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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Café littéraire avec Denise Bombardier et Catherine Hermary Vieille

Denise Bombardier est un personnage. Elle est journaliste à la télévision canadienne. En tant qu’essayiste, elle est l’auteur d’essais musclés sur le féminisme, «féminisme pragmatique», aime-t-elle préciser, pour se démarquer des approches théoriques et radicales du féminisme américain et sur la francophonie, du point de vue exigeant d’une résistante québécoise. Elle fit une entrée tonitruante sur la scène médiatique française en piquant une colère noire contre Gabriel Matzneff sur le plateau d’Apostrophe. Depuis 1985, et la publication d’Une enfance à l’eau bénite, elle est aussi romancière. Son succès irrite certains. Ce qui est sûr, c’est qu’elle ne peut pas laisser indifférente. Elle a présenté, au cours d’un salon littéraire qu’elle a animé avec Catherine Hermary Vieille, son dernier roman Aimez-moi les uns les autres. En réponse à une remarque faite par Gérard Meudal qui présentait les deux romancières, Denise Bombardier rétorque d’emblée : «Si vous pensez que Catherine et moi sommes des féministes de choc, alors vous n’avez pas rencontré les féministes du continent américain. J’ai été prise à parti par les féministes québécoises parce que je prenais trop la défense des hommes». Autres pays autre mœurs, autres perceptions. Aimez-moi les uns les autres est la suite de Une enfance à l’eau bénite. Une suite qui vient quinze ans plus tard. La raison de ce décalage ? «Comme c’est autobiographique, je préférais qu’il se soit passé encore plus de temps. La période que je décris est celle du Québec catholique, borné, il faut bien le dire. Le récit continue pour montrer comment on s’est sorti de l’eau bénite. Comment le peuple a fait pour s’émanciper de cette éducation étriquée, fermée, contrôlée par le clergé. Comment on fait pour se sortir de cette obsession du pêché, pour accéder à la sexualité, à l’amour. Donc la réaction à mes ouvrages a été assez violente au Québec. C’est comme si on voulait croire qu’on n’a pas vécu ce qu’on a vécu». Et Bombardier de poursuivre : «On ne peut pas perdre la mémoire de ce que l’on a été. Si je fais la critique de la situation actuelle, je dirai qu’on paye le prix aujourd’hui pour avoir changé si rapidement et d’une manière aussi concentrée. Je crois que les jeunes, au Québec, sont particulièrement désemparés, les garçons en particulier. Nous avons le plus haut taux de suicide au monde chez les garçons entre 15 et 25 ans. Les garçons sont en recul dans le domaine de l’éducation. Ils décrochent de l’école, leurs résultats sont très inférieurs à ceux des filles». Denise Bombardier est une pasionaria qui s’est vu coller le titre de chantre de la francophonie. «Je ne recluse pas ce titre, répond-elle avec simplicité. Je suis fière de défendre la francophonie. Mais j’en veux par contre à la France parce que c’est surtout à l’extérieur de ses territoires que l’on se bat pour le français. Alors qu’une certaine France semble fascinée par l’anglicisation. Il faut être bilingue comme nous pour ne pas l’être. Les Français adoptent de la culture américaine des choses qui sont moindres. Parce qu’il ne faut pas oublier qu’il y a une culture américaine formidable, qu’il existe en Amérique de grandes universités et des gens qui pensent. On n’arrête pas le progrès, la langue anglaise est celle de la communication. Mais il faut continuer à se battre. Parce que ce n’est pas acquis que cinq millions de francophones puissent continuer de survivre en Amérique du Nord. Pour nous, c’est une question de survie et d’affirmation d’identité dans cette espèce de globalisation qui se développe autour de nous». «Il est vrai que j’ai un peu dépassé la période de tourmente qui se retrouve dans mes livres, reconnaît l’écrivain. On ne peut pas toujours être en guerre, dans une sorte d’exaltation insoutenable. Il faut également que l’âge nous apporte un peu de sérénité, une façon plus douce de voir les choses». Dans Aimez-moi les uns les autres, Denise Bombardier ranime les thèmes qui lui sont chers : “féminisme pragmatique, anticléricalisme viscéral, amours tumultueuses, défense de la langue française, misère culturelle” avec, en plus, une dimension politique absente de ses autres livres. C’est sur cette société rétrograde à éducation stricte qui ne respecte pas la liberté de l’individu que vous êtes formée. Dans une société où tout aurait été donné de manière facile, vous n’auriez pas eu ce même tempérament. Réponse de Bombardier : «C’est