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Actualités - REPORTAGES

Violon d'Ingres ... Ernest Majdalani : un pédiatre à l'orgue (photo)

Ses mains fines semblent avoir elles-mêmes dessiné ce visage également fin, éclairé par un sourire serein et intérieur. De belles mains usées par un métier où elles devaient sans cesse parler, sonder, rassurer et surtout guérir. Des mains généreuses, presque impatientes, qui ont eu besoin d’un langage différent pour exprimer d’autres émotions. Aujourd’hui, elles claquent des doigts, donnent la cadence et chantent, entraînant sur leur clavier un orchestre fantôme qui suit le maître-sans-baguette, le Pr Ernest Majdalani. «Voilà mon appareil», dit-il, en présentant son instrument magique, le regard fier. Orgue électrique, pour le moment silencieux, compagnon et complice qui suit ou embarque son maître dans des rythmes de jazz : on ne sait plus très bien qui des deux emporte l’autre loin des rivages calmes du quotidien. Une chose est cependant sûre, l’entente est parfaite, fruit d’une longue amitié qui remonte à l’enfance. Sur un air de musique argentine Ernesto, né à Buenos Aires, avait, naturellement, la musique dans le sang et dans l’âme. «J’avais quatre ans ; nous vivions les débuts de la radio et j’étais particulièrement impressionné par les airs américains et sud-américains». Les cours de piano meublaient les après-midi des petits Majdalani. Ernest-le-rebelle ne veut pas «apprendre» la musique, mais la découvrir à travers la radio et les disques. Il reçoit à huit ans une petite mandoline, qu’il troquera quelques années plus tard contre une guitare. «Ma grande surprise fut la découverte des sons de l’orgue Hammond. Je m’étais promis de l’acheter à la fin de mes études». À l’heure des grandes décisions, il hésite entre trois carrières. «Je voulais d’abord être aviateur, mais une labyrinthite sensible m’en a empêché. Je rêvais d’être chef d’orchestre, mes parents me l’ont interdit ! Le choix de la médecine l’a emporté en définitive, au début avec peu d’enthousiasme, je l’avoue !». Mais l’enthousiasme grandit et la carrière du Dr Majdalani finit par occuper toute la place, mettant en veilleuse ses rêves d’enfant mélomane. Il rentre au pays et devient titulaire de la chaire de pédiatrie à la Faculté française de médecine. «J’en fus le premier occupant». Il crée, dans les années 70, le Service de pédiatrie de l’hôpital Saint-Georges, avant de devenir directeur de ce même hôpital. «Nous étions “sur pied de guerre” durant dix-sept ans. C’était terrible, nous avons tout vu, nous avions du sang jusqu’aux genoux». Tout cela n’est plus aujourd’hui qu’un souvenir, quelquefois effacé par celui de tous les enfants qui ont retrouvé leur sourire grâce à leur pédiatre préféré. Pr Majdalani a pris sa retraite il y a cinq ans. «J’ai laissé la place à Pierre», son fils, qui partage la même passion-profession. Le voilà enfin libre de redevenir Ernesto. « The Doctor takes rhythm ! » Il caresse du regard, puis des doigts, la douce bête qui comble la pièce de sa présence. L’arbre, juste en face, témoin des heures d’inspiration, peut le confirmer, cette bête devient belle lorsqu’elle parle les langues du cœur. Elle répercute brillamment tous les instruments du monde, réussissant à former avec son chef un orchestre complet, hommage aux «Big Bands» des années 40-60 qui accompagnaient les plus grandes pointures du jazz noir américain. Ernesto ne sait toujours lire aucune note, mais a composé quatre CD. «Lorsque je joue sur mon instrument computarisé, 20 à 25 musiciens viennent se poser sur mes doigts !». Ils l’accompagnent dans ces ballades nostalgiques où le son et l’ambiance des grands orchestres renaissent. «Je suis très imprégné par la musique hollywoodienne des grandes comédies musicales américaines. J’ai enfin réalisé un rêve, être chef d’orchestre». Le chef d’orchestre va alors rejoindre ses musiciens fantômes et la musique commence. «The Doctor takes rhythm !» (Le docteur prend le rythme) et se laisse enfin aller. «C’est pour moi une manière de revivre ma jeunesse et de retrouver cette émotion musicale qui m’avait touché». Les titres des quatre volumes de son «Big Band» défilent, et avec eux des rythmes, des harmonies et surtout des ambiances. Certains titres sont des reprises, d’autres de pures compositions. Specially for You (Spécialement pour toi), When I Think of You (Quand je pense à toi ) semblent prudemment lever le voile de pudeur qui masque le visage de cet homme paisible. «Ces morceaux sont tout à fait moi, un sentimental. Tout le monde me dit : C’est moi ?» Lorsqu’il entonne Melon Hat, en battant la mesure d’un pied impatient, la pièce se transforme instantanément en club de jazz où, comme il l’imagine et le décrit si bien, «se croisent des femmes élégantes en robes longues et fume-cigarettes, accompagnées de messieurs leur faisant des courbettes». Aux commandes de son orgue fantastique, Ernest Majdalani est transporté, devenant lui-même pour l’occasion un gentleman en smoking, cambrioleur d’émotions fantastiques. Et lorsque le silence revient, que se taisent les joyeux instruments, saxo, flûte, contrebasse, piano, cachés dans le cœur de son orgue électrique, les doigts du professeur quittent la scène. Les mains – cachées – dans ses poches, il repart imaginer d’autres morceaux, pour notre plaisir nostalgique et le sien.
Ses mains fines semblent avoir elles-mêmes dessiné ce visage également fin, éclairé par un sourire serein et intérieur. De belles mains usées par un métier où elles devaient sans cesse parler, sonder, rassurer et surtout guérir. Des mains généreuses, presque impatientes, qui ont eu besoin d’un langage différent pour exprimer d’autres émotions. Aujourd’hui, elles claquent des...