Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

Réforme - Le développement économique et social du Liban (I) Les paramètres d'un nouveau programme

Nous publions ci-dessous le premier d’une série de deux articles, écrits pour L’Orient-Le Jour à partir de Washington, par le Dr Ziad Hafez, consultant en investissements à long terme à la Société financière internationale (IFC), relevant de la Banque mondiale. Dans cette première partie, l’auteur passe en revue les divers secteurs où un effort peut et doit être entrepris afin, écrit-il, d’éviter la catastrophe «rendue quasiment inéluctable» par les échéances des politiques économiques et financières passées. Il évoquera, dans une deuxième partie, le rôle de l’État et du secteur privé dans le développement économique et social, l’accent étant évidemment mis sur la question de l’heure, à savoir les privatisations. Moins de cinq mois aprés l’accession au pouvoir de la nouvelle équipe gouvernementale, les Libanais mesurent l’ampleur de la crise économique et financière héritée du gouvernement sortant. Le gouvernement actuel a une tâche bien ardue, sinon impossible. Il a pour mission d’une part, de rectifier le tir et de ramener les agrégats économiques à des normes acceptables, voire gérables ; et d’établir, d’autre part, les fondations d’un nouveau programme de développement économique et social qui assurera une croissance globale continue, répartie équitablement parmi les différentes composantes de la société libanaise. Il est clair que le plus urgent est d’éviter la catastrophe financière rendue quasi inéluctable par les échéances des politiques économiques et financières mises en place par le gouvernement sortant. Il est impératif de réduire d’abord le service de la dette publique qui, actuellement, absorbe la quasi-totalité des recettes de l’État. L’allègement du poids de la dette publique devra être accompagné d’une politique fiscale compatible avec les obligations du rôle que devra assumer l’État dans l’organisation des activités économiques. Si l’État choisit d’être plus actif et d’intervenir dans l’économie du pays, il devra se doter des moyens qui lui permettront de s’acquitter de sa mission. Le débat portera donc sur la définition du rôle de l’État et de la mission dont il voudra s’acquitter. Les paramètres d’une stratégie économique et sociale doivent s’appuyer sur les avantages comparatifs dont dispose le Liban. Toutefois, les contraintes sont énormes : le pays manque de ressources naturelles, de surface géographique, d’une large population qui détermine la dimension du marché national. De plus, le Liban importe la quasi-totalité de ses besoins, et sa balance commerciale est traditionnellement déficitaire. L’avantage historique dont bénéficiait le Liban, à savoir le secteur services bénéficiait avant la guerre d’une certaine conjoncture régionale et internationale qui a, aujourd’hui, largement changé. L’ambition du gouvernement sortant de transformer le Liban en un Singapour du Proche-Orient pouvait avoir quelque mérite, quoique les raisons d’y aboutir étaient quasi inexistantes du fait précisément d’une conjoncture régionale défavorable (politique et économique) et d’un déficit de moyens humains permettant la mise en place d’un secteur services internationalement compétitif. Une refonte de l’éducation Le Liban pouvait se prévaloir, avant la guerre civile, d’une main-d’œuvre qualifiée, d’une structure de cadres d’entreprises relativement développée, d’un secteur privé entreprenant et dynamique. Une grande partie de cette main-d’œuvre et de ces cadres s’est expatriée vers le Golfe ou vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Le renouvellement de ces effectifs ne s’est pas consitué d’une manière qui aurait pu rendre ce secteur compétitif sur les marchés régionaux et internationaux, à cause de la détérioration globale durant les années de guerre du secteur de l’enseignement et de l’éducation. La spécificité de la qualité de la main-d’œuvre libanaise, tant au niveau des cadres qu’à celui des effectifs, découlait d’un système éducatif relativement performant par rapport à celui des pays arabes avoisinants. La guerre civile, et la décennie qui la suivit, ont été le témoin d’une dégradation notoire de ce système. La confessionalisation aiguë du système de l’éducation a contribué à aviver les discussions oiseuses sur l’«identité», sur