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Actualités - REPORTAGES

Procès Karamé - Les inculpés prendront la parole à la dernière audience On veut la tête de Geagea, non trouver les vrais assassins

«Plaidez maître». L’ancien bâtonnier Issam Karam attendait que le président de la Cour de justice Mounir Honein lui lance cette phrase, comme le faisait le président Revor en France aux avocats qui lisaient leurs conclusions, pour entamer son long exposé. Le geste ample et la voix puissante, il parle pendant plus de six heures, alliant l’aisance de la parole à une connaissance parfaite du dossier, doublée d’une grande culture. Me Karam clôture ainsi les plaidoiries de la défense de Samir Geagea. À la prochaine audience qui sera la dernière de ce procès, les inculpés prendront eux-mêmes la parole, dans une ultime tentative de convaincre la cour de leur innocence. Il leur faudra ensuite attendre le jugement, dans l’angoisse et l’espoir, avant soit de retrouver une triste cellule noire soit rechercher l’oubli dans une liberté tellement rêvée qu’elle en sera presque irréelle. Avec l’approche de la fin de ce procès, l’atmosphère dans la salle du tribunal devient plus légère. C’est vrai que les rangs de la partie civile continuent à être déserts, ce que ne manque pas de relever Me Karam dans sa plaidoirie, mais même chez les proches des inculpés, il y a un petit air de gaieté. À moins qu’il ne s’agisse du soulagement de voir la fin du calvaire des audiences avec le spectacle des accusés exhibés dans un box. Karam s’insurge d’ailleurs contre cette appellation et demande au procureur Adnane Addoum de la modifier. Ce que ce dernier accepte volontiers. Comme ses collègues de la défense, Me Karam ne ménage pas le procureur, essayant de détruire les arguments de son réquisitoire et entre les deux parties, la polémique toujours courtoise ne prendra probablement fin qu’avec le jugement de la cour. Addoum note soigneusement ce qu’on lui reproche et prépare déjà une brève réponse qu’il prononcera au cours de la prochaine audience. Mais souffrant encore de son lumbago, il quitte la salle à la pause, laissant Mme Rabiha Ammache devenir la cible des attaques de Me Karam. Me Edmond Naïm avait axé sa plaidoirie juridique sur la notion de crime de guerre, couvert par la loi d’amnistie, et Me Pakradouni avait surtout retenu la thèse de l’infiltration des Forces libanaises. Me Karam cherche, lui, à démontrer que l’acte d’accusation est monté de toutes pièces et comporte une série d’erreurs, de lacunes et de contre-vérités. C’est dire que les trois avocats de Geagea ne sont pas d’accord sur l’interprétation des faits, mais comme le dit Me Karam, il s’agit de divergences, non de conflits. Et, en somme, le but est le même : montrer l’innocence de leur client. Geagea écoute attentivement, comme il le fait toujours, tout en trouvant le temps d’échanger des sourires et des baisers avec son épouse. Hier, il parvient même, grâce au langage universel des yeux, à lui demander de s’en aller, pour se reposer, mais elle préfère rester encore un peu, heureuse de le voir, même de loin, même entouré de soldats. Karam relève qu’il défend depuis cinq ans le chef des FL dissoutes. Il a vu ainsi défiler magistrats, avocats et inculpés, «mais seul Geagea est toujours là», à la même place, comme si désormais son image est devenue indissociable du box des accusés. Lorsqu’il dit cela, la salle devient songeuse. En cinq ans, il y a eu des morts, des naissances, des guerres, des alliances, des modifications profondes et des révolutions technologiques et Geagea est encore là, sur son banc de bois, errant d’un dossier à l’autre, incapable de sortir du passé alors que l’avenir est en train de passer en coup de vent. L’acte d’accusation, un puzzle Me Karam parle et parle encore, improvisant le plus souvent et lançant des