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Actualités - INTERVIEWS

Taëf - Dix ans après, Nasri Maalouf répond aux détracteurs de la nouvelle Constitution Pour un Etat plus fort que les confessions (photos)

Il y a dix ans jour pour jour, 58 députés (sur 99) adoptaient le document d’entente nationale examiné à Taëf, qui deviendra par la suite la nouvelle Constitution du pays. Si, aujourd’hui, peu de voix s’élèvent pour contester la légitimité du régime issu de cet accord, le texte n’en continue pas moins de susciter les interprétations les plus variées, comme s’il y avait encore «un mystère Taëf». Y a-t-il eu, en réalité, deux accords, le premier torpillé par la Syrie au profit du second jugé par les responsables de Damas plus favorable ? Lorsque les députés libanais se sont rendus dans le centre séoudien de villégiature, l’accord avait-il été déjà conclu et les dés jetés ? Enfin, les députés ont-ils réellement réduit les prérogatives du président de la République pour éviter une réédition de l’expérience du mandat d’Amine Gemayel ? Autant de questions, souvent inspirées par les politiciens, que les citoyens n’en finissent pas de se poser et auxquelles l’ancien député Nasri Maalouf, membre de la commission de rédaction à Taëf, essaie de répondre. Même après dix ans, certains souvenirs restent pénibles. Et dans un climat politique survolté, il est difficile de trouver une personne capable d’évoquer sans passion, et surtout sans mobiles cachés, des événements qui continuent de marquer notre quotidien. Pratiquement retiré de la vie politique, Nasri Maalouf poursuit sa brillante carrière d’avocat. Et c’est avec l’éloquence qu’on lui connaît qu’il plaide en faveur d’un accord dont il revendique un peu la paternité, puisque de son propre aveu, avec ses compagnons de la commission de rédaction, il a négocié ferme pendant 22 nuits pour aboutir à un résultat acceptable pour tous les Libanais. Les tentatives de la commission des six Maalouf commence par évoquer les circonstances dans lesquelles s’est tenue la conférence de Taëf et, au fil des mots, c’est tout un passé mouvementé qui défile. La guerre dite de libération bat son plein. Estimant que la situation a atteint un stade grave, menaçant l’intégrité du Liban et peut-être celle de son environnement, la communauté internationale a décidé de réagir en demandant aux pays arabes de se pencher sur le problème libanais. C’est ainsi qu’est née la commission des six, présidée par le ministre koweïtien des Affaires étrangères. Croyant que le Liban était déchiré par un conflit confessionnel, les six convoquent les chefs spirituels et qu’elle n’est leur surprise de voir que ces hommes n’ont aucun problème à se rencontrer et à s’asseoir côte à côte. «Alors, où est le problème ?» «Ce sont des membres des diverses communautés qui s’entretuent, non les communautés en tant que telles». Les six décident alors d’entendre les chefs des deux gouvernements, ainsi que le président de la Chambre et là, ils se heurtent à un problème insurmontable : les trois hommes refusent de s’asseoir à la même table et d’échanger la moindre salutation. La commission des six annonce l’échec de sa mission et, comme la situation est explosive, un sommet d’urgence se tient à Casablanca et confie le sort du Liban à un comité tripartite, présidé par le roi Hassan II du Maroc et ayant pour membres le roi Fahd d’Arabie et le président Bendjedid d’Algérie. Ce comité est doté des pleins pouvoirs et après avoir longuement étudié le problème libanais, il a décidé de convoquer une réunion des députés, seule instance plus ou moins représentative de tous les courants et ayant conservé un semblant de cohésion afin d’étudier un document de travail qui servirait de base à la solution. 