l’ «authenticité», etc. au détriment du développement d’une force de travail capable de s’intégrer dans un marché international de plus en plus compétitif. Nous appelons à une refonte du système de l’éducation pour produire des éléments que les secteurs privé et public pourraient utiliser afin de moderniser les structures de production, de distribution, et des ingénieries diverses, susceptibles de transposer la société libanaise au XXIe siècle, et pourquoi pas, regagner une certaine proéminence régionale. Au niveau de l’enseignement supérieur, nous appelons à un renforcement des programmes scientifiques et techniques, tant dans les institutions publiques que privées. Le curriculum de ces universités devrait être élaboré avec la participation des agents économiques du secteur privé, qui pourraient définir les besoins anticipés. L’investissement dans le secteur de l’éducation a un caractère stratégique dont les retombées seront essentielles pour les années à venir. On peut imaginer le temps perdu durant les neuf dernières années par la négligence de ce secteur. L’investissement dans le capital humain doit être également accompagné de l’amélioration du secteur de la santé. La généralisation des services de la santé publique ainsi que l’accés aux soins médicaux à des coûts abordables pour les couches de la population les plus défavorisées devraient être une des priorités du nouveau programme économique et social. Une discussion suivie avec les divers protagonistes (État, Ordre des médécins, Associations des hôpitaux, syndicats, pharmaciens, importateurs de produits pharmaceutiques, assurances, agents économiques, etc.) devrait pouvoir aboutir à des solutions acceptables. Le rôle de l’État dans cette affaire sera primordial. La logique d’une défense de la livre libanaise en vue d’éviter une «sortie» vers le dollar est injustifiée, du fait de son coût exorbitant sur les finances de l’État. De plus, le drainage de l’épargne nationale vers les bons du Trésor a limité, sinon empêché, le financement des secteurs productifs. Le secteur bancaire a succombé à la ligne de moindre résistance, à savoir, placer ses fonds dans les bons du Trésor, à des taux exorbitants. Le système bancaire libanais est devenu un secteur générant une «rente» basée sur le différentiel entre le coût de ses dépôts et les intérêts sur les placements dans les bons du Trésor. Le secteur privé, encouragé par la politique économique du gouvernement sortant, s’est investi essentiellement dans l’immobilier, secteur non productif par excellence. La croissance factice dont se prévalait le gouvernement précédent aura de lourdes conséquences sur l’avenir du pays. L’hypertrophie des taux d’intérêt sur la livre libanaise a eu un effet inattendu sur l’endettement en devises étrangères. Paradoxalement, il était plus «rentable», (et il l’est toujours!) de s’endetter en devises étrangères, de convertir par la suite en livres libanaises, et finalement d’effectuer un placement dans les bons du Trésor. Le risque de change y est réduit à cause du maintien d’une parité stable vis-à-vis du dollar. Ceci constitue un détournement des finances de l’État ! La véritable défense de la monnaie nationale se trouve dans le renforcement des secteurs productifs, et non dans l’artifice de l’hypertrophie soutenue des taux d’intérêt. Les défenseurs de la politique du gouvernement précédent soutiennent que la défense de la monnaie nationale a pour but de lutter contre l’inflation générée par l’éventuelle chute de la livre, et d’instaurer un climat de confiance dans la monnaie nationale, élément susceptible d’attirer les investissements. En fait, ces investissements ont été détournés en leur majorité vers l’immobilier, secteur non productif, non générateur d’emplois stables, et ayant peu d’effets induits et multiplicateurs sur le reste de l’économie nationale. De plus, l’épargne nationale a été drainée vers les bons du Trésor et non vers les secteurs d’avenir. Emprunts à taux réduits La tâche la plus urgente du nouveau gouvernement est de réduire le service de la dette publique. Il n’existe pas de solution miracle. L’exercice auquel doit se livrer le gouvernement sera pénible, coûteux politiquement, et évidemment combattu par ceux qui ont bénéficié des aberrations de la politique financière du gouvernement sortant. Le premier objectif de la réduction du service de la dette