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Actualités - REPORTAGES

Société - Près de la moitié des curés maronites sont mariés Une vie partagée entre famille et sacerdoce (photos)

Edmond, 16 ans, veut devenir prêtre. Edmond, 21 ans, tombe amoureux de Lina. Il l’épouse après l’avoir informée de sa vocation. Aujourd’hui, Edmond rame, comme on dit, entre un ministère accaparant et les enjeux de la vie de famille. Ordonné prêtre en 1994, Edmond N. (maronite) est père de quatre enfants. Il exerce son ministère, depuis deux ans, dans un village qui surplombe Jounieh. Il loge avec sa famille dans un bâtiment accolé à l’église de la paroisse. L’appartement, propriété du wakf, est confortable sans être luxueux. Il est arrangé de telle sorte que les pièces où le curé reçoit les paroissiens, ainsi que le bureau et le salon, peuvent être isolés sans trop gêner la vie familiale. L’entrée et le salon sont ornés d’icônes : «Notre maison est presque un sanctuaire. Le silence est roi, et la prière occupe la première place», indique Lina. Père Edmond est très pris par son sacerdoce. Son épouse le seconde discrètement : elle lui tient lieu de secrétaire, accueille les paroissiens, note les appels téléphoniques. Avec le sacristain, elle veille à la propreté de l’église comme du linge d’autel, à l’entretien des plantes ou des fleurs et participe à la chorale et à la catéchèse. Avec son mari, elle visite quelquefois les malades et les personnes âgées. Le couple évoque ses problèmes financiers. P. Edmond reçoit un salaire mensuel de 200 dollars du comité chargé de la gestion des wakfs de la paroisse. Somme qui varie selon les diocèses entre 200 et 260 dollars. Et qui est évidemment insuffisante pour subvenir aux besoins d’une famille de six personnes. Thérèse, la fille aînée de père Edmond, a 13 ans. Elle est douée pour la musique. Le curé, qui a un faible pour le piano, s’est senti obligé de lui acheter l’instrument et de lui assurer un instituteur deux fois par semaine. Chaque séance coûte 20 dollars. Ce qui fait 160 dollars par mois. Charbel, 10 ans, n’est intéressé que par le basket-ball. À l’école, le professeur de sport l’aide pour qu’il acquière toutes les techniques de ce jeu. «Cela évite un abonnement mensuel dans un club sportif», indique le père Edmond. Rebecca et Élie, 7 et 5 ans, sont très amis. Leur passe-temps préféré, c’est le coloriage et les vidéocassettes relatant la vie de saints. En été, Marcellino pane e vino est vu et revu, deux ou trois fois, pendant la même journée. En hiver, «ils terminent leurs devoirs et se mettent à dessiner et à colorier», raconte Lina en souriant. Le religieux doit se trouver des ressources supplémentaires. Il enseigne, à raison de 20 heures par semaine, le français et le catéchisme, dans une école voisine. Qui accepte, gratis pro Deo, de scolariser les quatre enfants. Il donnait en outre des leçons particulières. Mais il a dû y renoncer, faute de temps. Il doit, en effet, assurer les célébrations quotidiennes de la messe, la préparation des enfants de la paroisse à la Première communion, les visites des malades, des vieillards... En fait, le prêtre est considéré, même dans les villes, comme la personne donnant les meilleurs conseils et qui a le plus d’influence car il est détenteur d’un pouvoir divin. Chaque famille le tient au courant de tous ses problèmes. Le produit de la quête de messe, les donations pour mariages ou baptêmes lui sont parfois, pas toujours, dévolus. La «khourriyeh» (madame le révérend) s’occupe du foyer : «Il faut gérer le budget avec beaucoup de précaution sinon on ne pourrait jamais s’en sortir. Mais Dieu est à nos côtés. Edmond se donne de tout cœur à ses paroissiens. Nous recueillons le fruit spirituel et matériel». La «khourriyeh» ne se plaint pas beaucoup de l’emploi de temps trop chargé de son mari. «Dès le début, je savais que je ne rivaliserais pas avec Dieu. Son ministère passe en premier, surtout que les paroisses ont besoin d’assistance spirituelle, notamment chez les jeunes dont Edmond s’occupe particulièrement». Toutes