plaisanteries lorsqu’il sent l’intérêt de l’assistance faiblir. Il se perd parfois dans des digressions interminables, sans plan clair et la salle a du mal à le suivre. Il parle de tout, comme on le fait dans une conversation à bâtons rompus, mais chaque incident évoqué, chaque exemple cité a une signification profonde. Avec une mémoire étonnante, il se réfère en permanence aux dix mille pages du dossier, sans se tromper d’une date ou d’un nom. Il avait d’ailleurs à plusieurs reprises rectifié les erreurs de Me Naïm, beaucoup moins au fait des détails de l’enquête. Me Karam va même jusqu’à évoquer certains témoignages recueillis dans les procès Chamoun ou Murr, avant de se lancer dans une véritable étude sur la différence entre les faux témoignages et les témoignages mensongers. Selon lui, la plupart des témoins à charge, notamment José Bakhos, Robert Abi Saab et Amale Abboud doivent ainsi être poursuivis pour faux témoignage. Avec une patience de fourmi et une précision d’horloger, il reprend tous les faits rassemblés dans l’acte d’accusation pour tenter de montrer qu’ils ont été montés comme on compose un puzzle. «Car, dit-il, dans ce procès, l’enquête a été menée pour être conforme à l’acte d’accusation et non le contraire». Tous les éléments qui ont constitué le cauchemar de la cour et de l’assistance pendant la cinquantaine d’audiences de ce procès sont ainsi évoqués de nouveau, au risque de lasser les personnes présentes. Mais Me Karam ne se préoccupe pas des états d’âme des autres. Ce qu’il a à dire, il le dira coûte que coûte. Après avoir reconnu n’avoir rien compris aux questions techniques qui ont longtemps occupé la cour, Me Karam se lance dans une leçon d’histoire, reprenant ainsi la théorie de Me Edmond Naïm, selon laquelle le Liban est un pays divisé. «Cessons de nous mentir les uns aux autres, dit-il. Il y a toujours eu au Liban deux courants, les musulmans voulant la Syrie et les chrétiens la rejetant et lorsque Samir Geagea a accusé Abdel Hamid Karamé de vouloir l’unité avec la Syrie, cela ne signifie pas qu’il voulait tuer son fils Rachid, mais simplement qu’il connaît l’histoire de son pays». Me Bassam Dayé de la partie civile ronge son frein. Fervent défenseur de l’unité et de la coexistence, ce genre de théorie le met hors de lui. «Je vais devoir répondre», dit-il, en se doutant toutefois que son temps de parole sera probablement très court au cours de la prochaine audience. Me Karam conclut ensuite : «Non, messieurs. Il ne s’agit pas de l’histoire d’un bateau et d’un hélicoptère avec une charge explosive et une radio-commande. Si c’était aussi simple, le dossier n’aurait pas regroupé dix mille pages. La vérité, c’est qu’il n’a jamais été question de rechercher les assassins de Rachid Karamé, le seul but étant de s’en prendre à Samir Geagea». Geagea, cette énigme, sanguinaire avide de pouvoir pour le parquet et la partie civile et victime de la guerre et de la paix selon ses avocats. Geagea si inoffensif dans le box des accusés que l’on en oublie qu’un jour, il avait eu un pouvoir immense sur de nombreux Libanais. Geagea qui devient à la faveur de ces procès, le dernier symbole de la guerre, alors que pour beaucoup de Libanais, elle se poursuit sous une autre forme. Geagea qui parlera au cours de la prochaine audience pour la dernière fois avant longtemps, puisqu’il est déjà condamné à la détention à perpétuité pour l’assassinat de Dany Chamoun et la double tentative d’assassinat de Michel Murr.
«Plaidez maître». L’ancien bâtonnier Issam Karam attendait que le président de la Cour de justice Mounir Honein lui lance cette phrase, comme le faisait le président Revor en France aux avocats qui lisaient leurs conclusions, pour entamer son long exposé. Le geste ample et la voix puissante, il parle pendant plus de six heures, alliant l’aisance de la parole à une...