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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Le représentant d'Arafat répond aux questions de l'Orient Le Jour Aboul Aynain : mon cas est politique, la solution devra l'être aussi (photo)

«Nous ne voulons pas rouvrir d’anciennes plaies. C’est indigne de nous, et du Liban qui a beaucoup donné à la cause palestinienne, d’accuser l’OLP d’être une bande armée, ou un groupe de gangsters…». Sultan Aboul Aynaïn (qui jure que c’est là son vrai nom de famille, seul Sultan étant un surnom) ne cache pas son amertume dès qu’on lui parle de sa condamnation à la peine capitale par le tribunal militaire libanais. Le jugement a été publié mercredi soir, mais il n’a toujours pas digéré la nouvelle et s’il se veut désormais conciliant et respectueux des lois libanaises, ces bonnes dispositions ne résistent pas à l’immense sentiment de frustration qui le ronge de se voir déclaré «hors-la-loi». «Je ne me place pas au-dessus de la loi, dit-il, mais je ne me présenterai devant un tribunal que si j’ai des garanties que mon procès sera équitable…». À quelques mètres de la mer, le camp palestinien de Rachidiyé aurait pu continuer à couler des jours paisibles, presque oublié du reste du Liban. Mais depuis la condamnation à mort du responsable du Fateh au Liban, Sultan Aboul Aynaïn, qui y réside en permanence, le petit camp si bien aménagé est revenu à la pointe de l’actualité. Au barrage de l’armée, à l’entrée du camp, la file des voitures s’allonge. Sultan, que ses hommes appellent Abou Riad, a beau affirmer que les mesures de sécurité n’ont rien à voir avec sa condamnation, tel n’est pas l’avis des résidents du camp, qui se sentent désormais mal à l’aise avec les militaires libanais. En face du barrage libanais, ce sont les jeunes gens du Fateh qui contrôlent les passants, toutes armes dehors, transformant Rachidiyé en un camp retranché. Le bureau d’Abou Riad est lui aussi l’objet d’une surveillance minutieuse, et les jeunes gens armés font en permanence le guet, attentifs au moindre bruit en provenance du bureau. D’ailleurs, dès que le ton monte un peu, ils ouvrent brutalement la porte, pour s’assurer que tout va bien. Dès le premier contact, Abou Riad cherche à se donner un air détendu, comme si sa récente condamnation n’avait aucune espèce d’importance. D’ailleurs, sur la table basse qui jouxte son bureau, des douceurs arabes sont offertes au visiteur «pour célébrer ma condamnation ou ma promotion, qu’importe», lance-t-il avec un petit air de défi. Pourquoi cherche-t-il à défier les autorités libanaises? «Je ne veux pas les défier, répond-il. Mais pour moi, la condamnation est essentiellement politique et c’est une partie politique bien déterminée qui en est l’origine». Pourrait-il être plus précis ? «Écoutez, je ne veux pas rouvrir d’anciennes plaies, ni me faire de nouveaux ennemis, mais s’il s’agissait d’une condamnation réellement judiciaire, je l’aurais acceptée». C’est un argument facile, utilisé par la plupart des condamnés ou inculpés… «Mais moi, je possède des éléments concrets. La sentence a été prononcée le mercredi à 19h. À 19h30, les journalistes étaient déjà en possession d’une copie du jugement avec pour instruction de le publier». C’est là une procédure tout à fait normale… «Ce qui l’est moins, c’est que je n’ai pas été convoqué à cette audience. D’ailleurs, je n’étais pas au courant de toute l’affaire. Mon avocat m’avait officieusement informé d’une condamnation à un an de prison pour transport illégal d’armes, c’est tout». Aïn el-Héloué n’est pas Nahr el-Bared Pourquoi lui en voudrait-on? «En juin dernier, le camp de Aïn el-Héloué était décrit comme un repaire de hors-la-loi. Nous avons décidé de reprendre les choses en mains et de réorganiser notre présence dans ce lieu. Cette initiative réussie a dû déplaire à certaines parties». Ces parties qu’il ne nomme pas, n’étaient-elles pas assez puissantes pour saboter une telle entreprise ? «Aïn el-Héloué n’est ni le camp de Nahr el-Bared, ni celui de Bourj Brajneh». Les Syriens étaient-ils opposés au fait que le camp de Aïn el-Héloué passe sous le contrôle des arafatistes ? «Nous les avions informés de notre projet. Ils ne l’avaient pas béni mais ne s’y étaient pas déclarés hostiles». Pense-t-il que l’ancien dissident Mounir Maqdah (installé à Aïn el-Héloué aurait pu retourner dans le giron de Arafat sans l’accord de ses «protecteurs» ? «Lorsque Mounir s’est placé dans le camp de l’opposition, il ne l’a pas fait par conviction. Rappelez-vous, les Palestiniens ont traversé une période terrible au Liban. Nous avons été pratiquement persécutés. Moi-même, j’ai fait l’objet de huit tentatives d’assassinat et on a même tenté d’enlever mes enfants. Certains d’entre nous sont morts, d’autres ont cédé aux pressions et d’autres encore ont résisté. Le Fateh étant une organisation qui rassemble, il a repris Mounir, lorsque les forces d’opposition ont fait faillite». Les loyalistes aussi ont fait faillite… «Dire cela c’est ne rien connaître à la situation palestinienne. Nous au moins, nous sommes un projet et nous luttons sur une terre palestinienne. Notre combat se déroule face à face avec l’ennemi et si nous ne faisons plus de lutte armée, le combat politique est bien plus dur. De plus, nous sommes encore dans une période transitoire. Nous n’avons pas encore signé un traité de paix définitif avec Israël. Par contre, c’est l’opposition palestinienne qui a fait faillite. C’est un clone, elle n’a aucune existence propre et est télécommandée. Enfin, elle n’a pas les moyens de ses ambitions. Il ne suffit pas de faire des déclarations de guerre, il faut aussi pouvoir payer leur dû aux martyrs et à leurs familles, assurer les médicaments et des ressources etc…». Des contacts politiques qui dérangent En reprenant le contrôle de Aïn el-Héloué, le Fateh a donc dérangé… «Sans doute. De même que mes contacts politiques avec la plupart des parties libanaises ont dû déranger. Vous savez que je me suis rendu de Rachidiyé à Dimane pour un entretien avec le patriarche maronite». N’était-ce pas une provocation ? «Non, je voulais simplement lui expliquer, ainsi qu’à toutes les parties libanaises, notre position vis-à-vis du problème de l’implantation. La manière dont certains leaders, comme M. Dory Chamoun, l’évoquaient était insultante pour nous. “Qu’ils aillent où ils veulent, l’essentiel est qu’ils quittent le Liban”, semblaient-ils dire en sous-entendant que nous étions favorables à l’implantation. Le patriarche a très bien compris notre position. Nous avions même demandé un rendez-vous au président de la République . Nous aurions voulu le remercier pour sa position claire et franche vis-à-vis de ce problème et nous voulions nous mettre à sa disposition pour la réalisation de son projet. Nous voulions aussi suggérer de remplacer l’implantation par la revendication du droit au retour des palestiniens». Selon Abou Riad, certaines parties ont pris ombrage de cette activité intense et ont actionné la justice. «Preuve en est qu’il n’y a aucun élément criminel retenu contre moi. Il n’y a pas de preuves non plus». Si son innocence est si claire, pourquoi ne se présente-t-il pas devant le tribunal ? «Si je me rendais à la justice, quelle garantie me protégerait-elle ?» L’intégrité des juges. «Je ne me place pas au-dessus de la loi, mais lorsqu’on me condamne à la peine capitale sans se fonder sur aucun élément concret et sans respecter les procédures habituelles, comment voulez-vous que je réagisse ?» Que compte-t-il faire? «Le président du conseil a déclaré que l’on pouvait se pourvoir en cassation, je vais voir avec mon avocat». Une condamnation qui vise la présence palestinienne au Liban Quand c’est un jugement par défaut, le condamné ne peut se pourvoir en cassation. Il doit se présenter devant le tribunal et le jugement tombe de facto. «Si on me garantit un procès équitable et non politique, je