publique est de réduire les taux d’intérêt sur les bons du Trésor. Quels devraient être donc les taux finaux ? Nous pensons qu’ils doivent s’aligner éventuellement sur les taux internationaux (par exemple, le dollar) avec un différentiel reflétant le risque économique et politique du pays et de la transaction considérée. À titre d’indication, la Société financière internationale prête au secteur privé libanais, secteur bancaire inclus, au Libor plus une marge de 3-4 selon la qualité du risque. Cela situerait les taux aux alentours de 9-10 %. Il est bien entendu que cet objectif sera difficile à atteindre dans l’immédiat, voire à moyen terme. La difficulté résidera dans l’éventuel refus des banques à souscrire à de nouveaux emprunts de l’État à des taux réduits. Pendant près de neuf ans, ces banques ont bénéficié d’une conjoncture favorable à des bénéfices extraordinaires et sans risques, alors que l’État n’a que trés peu bénéficié des largesses prodiguées, sauf d’un endettement qui aurait dû servir à financer des programmes d’investissements productifs capables de rembourser cette dette. Il est impératif pour la nouvelle équipe d’entamer un «audit» de cette dette et de son utilisation. Il est normal que l’État songe à récupérer une partie de cette «largesse», ou du moins à en diminuer les coûts qu’il supporte depuis neuf ans. L’adhésion des banques à de nouvelles souscriptions devra provenir d’un effort concerté incluant le ministère des Finances et la Banque centrale, d’une pression politique et publique, ainsi que d’une campagne de presse bien ciblée. Il est absolument impératif que les politiques fiscale et monétaire soient étroitement coordonnées et en harmonie avec un programme de mesures économiques visant à redynamiser l’économie nationale. La caution de toutes les instances politiques de cette nouvelle approche sera nécessaire pour légitimer l’action gouvernementale sur le plan fiscal et monétaire. Dans l’immédiat, l’objectif principal du nouveau ministre des Finances doit être de «sortir» un budget pour l’exercice en cours et à venir ! Cela veut dire, qu’il lui faudra équilibrer ses comptes budgétaires. Les sources de financement disponibles sur le plan local sont plutôt limitées ( leur augmentation est une œuvre de longue haleine dépassant les possibilités immédiates). À terme, la politique fiscale du gouvernement aura pour objectif la restructuration de la dette publique, la révision de la politique des dépenses budgétaires, et l’augmentation des sources de revenus, sans nécessairement recourir à une nouvelle taxation d’une population déjà exsangue. Toutefois, les mesures à adopter auront nécessairement un coût social qu’il faudra expliquer le plus clairement aux Libanais. Sur le plan des dépenses budgétaires, les mesures de compression signifient nécessairement une limitation radicale du gaspillage. Cela entraînera une réduction significative des effectifs administratifs à tous les niveaux. Cette compression des effectifs devra être un des éléments d’une réforme administrative visant à créer une administration plus légère et efficace. L’allègement des effectifs ne signifie pas un abandon des tâches ou des responsabilités de l’État ; bien au contraire, il s’agira de créer des cadres administratifs compétents dotés des moyens techniques visant à accroître leur productivité. Le financement de cette tâche pourrait être assuré par des bailleurs de fonds internationaux tels que la Banque mondiale, l’Union européenne, les bilatéraux tels que l’Agence française de développment, IFU, FMO (Hollande, Danemark), etc. Dans une deuxième étape, l’État devra se désengager d’activités qui ne sont pas essentielles à son fonctionnement ou compatibles avec ses obligations traditionnelles. Nous ne voyons pas l’utilité de posséder un portefeuille d’investissements dans des activités économiques, traditionnellement du ressort du secteur privé. L’Intra, le Casino du Liban, la Middle East, par exemple, sont des charges pour l’État qui n’en retire que peu de résultats et où sa compétence n’est nullement démontrée. Quant aux ressources de l’État, la collecte des impôts devra être améliorée. Sans préjuger de la rationalité des faibles taux d’imposition sur les revenus promulgués par le gouvernement Hariri, il est évident que cette collecte ne touche que les salariés et les fonctionnaires, et les sociétés publiant des