62 députés prennent ainsi le chemin de Taëf le 1er octobre 1989. Représentant le comité tripartite, le ministre séoudien des Affaires étrangères les accueille par un discours qui définit les objectifs de cette réunion. Il s’agit, selon les propres termes de l’émir Séoud el-Fayçal, de mettre un terme à la guerre libanaise. «Le projet que nous avons élaboré, leur déclare-t-il, est le fruit de nombreux contacts et d’une mûre réflexion. Vous devrez le discuter, l’essentiel est que vous parveniez à un accord». Des députés du Liban et non des confessions L’émir Séoud demande ensuite à rencontrer les députés chrétiens, considérés comme les plus difficiles, les autres ayant pratiquement mandaté la Syrie pour parler en leur nom, laquelle avait déjà donné son aval au document. Nasri Maalouf répond alors : «Il n’y a pas de députés chrétiens, mais des députés libanais. Moi-même, je suis le député grec catholique de Beyrouth, mais j’ai été élu par des sunnites, des chiites, des druzes et des chrétiens». On regroupe alors les députés des régions Est, dont font naturellement partie Mahmoud Ammar et Osman Dana. Ces 35 députés élisent un comité de 5 (Maalouf, Moawad, Saadé, Harb et Babikian) qui se chargera de négocier point par point le document. Selon M. Maalouf, les discussions étaient très animées et se prolongeaient toute la nuit, alors que le matin, les résultats étaient soumis aux autres députés. «Nous n’avons jamais senti qu’il y avait des articles imposés. Chaque mot faisait l’objet d’une discussion. D’ailleurs l’émir Séoud el-Fayçal a dû se rendre à Damas pour soumettre nos suggestions aux autorités syriennes». L’un des amendements des députés de l’Est portait sur le nombre des parlementaires : le document de travail proposait 128 et eux réclamaient 108. Ils ont finalement obtenu gain de cause et c’est la loi électorale de 1992 qui a de nouveau fixé le nombre des députés à 128. Maalouf précise ainsi que la seule restriction, dans les débats, venait du souci de parvenir à un accord. Le mandat de M. Hussein Husseini en tant que président de la Chambre étant parvenu à expiration, les députés réunis à Taëf décident de l’élire comme chef de cette «rencontre des parlementaires». Au passage, Nasri Maalouf affirme que la rencontre n’étant pas officielle, les procès verbaux des réunions n’appartiennent pas au Parlement et M. Husseini est donc libre de les divulguer ou non. À la 22e nuit, l’accord est finalement adopté par 55 députés. Trois ont émis des réserves (Anouar Sabbah, Mounif Khatib et Ali Khalil), trois autres se sont retirés (Zaher Khatib, Toufic Assaf et Farid Gebrane) et un seul, Hassan Rifaï, s’est abstenu. Le 23 octobre, les députés sont conviés à une réception en présence du roi Fahd pour célébrer la naissance de l’accord. L’émissaire du comité tripartite, Lakhdar Ibrahimi, s’était même rendu à Beyrouth pour inviter le général Michel Aoun à participer à la réception, mais ce dernier a refusé… Les pouvoirs du président Selon Nasri Maalouf, à Taëf, l’ancien président du Conseil, Rafic Hariri, était plus séoudien que libanais et il jouait en quelque sorte le rôle d’adjoint de l’émir Séoud el-Fayçal, en essayant de rapprocher les points de vue. A-t-il, comme on l’a dit, payé pour convaincre les députés récalcitrants ? «Pourquoi aurions-nous encaissé de l’argent pour parvenir à un accord, puisque celui-ci était à notre avantage ?, s’insurge M. Maalouf. Il nous suffisait d’être les hôtes du royaume d’Arabie séoudite…». M. Maalouf défend avec véhémence le contenu de l’accord. Selon lui, les députés n’étaient nullement obsédés par l’ancien président Amine Gemayel et, contrairement à ce qu’on croit, ils n’ont pas vraiment réduit les prérogatives présidentielles. En imposant au président des consultations obligatoires, ils n’ont, dit-il, fait que codifier une pratique qui existait déjà, les consultations non obligatoires ayant toujours correspondu, selon lui, aux désirs du président de la République. Par contre, l’ancien député affirme que Taëf a donné au président de nouveaux droits : il peut désormais renvoyer au Conseil des ministres une