Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

Régions - Le retour entravé par des occupations de maisons A Jezzine, une bien étrange cohabitation(photos)

Trois mois après la fin de l’occupation de Jezzine, certains habitants se sont hâtés de regagner leurs foyers. D’autres attendent que soit trouvée une solution honorable au problème des squatters : il s’agit pour la plupart des proches d’anciens miliciens de l’ALS, des déplacés de la guerre. À Kfarhouna, plus durement touché par l’exode, on revient aussi. Mais la libération est plutôt virtuelle : dans ce no man’s land, 800 mètres séparent le village de l’ancien occupant. C’est à une bien étrange cohabitation que «Tony» (nous l’appellerons ainsi) doit aujourd’hui s’adapter. Lorsque ce jeune homme nouvellement marié a voulu rentrer chez lui, à Jezzine, en juin dernier, après le retrait de l’Armée du Liban-Sud de l’enclave, il y a trouvé des «locataires» un peu particuliers. Il y a deux ans, Samia et son mari, un ancien employé de l’ALS, ont trouvé refuge dans l’aile droite de cette maison traditionnelle libanaise. Aujourd’hui, l’homme est écroué et attend son jugement. Il risque au minimum un an de prison. «Que voulez-vous que je fasse? Je ne vais pas mettre dehors cette mère et ses quatre enfants ; je n’ai pas vraiment le choix, explique Tony, sans colère. On peut bien attendre un an encore». Deux mois après l’évacuation de Jezzine, près de soixante-dix maisons étaient encore occupées par des proches d’anciens miliciens. Les uns sont originaires de la région, comme Samia, les autres des déplacés de l’est de Saïda ou encore de la bande frontalière. Si la loi exige la restitution immédiate au propriétaire, le juge peut accorder des délais aux locataires pour se reloger – une période de trois à un an. Mais seulement dans le cas où le père de famille se trouve en prison et en attendant une évaluation de l’indemnité. Ce n’est pas la première fois que Tony se voit ainsi imposer une cohabitation. «Dès 1991, des militaires de l’ALS ont occupé cette partie, puis d’autres sont venus», raconte-t-il. Pour accéder à l’aile gauche encore libre, il devait emprunter le même escalier. Cela ne l’empêchait guère de revenir : «On revenait chaque été, avec ma mère et mon frère, pour éviter qu’“ils” n’occupent toute la maison. Tout Jezzine est dans la même situation». Durant les quatorze années d’occupation, rares sont les habitants qui ont renoncé à se rendre à Jezzine. Comme les Lebbos, les voisins de Tony. Sur les trois appartements que compte cette maison familiale, un seul étage n’a pas été occupé : quatre pièces à partager entre les trois frères, leurs femmes et leurs enfants. Sans compter leur mère. «Nous étions trois familles pour un seul appartement, raconte Alexa, la femme de Karim Lebbos, mais pourquoi serions-nous allés ailleurs puisque notre maison est ici?» En 1984, alors que la route entre Beyrouth et Jiyeh est coupée en raison des combats, c’est par bateau que la famille regagne Saïda pour rejoindre Jezzine. Le voyage prendra deux jours. Pour regagner Beyrouth, elle embarquera à Naqoura. Une autre fois, il lui faudra traverser le Chouf. Aujourd’hui, les Lebbos ont récupéré leur maison : le premier étage il y a un mois, le second il y a à peine une semaine. «Lorsque nous sommes revenus, nous avons été chassés par la femme d’un milicien qui s’était livré à l’armée libanaise ; les autres étaient partis avec les clefs», reprend son mari. Le premier étage était occupé par un haut responsable. Il s’est replié sur Marjeyoun au moment du retrait avec quatre-vingt-dix autres miliciens et leurs familles. Pour reprendre possession de l’appartement, la famille a dû porter plainte auprès du parquet de Saïda en lieu et place du tribunal du caza de Jezzine – une option accordée aux propriétaires pour accélérer la procédure de restitution. L’ancienne «locataire» a fini par regagner sa maison à l’est de Saïda. Sans faire trop de difficultés. Pour partir, certains attendent que leur soient versées les indemnités à titre de déplacés. Ceux qui sont originaires de la bande frontalière devraient