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Actualités - REPORTAGES

Spectacle - Au Madina, Pique-nique sur la ligne de démarcation, de Raymond Gébara Un désopilant théâtre-panique à la libanaise (photos)

Émouvante était l’autre soir l’interview de Raymond Gebara sur le petit écran de la Future avec Zahi Wehbé au ton toujours si courtois, à la présence délicate et à l’oreille constamment à l’écoute de ses invités dans son émission «Khallik Bil Beit». Le regard inquiet, le geste faussement calme, le verbe au vitriol et moins fumant (fulminant serait peut-être plus adéquat) que d’habitude, des silences poignants qu’on écoute encore mieux que les paroles et qui en disent longs sur le calvaire, l’amertume et la «dépossession» des artistes libanais, la franchise toujours de mise, le jean délavé comme ses jeunes acteurs en répétition, la cigarette vite appelée à la rescousse, Raymond Gebara a dit peu et beaucoup d’une vie entière vouée à son amour (peut-être unique) : le théâtre ! Non commercial ou mercantile mais de qualité et «élitiste», et tant pis si la masse ne l’a jamais suivi. L’auteur, couronné de «prix» du «Faiseur de rêve», n’a pas arrêté de s’excuser, humblement, de son art pourtant si grand,en répétant à l’œil impitoyable de la caméra : «Je n’ai jamais su et n’aurait su faire autre chose». Comme nous lui en sommes reconnaissants ! Et même si aujourd’hui Gebara est mis à la retraite de l’enseignement (comme d’ailleurs ses pairs tels Antoine et Latifé Moultaka, Yaacoub Chedraoui, pour ne citer qu’eux), sa passion pour le monde des planches n’en est pas moins forte. Et puis comment accepter cette inadmissible exclusion du monde qu’il s’est choisi et qui l’a choisi ? Au faîte de sa maturité et de son talent, n’est-ce pas le moment ou jamais pour les générations montantes de bénéficier de son savoir et de sa riche expérience ? On se contente, pour toute réponse, si peu convaincante, de nous seriner les oreilles qu’ainsi sont faites les conventions sociales. Mais les lois ne sont-elles donc pas «amendables» selon les besoins du citoyen ? Pour une carrière qui devrait donner à l’âge des cheveux grisonnants, stabilité, sécurité et une paix intérieure pour une meilleure créativité, ces conventions sont difficilement qualifiables. Et comment voulez-vous que Raymond Gébara ne se retrouve pas «en famille» avec Fernando Arrabal le rebelle ? Révolte totale, innocence bafouée, inadaptation au langage et aux situations, tendresse et cruauté, bonté et méchanceté voilà toute la violence et la confusion «arrabaliennes» coulées dans le regard, le verbe et la mise en scène de Raymond Gebara qui crée là un désopilant «théâtre-panique» à la libanaise. Une des œuvres les moins sombres de l’auteur du Jardin des délices, qui voulait traumatiser le spectateur psychiquement et physiquement, a inspiré Raymond Gebara. En lui soufflant à l’oreille probablement qu’il y a là non seulement complicité et affiliation entre auteurs et personnalités mais aussi vision d’un monde surréaliste qui n’a pas fini de voler en éclats à cause de la folie des hommes, de leur arrogance, de leur cupidité, sans oublier qu’il y a une place aussi pour la tendresse, les rêves qui nous font tenir debout, l’espoir que la vie n’est pas peut-être seulement désespérance. Et dire que Gebara confiait justement dans ce portait télévisé que notre enfer est ici-bas ! Inspiré donc d’Arrabal, voilà au Madina : Un pique-nique sur la ligne de démarcation signé dialogues (percutants !) et mise en scène (musclée) Raymond Gebara. L’idée nous a certainement effleurés plus d’une fois (on n’ en est plus à une folie près et heureux sont ceux qui ont déjà vu le très beau film de Randa Chahhal en ce sens) de faire un «pique-nique» avec taboulé et arack entre deux fronts sur la «ligne verte», appellation bien machiavélique et cynique pour ces limbes de la mort, n’est-ce pas ? Dans un décor cauchemardesque (Michel Lamia) représentant les immeubles en gruyère et les fils barbelés de la séparation, rappelant bien en évidence les tristes décombres de notre innommable guerre,un couple (admirables Gabriel Yammine et Julia Kassar) d’un certain âge fraye son chemin pour arriver jusqu’à son fils combattant. Situation banale jusqu’ici en circonstance de guerre mais aberrante pour ceux qui s’accrochent aux rideaux de leur salon. Une pièce accomplie Retrouvailles tragi-comiques pour cette famille «endimanchée», aux illusions perdues et à l’avenir plus qu’incertain. Dressons la table et trinquons dans ce paysage d’apocalypse avec un parasol rayé et les victuailles pour un bon gueleton ! Ajoutez à cela l’arrivée impromptue d’un combattant du camp adverse,d’ailleurs gracieusement invité à partager ce festin de (in) fortune ! Et la «nouba» sur la ligne de démarcation est menée «allegro staccato» grâce à l’ironie mordante des dialogues ultrapétillants de Gebara et à ses indéniables dons de brosser des portraits vivants et cocasses, pleins de malices «populaires» et aux répliques chargées d’un «venin» débordant d’intelligence. Subversif, vipérin, surinformé, nerveux, d’une délicieuse hystérie,ce «verbe» ici est dans un contexte qui rehausse encore sa valeur et sa force dramaturgique. Ce père, «gaulliste» chevronné, irascible et folklorique à souhait, cette mère faussement paysanne sotte et femme soumise, dans son tailleur à épaulettes et son chapeau à voilette (eh oui, même chez les durs elle se croit aux courses de Longchamp !). Et ce fils, doux comme un ange mais qu’on voudrait transformer en «born killer», tout cela est un mélange détonnant sur fond de vouloir vider le sac et l’abcès à propos d’une guerre qu’on n’a toujours pas élucidée. Menée tambour battant (on devrait dire au pas martial), mêlant la voix de Feyrouz et le bruit des bombes (très compatibles pour nous Libanais), dénonçant toutes nos faussetés guerrières, se riant de toutes nos causes absurdes, vouant aux gémonies les slogans qui nous ont fait bêtement périr, réglant ses comptes à toutes les conjugalités branlantes, caricaturant les notions périmées de virilité et de féminité, s’en prenant violemment mais avec humour au machisme de paccotille et à son risible folklore, Raymond Gebara dresse un redoutable et irrévérencieux inventaire d’une société qui défile telles les grinçantes images d’un film de Kusturica. On en rit certes mais on reste aussi un peu hébétés de tant de déballage. Pique-nique sur la ligne de démarcation est une des pièces les plus accomplies de Raymond Gebara et certainement une des plus belles qui ouvre cette saison théâtrale. Le metteur en scène joue la gravité sous couvert de dérision. Il faut courir l’applaudir pour une double raison : le grand talent d’un duo d’acteurs (G. Yammine-J. Kassar) qui fait une composition à tout casser, et la beauté désespérée mais au rire salvateur d’un texte tranchant comme un diamant.
Émouvante était l’autre soir l’interview de Raymond Gebara sur le petit écran de la Future avec Zahi Wehbé au ton toujours si courtois, à la présence délicate et à l’oreille constamment à l’écoute de ses invités dans son émission «Khallik Bil Beit». Le regard inquiet, le geste faussement calme, le verbe au vitriol et moins fumant (fulminant serait peut-être plus...