décision qui ne lui plaît pas dans un délai de 15 jours. Il peut aussi envoyer un message directement au Parlement sans passer par le gouvernement. De même, le président peut soumettre au Conseil des ministres un problème qui ne figure pas sur son ordre du jour et il possède un droit de veto d’une durée de 30 jours. Certes, le président n’est plus le chef du pouvoir exécutif, désormais détenu par le Conseil des ministres mais, selon Maalouf, tout décret avait besoin de la signature du ministre concerné et du président du Conseil. De plus, il a officiellement perdu le commandement de l’armée, accordé au Conseil des ministres mais, de toute façon, il n’avait jamais utilisé ce pouvoir. Maalouf raconte que le président Sleimane Frangié avait essayé d’utiliser ce pouvoir, mais il s’est bien vite rétracté pour cause de crise confessionnelle. Par ailleurs, il a été convenu à Taëf que le président ne pourrait plus révoquer un ministre ou un Premier ministre. Mais, de toute façon, ce pouvoir n’existait que dans les textes. L’ancien Premier ministre Rachid Karamé a boudé pendant sept mois et le président Frangié n’a pas pu le révoquer… Selon lui, donc, ce qui est présenté comme de graves concessions n’est en fait qu’une question de forme, les pouvoirs arrachés au président n’étant pas effectivement en sa possession. Et c’est là que les négociateurs chrétiens auraient fait preuve d’une grande habileté… Par contre, les députés ont consolidé les pouvoirs du Parlement, en limitant les cas de dissolution de la Chambre. «N’oubliez pas, souligne Nasri Maalouf, que le Liban est une République démocratique parlementaire, et que le peuple est la source de tous les pouvoirs. Il est donc normal que ses représentants soient dotés d’une grande protection…». D’ailleurs, après l’assassinat du président René Moawad et alors que les députés étaient en route vers Chtaura pour lui élire un successeur, le général Aoun a dissous le Parlement. Ce décret a été heureusement annulé par le conseil d’État pour vice de forme, le général n’ayant pas fixé une date aux prochaines élections législatives conformément à la Constitution. S’il n’y avait pas eu cette erreur de forme, le décret serait légal et l’élection du président Hraoui non valable. On imagine l’imbroglio juridico-politique que cela aurait entraîné. Une démocratie parlementaire… Nasri Maalouf s’étonne de la virulence des critiques adressées à l’accord de Taëf. «On l’accuse de tous les maux, alors que c’est son application qui comporte des lacunes. Nous avions prévu une loi électorale basée sur le mohafazat comme circonscription, mais après avoir procédé à un nouveau découpage administratif. Or cela n’a pas été fait. Nous avions parlé de la dissolution de toutes les milices libanaises et étrangères, or certaines forces continuent à détenir des armes. Nous avions préconisé un redéploiement des troupes syriennes vers la Békaa, mais nul n’en parle aujourd’hui, etc…». Maalouf rejette donc la qualification de mal nécessaire à propos de Taëf. Selon lui, les députés ont fait preuve de beaucoup de pragmatisme et de savoir-faire avec un seul souci : mettre un terme définitif à la guerre. «Mais ce qu’il faut au Liban, c’est un État qui gouverne et qui soit plus fort que toutes les autres composantes de la société, qu’il s’agisse des confessions, des classes politiques ou d’autres puissances occultes…». Un État plus fort que les intérêts personnels aussi et qui ait surtout une vision claire de l’avenir, pour ne pas attendre une nouvelle guerre avant de songer à réformer ce qui devrait l’être…
Il y a dix ans jour pour jour, 58 députés (sur 99) adoptaient le document d’entente nationale examiné à Taëf, qui deviendra par la suite la nouvelle Constitution du pays. Si, aujourd’hui, peu de voix s’élèvent pour contester la légitimité du régime issu de cet accord, le texte n’en continue pas moins de susciter les interprétations les plus variées, comme s’il y...