états financiers dont la vérification est actuellement difficile. Traditionnellement, les professions libérales et les commerçants ainsi que les sociétés publiques, ne payent qu’une fraction de ce qu’ils doivent du fait de la faiblesse des cadres fiscaux chargés de cette collecte. Un trés gros effort d’amélioration de la qualité des inspecteurs des finances est à entamer, tant au niveau des compétences qu’à celui de l’intégrité, si l’État pense à se doter des cadres susceptibles d’accroître ses revenus. À terme, l’élargissement de la base imposable sera probablement inéluctable. Il sera pénible et long et coûteux politiquement. L’alternative est la catastrophe financière avec la chute probable de la monnaie nationale. Il est vrai que la dévaluation sera la solution du dernier recours, et pourrait résorber le service de la dette intérieure ; mais ses conséquences seront désastreuses sur le plan économique (dette extérieure), social, et politique. Il ne faut pas exclure a priori le recours à cette potion amère si les mesures préconisées par le ministre Corm ne sont pas mises en application rapidement. Gérer le déficit Le déficit budgétaire n’est pas un mal en soi. Tout dépend de sa taille, de son coût, et à quoi il peut servir. Dans la mesure où un programme d’aménagement économique et social est entrepris par l’État, le déficit est un instrument de sa réalisation. Le financement de ce déficit provoquera nécessairement de nouveaux emprunts. La réussite d’une nouvelle campagne d’emprunt (à des taux raisonables) nécessitera l’identification des programmes qui bénéficieraient de cette source de financement. L’État pourra difficilement justifier de nouveaux emprunts sans les affecter dès le départ à des programmes économiques et sociaux bien identifiés. L’État pourra également se procurer des ressources supplémentaires en se désengageant de certaines activités économiques par le truchement de privatisation de certaines entreprises publiques en sus des entreprises déjà citées et qui ne font pas partie de son mandat traditionnel. Il est bien entendu que ces privatisations doivent être réalisées dans la plus grande transparence. Ces privatisations ne devraient pas aboutir à des situations de monopoles privés, locaux et/ou étrangers ; elles doivent être mesurées dans l’espace et dans le temps pour accompagner le programme de dynamisation de l’économie, de régénerescence de l’emploi productif et rémunérateur, et de conformité à l’intérêt national. En effet, dans le cadre d’une gouvernance adéquate, nous insistons sur la nature participative de l’élaboration de l’action économique et sociale. Pour cela, un des nombreux impératifs de la nouvelle équipe est la constitution du Conseil économique et social. Ses membres devraient représenter le plus largement possible les agents économiques et sociaux et membres de la société civile, outre l’État, par le truchement des associations professionnelles, économiques, syndicats, intellectuels, ONG, etc. Le CES devrait être une sorte de «Parlement économique et social» qui définirait l’intérêt national. Une autre condition des chances de réussite de la mise en place d’un programme de développement économique et social est l’existence d’un système financier efficient, organisé et géré d’une manière aussi transparente que possible. L’organisme de supervision du système financier est la Banque centrale. Nous insistons d’une part sur l’indépendance de la Banque centrale vis-à-vis du gouvernement, et d’autre part, sur une coordination étroite entre la politique fiscale et monétaire. La mise en place d’un «filet de sauvetage» au bénéfice des couches défavorisées dans la phase de transition de l’application du programme de développement économique et social est une condition nécessaire pour sa réussite. Les couches les plus démunies ne peuvent attendre le fruit d’un processus de longue haleine, surtout à l’issue d’une guerre civile meurtrière et à la suite des déceptions résultant des errements du gouvernement sortant.
Nous publions ci-dessous le premier d’une série de deux articles, écrits pour L’Orient-Le Jour à partir de Washington, par le Dr Ziad Hafez, consultant en investissements à long terme à la Société financière internationale (IFC), relevant de la Banque mondiale. Dans cette première partie, l’auteur passe en revue les divers secteurs où un effort peut et doit être...