me présenterai devant le tribunal. De plus, je crois qu’Abou Lotf (attendu à Beyrouth dans les prochains jours) abordera ce problème avec les autorités. Sa visite était certes déjà prévue, mais ce problème occupera certainement une partie de ses entretiens avec les autorités». Viendra-t-il par Damas ? «C’est son chemin habituel. Je crois en un règlement politique de cette affaire. Des entretiens dans le calme permettront de trouver une solution qui sauverait la face de la justice libanaise et tiendrait compte des droits des palestiniens. Car, à travers ma condamnation, c’est toute la présence palestinienne au Liban qui est mise en cause». S’ils étaient bien intentionnés, pourquoi n’ont-ils pas livré Abou Mahjane à la justice lorsqu’ils ont repris le contrôle de Aïn el-Héloué? «Pourquoi l’aurions-nous fait ? Nous ne sommes pas les agents de la police libanaise et nous ne sommes pas responsables de l’émergence d’Abou Mahjane. Le Fateh n’est pas une organisation intégriste. Le cas d’Abou Mahjane est une affaire libanaise. Enfin, se trouve-t-il réellement à Aïn Héloué?» C’est ce qu’on dit. «En tout cas, nous ne sommes pas responsables de lui et ce n’est pas à nous de le livrer à la justice». Le fait que le président Arafat l’ait promu juste après sa condamnation, n’est-il pas une provocation à l’égard des autorités libanaises? «C’est surtout un message moral qui m’est destiné ainsi qu’à mes compagnons de lutte. La promotion militaire est toutefois moins importante, à mes yeux, que le fait que je devienne membre du CNP». Comment voit-il l’issue du problème de sa condamnation? «Si les responsables ainsi que le ministre de la Justice me garantissent un procès non politique, je suis prêt à comparaître devant le tribunal», répète-t-il. Il existe une autre possibilité, que l’affaire en reste là, et qu’il soit assigné à résidence à Rachidiyé, avec cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Ainsi, ses contacts ne dérangeront plus. «Ce n’est pas une solution. Même si je l’acceptais, l’Autorité palestinienne la rejetterait». Mais au fait, pourquoi toutes ces armes dans les camps? «Cela fait partie d’un vieil accord entre les Palestiniens et les autorités libanaises. Nos armes ne sont pas destinées à être utilisées contre les Libanais». Faut-il voir dans la récente opération menée par le Jihad islamique à partir du Liban un signe pour le futur? «Non, le Jihad ne fait pas partie de l’OLP et à mon avis, il n’aurait pas dû annoncer avoir mené une opération à partir du Liban…». Les Palestiniens lancent donc des opérations sans les déclarer? …Abou Riad lève la séance. Mais il s’arrête à la porte de son bureau : «N’oubliez pas que nous ne voulons pas créer des problèmes. Notre principal souci est d’entretenir de bonnes relations avec le Liban et de rétablir nos relations avec la Syrie. Notre cause est plus importante que les petites zizanies. Notre objectif est de devenir une nation et pas seulement un peuple». Leur regain d’activité aujourd’hui au Liban ne constitue-t-il pas un moyen de pression sur ce pays et la Syrie en cas de reprise des pourparlers de paix ? «Tout ce qui rapproche les arabes est dans notre intérêt et tout ce qui les divise dessert notre cause». La porte du bureau à peine ouverte, les jeunes gens armés se précipitent. Abou Riad est bien gardé, mais l’atmosphère au camp est loin d’être calme. Si le jugement perturbe les Palestiniens, il est toutefois aussi un casse-tête pour les Libanais. Reste une possibilité que le président utilise son droit de grâce, mais dans ce cas, nombreux sont ceux qui souhaiteraient en profiter…
«Nous ne voulons pas rouvrir d’anciennes plaies. C’est indigne de nous, et du Liban qui a beaucoup donné à la cause palestinienne, d’accuser l’OLP d’être une bande armée, ou un groupe de gangsters…». Sultan Aboul Aynaïn (qui jure que c’est là son vrai nom de famille, seul Sultan étant un surnom) ne cache pas son amertume dès qu’on lui parle de sa condamnation...