recevoir 5 000 dollars, et les Jezzinois, 8000 dollars. Si au Conseil du Liban-Sud, actuellement en charge du dossier, on affirme que l’affaire devrait être réglée d’ici à la fin du mois de septembre, à Jezzine, on redoute les lenteurs administratives. A fortiori si le paiement des indemnités devait être confié à la Caisse des déplacés. «De manière générale, les propriétaires sont compréhensifs à l’égard de ceux qui n’ont pas d’endroit où aller, explique l’avocat Saïd Abou-Akl, mais des problèmes se posent. Il y a ceux, par exemple, qui ont construit pendant l’occupation et qui ne veulent pas quitter les lieux sans recevoir des indemnités». À lui seul, Me Abou-Akl est en charge de trente dossiers d’occupation illégale. Mais c’est le principe même des indemnités qui provoque la colère des Jezzinois, eux qui doivent aujourd’hui retaper entièrement leurs habitations : «Ceux qui ont occupé nos maisons vont recevoir une aide matérielle et nous, c’est de notre poche que nous allons devoir réparer les dégâts», lâche Alexa. Tuyauterie entièrement à refaire, carrelage défoncé, l’intérieur des deux appartements est en triste état. «C’était une maison habitée, meublée et décorée, il ne reste rien. Ils ont tout emporté avec eux, les tapis, le mobilier, même le réfrigérateur», raconte Karim, en inspectant les deux étages vides. Avant de partir, les anciens «locataires» ont pris tout ce qui pouvait meubler leur nouveau domicile. Ils ont laissé la cuisinière, l’évier et... des factures. Eau, électricité et téléphone, il y en a pour 600 000 livres libanaises. Il y a aussi de nombreux appels internationaux. Les Lebbos ne sont pas seuls dans ce cas : à Jezzine, tous les intérieurs se ressemblent et s’ouvrent sur cette même image de désolation. Autant de dépenses à venir qui retardent le retour de nombreuses familles. «Si l’on fait le calcul, rares sont ceux qui peuvent se réinstaller, confie un homme d’affaires. Il y a la crise économique, et beaucoup ont de nombreuses traites à honorer». Alors en attendant, on se débrouille comme on peut : ici un canapé récupéré de l’appartement de Beyrouth ; là, une machine à laver d’occasion. «Cela va prendre du temps», soupire Karim. Il reste aussi l’extension de la maison, entamée en 1979. «Au moins, ils n’auront pas pu occuper cette partie», relève-t-il. Si les Lebbos ne cachent pas leur mépris pour les anciens occupants, ils ne réclament pas leur condamnation, surtout «les enfants de Jezzine». «Ces gens sont des Libanais comme les miliciens qui ont fait la guerre à Beyrouth. Ils ont droit au même traitement, ils doivent être amnistiés», poursuit le fils cadet, d’accord en cela avec ses parents qui se prononcent eux aussi pour le pardon. Derrière cet appel à l’amnistie, on veut surtout oublier l’occupation. Une chaîne de solidarité se met en place pour venir en aide à ceux qui ont perdu tous les leurs durant cette guerre. Et, peu à peu, on se retrouve. On veut même croire à la Jezzine d’hier, modèle de coexistence communautaire. «Jadis, les Égyptiens venaient, même les Palestiniens. On célébrait le Ramadan avec eux, se souvient Karim, pendant la guerre, les druzes n’ont jamais cessé de venir, et leurs enfants sont encore inscrits à l’école». Sa femme acquiesce. Elle regrette que leurs anciens amis de Saïda qui venaient passer l’été avant la guerre n’aient pu venir qu’une seule journée : «Ils n’ont pas eu d’autorisation pour rester plus longtemps». Mais si la page de l’occupation paraît plus facile à tourner, celle de la guerre civile l’est moins. Dans les souvenirs d’Alexa, une image revient sans cesse : celle des vexations que la famille a dû subir lorsqu’elle avait à traverser, en pleine guerre, le Chouf. «Cela, on ne l’oublie pas», dit-elle.
Trois mois après la fin de l’occupation de Jezzine, certains habitants se sont hâtés de regagner leurs foyers. D’autres attendent que soit trouvée une solution honorable au problème des squatters : il s’agit pour la plupart des proches d’anciens miliciens de l’ALS, des déplacés de la guerre. À Kfarhouna, plus durement touché par l’exode, on revient aussi. Mais la...