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Actualités - OPINION

Mourir pour Pristina

«Je suis profondément inquiet par le fait que les bombardements de l’Otan ont octroyé à ce dictateur (Slobodan Milosevic) un contrat à vie, resserré autour de son régime les rangs du peuple et fait de lui un roi, sinon un empereur». Celui qui s’exprime ainsi, le prince héritier Alexandre de Yougoslavie, connaît bien son pays et ses hommes. Se peut-il qu’au Pentagone, dans les chancelleries d’Europe, au siège bruxellois de l’Otan, il ne se soit trouvé personne pour prévoir pareilles conséquences ? Il est permis d’en douter. Tout comme l’on est en droit de s’interroger sur les leçons tirées par les nouveaux gendarmes de notre monde de précédentes opérations, en Afrique ou ailleurs, qui ont débouché sur des débâcles politico-humanitaires. Sans parler de ce Fidel Castro qui a survécu à huit présidents américains, et de Saddam Hussein qui continue de narguer Clinton, après Bush et en attendant, en l’an 2000, Gore. Écoutons un juge d’Operation Determined Force : «Au fond, tout cela est une victoire interne de l’Alliance atlantique qui n’a pas grand-chose à voir avec le Kosovo ; disons que nous le faisons par frustration». Osera-t-on l’aveu, un jour, dans les grandes capitales où l’on fait volontiers profession d’une générosité planétaire parfois dangereuse ? La vérité est que, depuis l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand (par un étudiant bosniaque, ce que beaucoup semblent avoir oublié…), nul n’a jamais prétendu comprendre quelque chose à ce fameux casse-tête balkanique, encore moins feint de lui trouver ne fût-ce qu’un semblant de solution. Ce qui ne rend que plus hasardeuse l’issue de l’expédition militaire en cours, plus impardonnable aussi la légèreté avec laquelle on s’y est engagé, même si tout cela aura été précédé d’un intense manège diplomatico-politique couronné par une conférence de Rambouillet qui s’est clôturée sur un piteux constat d’échec. Il y a deux semaines encore, on parlait d’une action nécessaire «pour éviter un débordement de la crise» issue d’une volonté serbe délibérée de parachever le nettoyage ethnique commencé des mois, sinon des années, auparavant au Kosovo. Aujourd’hui, les frappes aériennes n’ont eu d’autre effet que d’accentuer la misère et d’accélérer le mouvement d’exode. La crainte d’un embrasement paralyse la région tout entière et la tache d’huile bouillante menace désormais trois pays voisins : le Monténégro, la Macédoine, l’Albanie, auxquels s’ajouteront demain la Bulgarie et la Croatie. Tenter de contenir les ambitions territoriales serbes aurait nécessité, par simple souci de légitimité internationale, un aval onusien que les Alliés n’ont pas cru nécessaire (ou possible) d’obtenir un apport américain autrement plus symbolique que sous forme d’avions « furtifs» ; enfin un suivi terrestre dont nul pour l’heure ne veut. Tonner contre le dictateur en brandissant les grands principes – valables ici mais pas ailleurs… –, faire donner pour forcer la décision un arsenal aussi sophistiqué que «sûr» s’agissant des risques de pertes en vies humaines est une chose ; autre chose serait d’engager quelque 100 000 fantassins, avec la quasi-certitude d’en perdre une moyenne de 8 000. Vue du Proche-Orient, l’affaire ne peut que susciter ressentiment et amertume – l’ère des grandes colères étant révolue sans pour autant céder la place à la résignation. Quoi, Israël serait-il moins criminel que le grand méchant loup serbe et la Turquie est-elle dans son droit en cherchant à mettre au pas les irrédentistes kurdes, jusque dans leur réduit irakien ? «Nous sommes grands et donc nous voyons plus loin que les autres nations», disait il y a peu Madeleine Albright. Pas plus loin, semble-t-il, que l’allumette des Balkans dans une partie du monde, l’Histoire l’a constamment prouvé, où il suffirait de bien peu pour provoquer l’embrasement.
«Je suis profondément inquiet par le fait que les bombardements de l’Otan ont octroyé à ce dictateur (Slobodan Milosevic) un contrat à vie, resserré autour de son régime les rangs du peuple et fait de lui un roi, sinon un empereur». Celui qui s’exprime ainsi, le prince héritier Alexandre de Yougoslavie, connaît bien son pays et ses hommes. Se peut-il qu’au Pentagone,...