la preuve qu’on peut triompher de la bêtise et qu’on est capable de se sortir d’une situation pareille. Je ne supporte pas les gens qui ramènent toujours les tyrannies de leurs enfances pour expliquer leur impuissance du moment. Je ne crois pas au déterminisme. Je viens d’un milieu pauvre culturellement et matériellement. Il est vrai que j’ ai été élevée pour m’en sortir. Ce n’était pas une ambition matérielle. J’aime les gens qui parviennent ailleurs que là où ils étaient. Dans ce sens-là je revendique le titre de “parvenus”». Selon Denise Bombardier, les Québécois ont une mentalité de minoritaires. «On a tendance à s’identifier à d’autres minorités. On a à l’égard de la France un sentiment très ambivalent. “Love, Hate Relationship”. Nous devons maintenir notre relation avec la France. Je revendique Proust, Chateaubriand et Montesquieu comme étant des auteurs de ma culture. Et il y a une partie des Québécois qui, pour affirmer l’ identité québécoise, ont dit que nous n’avons plus rien à faire avec la France, on est des Nord-Américains. À cela je réponds : “les Américains s’en foutent de nous. On les intéresse pour le commerce, c’est tout”». L’auteur, qui n’a pas sa langue dans sa poche, dénonce l’arrogance des Français de France «qui ont l’impression que tout vient d’eux, sort d’eux, passe par eux. Et quand on est séparé géographiquement par quelques milliers de kilomètres, on n’est pas dans le coup». «Je me suis félicitée par un sénateur français qui m’a dit : “Mademoiselle, c’est la première fois que je rencontre un Canadien qui n’a pas d’accent. Je vous félicite”. C’est comme si on disait à un Noir, c’est formidable vous être presque blanc. J’ai pas répondu parce que j’ai été polie. Ce qui agace, on nous dit : “Pourrez-vous parler avec l’accent”. Je refuse d’être enfermée dans le folklore. Étant journaliste et écrivain je veux qu’on dise : “Ce qu’elle raconte est intelligent et non pas c’est formidable la façon dont elle parle c’est tellement coloré”». Catherine Hermary Vieille : Auteur d’une vingtaine de romans, Catherine Hermary Vieille est née à Paris où elle a étudié l’arabe classique à l’École des langues orientales. Aujourd’hui, elle vit aux États-Unis après avoir séjourné à Chypre et au Liban. C’est là, pendant la guerre, qu’elle exerce le métier de journaliste. «Grâce à ce métier, l’écrivain qui était en moi a appris à regarder les autres, à recueillir la foule d’informations qu’ils donnent spontanément». Dans ses romans, Hermary Vieille prend un cadre historique et elle l’utilise d’une manière très particulière pour cerner un destin qui a été laissé en marge de la société. «Oui mais ces figures féminines ne sont pas en rupture de la société des hommes. Elles essayent d’aller jusqu’au bout d’elles-mêmes dans la façon dont leur siècle leur permet. Les hommes sont là. Ils sont complémentaires de la femme. Il n’y a que dans le dernier roman où les hommes sont délibérément utilisés par les femmes pour accomplir leur destin. Je m’insurge aussi sur ce mode de féminisme». Venue à Beyrouth à plusieurs reprises mais surtout durant la guerre. La dernière fois était en 1985. «Je trouve Beyrouth terriblement changée. J’ai eu un grand attachement pour le Liban pendant la guerre à cause des Libanais. Parce que c’était formidable de voir la façon dont ils vivaient au quotidien, dont ils gardaient leurs cœurs, leurs portes ouvertes alors que la vie était difficile. Cela a été pour moi une grande simplicité, d’amour et d’ouverture. J’ai adopté une petite fille libanaise. Elle est généreuse, gaie, passionnée. Je crois que c’est génétique chez vous». Son dernier ouvrage, Les Dames de Brière, offre, comme tous les romans, plusieurs niveaux d’interprétation. Chronique familiale et historique, saga amoureuse où «les hommes ont des instincts, les femmes des émotions», subtile évocation des mystères de toute destinée humaine, ce livre aux mille rebondissements s’affirme comme le plus puissant de son auteur. Citant Oscar Wilde, Catherine Hermary Vieille affirme : «Il n’y a pas de sujets moraux ou immoraux : il y a de bons ou de mauvais écrivains». Elle ajoute : «L’univers de l’écrivain peut pénétrer tous les univers s’il sait le décrire avec talent, sensibilité».
Denise Bombardier est un personnage. Elle est journaliste à la télévision canadienne. En tant qu’essayiste, elle est l’auteur d’essais musclés sur le féminisme, «féminisme pragmatique», aime-t-elle préciser, pour se démarquer des approches théoriques et radicales du féminisme américain et sur la francophonie, du point de vue exigeant d’une résistante québécoise....