modéré dans son intervention même s’il évoque les «faiblesses» du projet de budget au niveau du développement équilibré. Il réclame aussi la formation du Conseil économique et social. M. Abdo Bejjani s’applique à prouver que les recettes et les chiffres mentionnés dans le projet de budget sont loin de la réalité et ne pourront pas être respectés. Il conclut en affirmant que le projet du gouvernement «n’est pas sérieux et les prévisions sont fictives». M. Abdel Rahim Mrad met l’accent sur la nécessité de parvenir à un développement équilibré. Après M. Mrad, prennent la parole MM. Marwan Farès, Nicolas Fattouche, Khaled Daher et Salah Haraké. La suite des débats est renvoyée à ce matin.
Que le gouvernement de M. Sélim Hoss fasse la majorité autour de lui ne change rien au fait que ses prévisions budgétaires ont été accueillies avec beaucoup de scepticisme par les parlementaires réunis pour le débat budgétaire, qu’ils appartiennent à l’opposition ou qu’ils fassent partie du camp loyaliste. Ce débat, qui a commencé hier, place de l’Étoile,...