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Actualités - REPORTAGES

Pour les 75 habitants restés dans le village, l'enfer continue

Au crépuscule, le village d’Arnoun revêt l’aspect lugubre des lieux hantés par la guerre. Nulle part au monde, l’appellation no man’s land ne prend un sens aussi chargé de drame. Dans le village plus qu’à moitié détruit, il ne semble pas y avoir âme qui vive. Et pourtant quelque 75 habitants y résident toujours. Leur localité est, depuis la nuit du mercredi à jeudi, rattachée par les miliciens de l’Armée du Liban-Sud (ALS) à la partie occupée par Israël. Les conditions de vie, déjà précaires, ne font qu’empirer en raison de la difficulté croissante de faire parvenir les aides nécessaires. La situation des régions frontalières du Liban-Sud est si particulière qu’elle en devient surréaliste. Hier, sur bruit de fond de bombardements et à un kilomètre à peine d’Arnoun, des enfants jouaient au ballon et des femmes se promenaient, à l’entrée du village de Yohmor, tout proche (il faut longer le premier pour arriver au second). Mais rien ne pouvait effacer la tension qui, probablement, ne laisse aucun répit aux habitants de la région. «Nous étions plusieurs à être bloqués hier (mercredi) à Arnoun, au moment où les travaux d’isolement du village ont commencé», raconte un habitant de Nabatiyeh qui se trouvait hier à Yohmor. Il fait valoir que la peur qu’il a éprouvée ne l’a pas encore quitté. Comme de nombreuses autres personnes, il a été retenu à Arnoun de 18h à minuit dans la nuit de mercredi à jeudi. «Il y a au moins dix miliciens de l’ALS qui se sont chargés de m’interroger », dit-il. Les miliciens ont enquêté avec tous les passagers et les ont ensuite sommés de rester en voiture. Le même habitant poursuit : «Les miliciens de l’ALS étaient persuadés de trouver sur moi un revolver que je n’avais pas. Ils m’interpellaient sur un ton ironique, me demandant pourquoi j’avais une barbe, si j’étais religieux et pratiquant… Bref, pour savoir si je faisais partie de la Résistance. Je leur ai dit que j’étais bien loin de tout cela. L’un d’eux a même menacé d’aller chercher mon dossier (inexistant) croyant que cela me pousserait à faire des aveux. Après une heure et demie j’étais si excédé que je me suis écrié : “Si vous voulez m’emmener à la prison de Khiam, faites-le, mais cessez vos menaces”». Comme lui, plusieurs autres personnes (dont une famille avec un bébé) ont dû attendre plus de cinq heures dans leurs voitures avant de quitter la région par la seule issue encore ouverte : le passage de Kfartebnit. Mais ils sont finalement sortis. Pour ceux qui sont toujours à Arnoun, l’enfer commence – ou plutôt continue. Selon les témoignages d’habitants de Yohmor, les résidants d’Arnoun refusent de quitter leur localité, malgré les propositions d’aide de la Croix-Rouge, dont une équipe a visité le village hier. Ils ne veulent pas emprunter le passage de Kfartebnit parce qu’ils tiennent à ce que la route de Yohmor, plus proche, soit rouverte. Encore et toujours des mines Que s’est-il passé exactement mercredi ? Les habitants de Yohmor sont formels : personne n’a rien vu ni entendu d’anormal ce soir-là. Ils ont été surpris de constater le développement des faits le lendemain. Surplombant Arnoun, le château de Beaufort se dresse, gris, menaçant. Le drapeau israélien flotte sur cette citadelle, construite par les Croisés. Les Israéliens l’occupent aujourd’hui probablement pour les mêmes raisons qui ont poussé à son édification jadis : son emplacement stratégique. Au pied de la colline où se trouve le château fort, Arnoun subit la dégradation du temps et des actes de violence, sans possible retour à la vie. Depuis les travaux qui ont conduit à son incorporation à la partie occupée du Liban-Sud, mercredi soir, le village est entouré d’une double rangée de barbelés de deux kilomètres de long, qui comportent le signe «Danger, mines». Jusqu’à nouvel ordre, Arnoun est muré dans son silence. Depuis 1985, date du retrait israélien après l’invasion de 1982, le village d’Arnoun vivait dans une situation on ne peut plus ambiguë. Ni vraiment libre ni vraiment occupé, il était soumis à une surveillance continue. Seuls les piétons étaient admis dans la localité et une unique voiture est habilitée à y circuler. Un couvre-feu est imposé chaque soir. En 1985, après le retrait, les forces israéliennes ont une nouvelle fois envahi le village, détruit au moins cinq maisons, et arrêté un grand nombre de personnes. Depuis, les raids n’ont pas cessé. Au cours de cette même année, la route qui reliait le village à Nabatiyeh a été coupée. La seule issue pour les habitants d’Arnoun passait donc par la route de Yohmor, village tout proche. C’est celle-ci qui vient d’être définitivement bloquée avec de gros blocs de pierre et de la terre. Peur sur Yohmor Les conditions de vie de ceux qui ont choisi de rester à Arnoun, en majorité des femmes et des enfants, sont pénibles, et menacent d’empirer. Un blocus israélien depuis 1985 empêche l’alimentation en eau du village. La Croix-Rouge fait sa tournée une fois par semaine. Le reste du temps, les malades sont conduits hors du village, portés sur les épaules. Les raisons qui ont poussé les forces israéliennes et l’ALS à déclencher leur initiative, personne ne déclare les connaître ou du moins les deviner. Mais à Yohmor, on est inquiet. «Serons-nous le prochain objectif ?», se demandent les habitants. Yohmor a eu son lot d’exactions, de barrages-surprises, de francs-tireurs, de bombardements… Il y a trois jours encore, un barrage israélien a arrêté le trafic pendant trois heures. Le village connaît également le blocus. Le plus grave a été imposé en 1994, quand l’accès à Yohmor a été interdit pendant un mois entier. L’avenir semble plus que jamais incertain. Certes, au-delà du drame humain, l’affaire d’Arnoun pose plus d’une interrogation. Pourquoi le village a-t-il été maintenu dans cette situation floue pendant des années et pourquoi les forces israéliennes viennent-elles subitement d’y mettre fin ? Quelles sont leurs véritables intentions ? Quoi qu’il en soit, la tension est si forte dans cette région du pays qu’un visiteur ne peut s’empêcher de se demander comment font les habitants pour supporter la pression continue, quand même l’habitude n’est pas une option ? À cette sourde interrogation, un habitant de Yohmor répond, mi-figue mi-raisin : «Passez un jour ou deux avec nous».
Au crépuscule, le village d’Arnoun revêt l’aspect lugubre des lieux hantés par la guerre. Nulle part au monde, l’appellation no man’s land ne prend un sens aussi chargé de drame. Dans le village plus qu’à moitié détruit, il ne semble pas y avoir âme qui vive. Et pourtant quelque 75 habitants y résident toujours. Leur localité est, depuis la nuit du mercredi à...