les «khourriyeh» ne pensent pas comme Lina. Nada, épouse d’Abouna Ghnatios, ne voulait pas que son mari «prît ce chemin». À l’en croire, elle avait bien raison car, finalement, elle a «dû élever les enfants toute seule, mon mari étant toujours absent». «Il a toujours le temps pour les autres, jamais pour sa propre famille», dit-elle d’une voix résignée. Le fait est qu’un prêtre marié est fréquemment absent de la maison, et que pour boucler les fins de mois, il est obligé d’enseigner. Pratiquement, aucun diocèse ne pense aux besoins matériels d’un prêtre en charge de famille. Budgétairement, le cas n’est pas prévu. Mais malgré toutes les difficultés, le pourcentage de curés mariés au sein du clergé maronite est relativement élevé. En 1994, il était de 46 %. Le mariage des prêtres est reconnu comme légitime par le Concile Vatican II. Ce dernier se garde cependant de l’étendre au rite latin pour qui le célibat sacerdotal est un impératif incontournable. Le décret conciliaire sur la vie des prêtres (Presbyterorum ordinis) souligne que : «les Églises orientales ont des prêtres qui choisissent, par don de la grâce, de garder le célibat – ce que font tous les évêques – mais on y trouve aussi des prêtres mariés dont le mérite est grand ; tout en recommandant le célibat ecclésiastique, ce Saint Concile n’entend aucunement modifier la discipline différente qui est légitimement en vigueur dans les Églises orientales ; avec toute son affection, il exhorte les hommes mariés qui ont été ordonnés prêtres à persévérer dans leur sainte vocation et dans le don total et généreux de leur vie au troupeau qui leur est confié». Cette idée sera reprise dans le CCEO (Code des canons des Églises orientales) en 1993. La formation des prêtres mariés Jusqu’aux années 40, la charge pastorale au Liban était confiée à des prêtres mariés. Au décès du prêtre de la paroisse, cette dernière se réunissait et désignait, comme nouveau curé, un homme marié de bonne réputation, sage et aimé de tous. Une formation de six mois le préparait à son ministère. Aujourd’hui, dans l’Église maronite, la plupart des candidats au sacerdoce mariés rejoignent le séminaire de Karm Saddé. Il assure un programme d’études en langue arabe semblable à celui de la Faculté pontificale, mais quelque peu allégé : une année préparatoire et quatre ans de théologie et de philosophie. À la fin du cycle, les postulants obtiennent une attestation. Les jeunes séminaristes qui pensent au mariage quittent l’université de Kaslik pour suivre la formation de Karm Saddé. Généralement, ils réagissent à cette mesure comme si elle constituait une mise à l’écart discriminatoire. Il y a donc un malaise. Un religieux formateur estime à ce sujet que «les difficultés viennent du fait que ces jeunes désirent se marier après avoir pensé au sacerdoce, alors que c’est l’inverse qui devrait se produire». Les Églises orientales ne prévoient rien de vraiment adapté à cette situation. Dans l’Église grecque-catholique (melkite), les futurs prêtres sont accueillis au séminaire de Raboueh, construit en 1974 à l’initiative du patriarche Maximos V Hakim. Certains d’entre eux ne cachent pas qu’ils songent au mariage. D’autres n’ont pas encore pris de décision. Dans l’Église arménienne-catholique, pour qu’un homme marié soit ordonné prêtre, il doit avoir des mœurs irréprochables, une belle voix, une formation supérieure et doit accepter une charge loin des grands centres urbains. Bien loin des critères occidentaux, un prêtre marié n’a rien d’insolite ou d’exceptionnel. Sauf qu’il se retrouve très souvent en lutte pour concilier les besoins matériels de sa famille et les devoirs spirituels de son sacerdoce.
Edmond, 16 ans, veut devenir prêtre. Edmond, 21 ans, tombe amoureux de Lina. Il l’épouse après l’avoir informée de sa vocation. Aujourd’hui, Edmond rame, comme on dit, entre un ministère accaparant et les enjeux de la vie de famille. Ordonné prêtre en 1994, Edmond N. (maronite) est père de quatre enfants. Il exerce son ministère, depuis deux ans, dans un village qui surplombe...