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Actualités - REPORTAGES

Société - Une maison en dur pour le chef et des tentes en jute pour les hommes de la tribu et leur bétail Des nomades sédentarisés : Les Turkmènes de la Békaa (photos)

Ils sont environ dix mille Turkmènes à avoir été naturalisés en 1994. Des nomades, parmi tant d’autres, qui vivent dans la plaine de la Békaa et qui se sont sédentarisés, vers les années soixante, bien avant d’obtenir la nationalité libanaise. Leurs traditions ressemblent à celles des tribus arabes, mais leur langue et leurs origines sont différentes. Cheikh Kanjo Kanjo, chef des tribus turkmènes de la plaine de la Békaa, vit à Raoudet Douris, un village près de Baalbeck. Il a quatre femmes et il est le seul parmi ses voisins et compatriotes à avoir une maison en dur. Les autres habitent avec leur bétail dans des tentes en jute ou en plastique. Les humains dans une tente, les chèvres dans une tente adjacente, les brebis dans une troisième… «Avant les années soixante, nos tentes étaient en poil de chèvre et on achetait le matériel à Chéhim, indique cheikh Kanjo. On dressait la tente et c’étaient les femmes qui tressaient des roseaux pour renforcer l’habitation et la protéger du vent». Des pneus de voitures, accrochés aux tentes, remplacent actuellement les roseaux. Cheikh Kanjo reçoit les visiteurs dans un salon rectangulaire. Le sol de béton est recouvert de plusieurs tapis. Déchaussés et assis sur des coussins disposés par terre, tous les hôtes boivent, à tour de rôle et de la même tasse, du café à la cardamome offert par le maître des lieux. Le thé sucré sera servi plus tard. Les us et coutumes turkmènes ressemblent aux traditions des tribus arabes : générosité, courage, esprit de vengeance… Les nomades sédentarisés, originaires du Turkménistan, ont quitté, il y a des siècles, l’Asie centrale pour lutter aux côtés des conquérants musulmans. «Au XIIe siècle, une partie des tribus turkmènes a participé au combat auprès de Saladin», note cheikh Kanjo. Mais c’est au XVIIe siècle, sous l’empire ottoman, que beaucoup de tribus turkmènes (de rite sunnite) passent en Asie mineure pour rejoindre ensuite la Syrie et le Liban. Ils apprennent l’arabe et préservent oralement la langue turkmène. Éleveurs de bétail, avant de se sédentariser, ils se déplaçaient en fonction des saisons. «En hiver, on allait en Syrie et en été on habitait le Liban, toujours à la recherche de pâturages pour nos troupeaux», indique Cheikh Kanjo en soulignant que «chaque tribu turkmène a des ramifications en Syrie et vice-versa». Pourquoi ils se sont sédentarisés ? Les tribus turkmènes ne vivent plus uniquement de l’élevage mais aussi de l’agriculture. À partir des années soixante-dix, bien qu’ils vivaient avec des nationalités sous études, les Turkmènes ont réussi à acquérir des terrains… Voire à construire des villages et des quartiers turkmènes dans la Békaa, notamment à Baalbeck, à Douris et à Naanaiyé. Cheikh Kanjo note que «plus d’une dizaine de tribus habitent en permanence la plaine de la Békaa». Et d’ajouter que «certains Turkmènes ont épousé des Libanais(es) et ont effectué des études universitaires». Troquer les femmes Que reste-t-il des anciennes habitudes des «nomades» de la Békaa ? Les vêtements des femmes : elles doivent porter un pantalon en toile au-dessous d’une robe longue. Généralement, pantalon et robe présentent plusieurs couleurs éclatantes. Les plus âgées ont préservé la coiffe traditionnelle, une sorte de turban en soie noire portant des broderies de couleurs éclatantes. Les personnes d’un certain âge portent toujours des tatouages au visage et aux bras. Cheikh Kanjo explique que «ces tatouages sont effectués durant l’enfance». «C’est comme les bijoux, ils embellissent les personnes qui les arborent», souligne-t-il. Parmi les traditions préservées, le chef de la tribu cite la musique bédouine jouée sur la Manjayra (une sorte de flûte) et la Rababa (sorte de guitare à une corde), la fabrication du café et les cérémonies de mariages. Quel est le rôle de la femme dans la tribu ? Cheikh Kanjo indique qu’elles sont «des maîtresses de maison». Elles font le ménage, cuisinent et s’occupent du bétail (traire les vaches, donner à manger aux poules et à boire aux chèvres…). Pour prendre une femme, il faut payer à sa famille une somme variant entre 3 millions et 5 millions de livres libanaises. Le montant dépendant certes de sa beauté et de sa jeunesse. «Auparavant, déclare cheikh Kanjo, le système de troc était en vigueur : deux hommes décidaient ensemble des épouses qu’ils allaient prendre». Et d’expliquer : «Ils pouvaient s’arranger en se disant : “Je te donne ma sœur pour épouse et je prends la tienne pour femme”». «Maintenant, tout a changé, nos enfants sont scolarisés et ce sont eux-mêmes, filles et garçons, qui effectuent leur propre choix», ajoute-t-il. Et pourtant… Le chef de la tribu, qui a quatre femmes et quinze enfants dont six filles, pourrait-il donner en mariage sa fille à un homme déjà marié ? «Oui, tout dépend de la somme qu’il est prêt à payer», indique-t-il. Tout près de l’unique maison en dur et des tentes de la tribu, les Kanjo ont construit des tannours (four à pain) en plein air. Sur le sol, des pierres ont été disposées en cercle, une sorte d’âtre «pour la cuisson et la lessive», indique Bhar (poivre) l’une des femmes du chef de la tribu. Poules, chiens, ânesses, mules, vaches, boucs, chèvres, brebis, moutons… et tentes se côtoient dans un immense terrain vague. Un homme de la tribu propose de prendre le bétail, les femmes et les enfants dans une même photo. Pour lui, c’est une façon comme une autre de montrer la richesse et les avoirs de la tribu Kanjo.
Ils sont environ dix mille Turkmènes à avoir été naturalisés en 1994. Des nomades, parmi tant d’autres, qui vivent dans la plaine de la Békaa et qui se sont sédentarisés, vers les années soixante, bien avant d’obtenir la nationalité libanaise. Leurs traditions ressemblent à celles des tribus arabes, mais leur langue et leurs origines sont différentes. Cheikh Kanjo...