Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

ART - Galerie , mode d'emploi (2) Épreuve d'artiste : sur le front de l'art

Avant-guerre, les galeries d’art au Liban avaient, comme bien d’autres institutions, suivi une courbe ascendante. Le début des années 70 a vu l’émergence d’un marché à part entière, dans un Beyrouth prospère vers lequel convergeaient de nombreux talents. Depuis, trente ans ont passé et le panorama artistique s’est considérablement transformé. Certaines galeries ont disparu, d’autres ont survécu ou ont vu le jour. Comment ont-elles évolué, quelles sont leurs préférences, leurs espoirs, leurs déceptions ? Leurs luttes aussi. Un dossier actif qui mérite qu’on s’y arrête (*). Aussi aberrant que cela puisse paraître, la vie artistique a continué d’exister au plus fort de la guerre. L’histoire de la galerie Épreuve d’artiste et, à travers elle, celle d’Amal Traboulsi, sa propriétaire, en est le très vivant témoignage. «En 1979, les événements incitaient beaucoup de personnes de valeur à fuir, dont Martin Geisen, mon professeur d’histoire de l’art, d’origine allemande. Nous avons alors ouvert ensemble la galerie : nous avions en commun la passion de l’art graphique, et une galerie qui vendrait ce genre d’œuvres était la seule raison qui poussait mon associé à rester». Épreuve d’artiste inaugure ses locaux à la rue Clemenceau, à deux pas de l’ambassade de France. «Ouvrir une galerie à cette époque, c’était ma façon à moi de refuser la guerre, de refuser de quitter mon pays». En matière picturale, les choix des deux galeristes ont très rapidement suivi les goûts du public : «L’art graphique international, que nous avions introduit au Liban, n’a pas plu très longtemps : les acheteurs ont jugé ces œuvres trop froides pour les drames qu’ils vivaient au quotidien. Et dès 1981, nous avons présenté les peintres libanais qui savaient toujours rester très proches de l’émotion». Ces artistes locaux, Amal Traboulsi les a toujours soutenus, selon sa propre conviction : «Une galerie ouverte en temps de crise encourage les artistes prostrés à continuer d’exprimer leurs sentiments à travers leurs œuvres». La guerre, qui hante la génération d’aujourd’hui, transparaît de façon totalement différente chez le peintre adulte : «Celui-ci vit dans ses souvenirs; les événements y transparaissent à peine. D’une manière générale, les couleurs de leurs tableaux sont vives et les contrastes violents». Douloureuses «épreuves d’artistes», ténacité d’une galeriste qu’aucun danger n’arrête. De 1982 à 1984, lorsque la guerre atteint son paroxysme, Amal Traboulsi ferme définitivement sa galerie et Martin Geisen est rapatrié. En attendant des jours meilleurs, elle expose dans son appartement d’Achrafieh des tableaux, envers et contre tout, et inaugure l’exposition annuelle baptisée Quand les artistes s’amusent.... «En rendant visite à mes amis dans leurs ateliers, je découvrais toujours dans un coin de la pièce un objet usuel transformé en véritable petite œuvre d’art... l’artiste me répondait toujours : «Je m’amusais»!». 1984 : à la faveur d’une amélioration de la situation, Amal Traboulsi fait aussitôt renaître Épreuve d’artiste à Kaslik. «C’est triste à dire, mais la vie artistique était à cette époque tellement plus passionnée qu’aujourd’hui. À la moindre accalmie, les vernissages étaient pour les gens une occasion unique de se retrouver. Leur assiduité et leur enthousiasme étaient tout à fait représentatifs de ce fol espoir qui ne nous quittait jamais tout à fait : la guerre allait bientôt finir...». Un certain compromis Si la galeriste dit aimer par-dessus tout «découvrir un artiste et le suivre dans son évolution», elle se fait un point d’honneur de faire découvrir l’art libanais à l’étranger. C’est ainsi qu’en 1992, à Paris, elle participe à l’Institut du monde arabe à l’élaboration d’une exposition d’envergure, Liban : le regard des peintres – 200 ans de peinture. «À cette période, Myrna Boustany avait formé à Londres une association et avait exposé au Barbican Center des œuvres principalement issues de collections privées, qu’elle avait choisies avec deux historiens anglais. La situation au Liban était alarmante au point que ces tableaux ne pouvaient pas regagner le territoire. À Paris, un groupe de Libanais avait également fondé une association au sein de laquelle j’étais responsable du comité technique, aux côtés de Nicole Asseily. Les tableaux ont quitté Londres pour être exposés sur deux niveaux à l’Ima, pendant un mois, sous le patronage de Danielle Mitterrand. L’histoire de la peinture libanaise y figurait depuis les premières représentations d’églises jusqu’aux travaux de Mohammed Rawas». Aujourd’hui, la galerie Épreuve d’artiste est installée rue Sursock, et sa propriétaire subit elle aussi le contrecoup de la lourde apathie économique : «Je vis comme une véritable frustration cet écroulement inexorable du marché, alors que pendant près de vingt ans, ma galerie a été reconnue pour sa ténacité et pour la qualité des artistes exposés». La qualité seule ne fait pas, contrairement à ce qu’on pourrait dire ou penser, vivre une galerie : «La qualité première du galeriste est d’adapter le choix des œuvres à un public restreint et exigeant et qui de, surcroît, s’ennuie. Ce qui n’est pas facile : diversifier est donc une priorité». Amal Traboulsi analyse la conjoncture avec lucidité : «Actuellement, une galerie ne peut subsister qu’en faisant certains compromis». Quant au prétendu rôle culturel que pourrait tenir une galerie, au vu du manque total d’initiatives gouvernementales, Mme Traboulsi s’en défend énergiquement : «C’est une trop lourde responsabilité. Nous parlons ici d’une galerie marchande, qui n’est finalement qu’un simple miroir de la réalité artistique d’un pays, avec tous les risques que cela comporte». Malgré un bilan somme toute plutôt pessimiste («Il y a au Liban d’excellents artistes qu’on ferait mieux de faire connaître à l’étranger pour leur donner plus de chances»), la galeriste s’accorde une fierté : «Je suis particulièrement heureuse d’avoir découvert des talents prometteurs qui ont, depuis, été confirmés par le Salon d’automne du Musée Sursock...» (*) Voir L’Orient-Le Jour du 29/05/99.
Avant-guerre, les galeries d’art au Liban avaient, comme bien d’autres institutions, suivi une courbe ascendante. Le début des années 70 a vu l’émergence d’un marché à part entière, dans un Beyrouth prospère vers lequel convergeaient de nombreux talents. Depuis, trente ans ont passé et le panorama artistique s’est considérablement transformé. Certaines galeries ont disparu,...