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Actualités - REPORTAGES

Bait al-Inaia, un resto de coeur au coeur de la rue des restos (photos)

Salut moukhtar ! À vos ordres moukhtar ! Dieu vous garde moukhtar ! La scène se passe dans le parking des restaurants de la rue Monot (qui doit en compter bout à bout une quinzaine). Le «moukhtar» a 36 ans, il s’appelle Michel Nasr et il est né dans cette rue devenue dès 1975 une ligne de front. Il a grandi derrière les sacs de sable, Gavroche de chez nous, portant fusil à 12 ans pour la frime et courant pour de vrai sous la mitraille pour faire de petites commissions aux habitants du quartier. Naturellement, quand il s’est présenté aux élections du moukhtarat de Rmeil, à la suite de son grand-père qui a longtemps occupé cette fonction, il a été porté par les voix de ceux qui l’ont vu grandir. Et naturellement, cette rue qui fut celle de tous les dangers par son emplacement stratégique est devenue l’une des plus animées du Beyrouth d’après-guerre pour la même raison. L’enfant de la barricade est ainsi devenu le moukhtar du quartier chic. Pour avoir vécu au cœur de la mêlée, Michel Nasr refuse d’emblée la caricature du moukhtar sclérosé apposant des cachets administratifs entre deux parties de jacquet. Il n’a pas de budget, la municipalité de Beyrouth encore moins et la machine administrative est vécue comme un parcours semé d’embûches et menant systématiquement à une impasse. Pour agir, il ne peut compter que sur la solidarité de la société civile dont il est le représentant. De par sa position, il est le principal recours des plus humbles : ceux qui n’osent pas aller jusqu’au député, ceux qui ne savent même pas où commencer pour s’en sortir. La première urgence était alors de les nourrir («pour la mémoire», aurait dit Georges Schehadé). Les restaurants de la rue sont tous les «potes» de Michel Nasr. Il va donc acheter deux marmites, une louche et un certain nombre de boîtes en plastique. Chaque restaurant aura son «jour de marmite». Attention, il ne s’agit ni de restes ni de surplus. Rien de sophistiqué non plus, mais des plats «maison», de bons vieux ragoûts, des pot-au-feu, des sauces pas trop grasses ni trop salées pour répondre aux besoins d’une clientèle en majorité âgée. 12h30, les habitués commencent à se manifester. Ils apportent les boîtes fournies par le moukhtar. Dans la petite cafétéria prêtée par un bienfaiteur, les marmites mijotent déjà, transportées de chez le livreur du jour par «Ali» – retenez bien ce nom et faites-le connaître, dit le moukhtar. C’est le concierge de l’immeuble. Il est la bonté même. Ce jour-là, c’était spaghetti à la bolognese. Ils seront une quinzaine à tendre leurs boîtes au moukhtar. Les uns en ramèneront aussi pour leur vieille mère cardiaque, d’autres à leurs neveux, à leurs enfants, à un frère malade... Le plus souvent ce sont des vieux qui ont à leur charge plus vieux qu’eux. Il faut compter qu’une distribution dessert en moyenne une quarantaine de personnes. Le lendemain, les boîtes reviennent lavées et le rituel se répète jusqu’à la fin de la semaine, avec relâche le dimanche et donc double ration le samedi. Le local est exigu. Ne s’y attardent que ceux qui n’ont pas un toit, qui viennent de loin ou que personne n’attend. Ils font un brin de causette avec le moukhtar qui est un peu leur fils. D’ailleurs c’est ainsi qu’il se présente. «Dites bien à vos lecteurs, recommande-t-il, qu’il suffit de deux marmites et d’un peu de bonne volonté pour soulager pas mal de misère. Ne se trouverait-il pas 365 foyers dans chaque quartier ? Si chaque mère de famille remplissait ces marmites une fois par an, cela permettrait de nourrir beaucoup de monde à très peu de frais». Quand vous irez garer votre voiture au parking de la rue Monot vous remarquerez sûrement cette pancarte : «Bait al-Inaia, un repas gratuit tous les jours pour tout nécessiteux». Et quand on vous aura servi votre pizza ou votre grillade, vous saurez qu’en même temps votre restaurant préféré nourrit discrètement de moins privilégiés avec votre tacite participation.
Salut moukhtar ! À vos ordres moukhtar ! Dieu vous garde moukhtar ! La scène se passe dans le parking des restaurants de la rue Monot (qui doit en compter bout à bout une quinzaine). Le «moukhtar» a 36 ans, il s’appelle Michel Nasr et il est né dans cette rue devenue dès 1975 une ligne de front. Il a grandi derrière les sacs de sable, Gavroche de chez nous, portant fusil à 12 ans pour...